JONATHAN RICHMAN SANS SES AMANTS MODERNES
Voici 42 ans dans BEST GBD rencontrait un autre de ses héros du rock en la personne du candide Jonathan Richman, qui débarquait seul à Paris sans ses Modern Lovers mais avec toute sa poésie, insistant en ardent francophile pour donner cette interview dans la langue de Molière où ses approximations apportaient un cachet si particulier à la conversation où il évoque même ses souvenirs d’enfance. Entretien privilégié et forcément space avec le fameux proto-punk de Boston et flashback…
Un an après cette rencontre si francophile, en Français dans le texte, Jonathan Richman répondait enfin à l’une de mes interrogations le concernant : toi qui chantes les marchands de glaces, les petits dinosaures, les Bip Bip, les martiens martiens et dont l’amour n’est qu’une fleur qui commence à peine à fleurir … pourquoi n’as-tu jamais composé de chanson à la gloire de notre capitale, ce Paris éternel des amoureux ? J’ignore si notre discussion a pu influer sur le choix du chanteur de Boston mais toujours est-il qu’en 1983 il publie son « Give Paris (One More Chance) » où il entonne :
« Si tu as déjà visité des villes mais que tu eb es lassé/ Es-tu allé à Paris, en France ?/ Et si tu doutes que Paris soit faite pour l’amour/ Donne-lui encore une chance/ La ville de Piaf et Chevalier/ Il faut bien qu’elle ait quelque chose de bien pour générer une telle passion/ Si tu penses que Paris n’est pas fait pour l’amour/ Donne une nouvelle chance à Paris…
Je l’appelle arrogante, je l’appelle cruelle/ (Give Paris one more chance) / Et aussi trop civilisée et mon dieu, c’est trop cool/ (Give Paris one more chance) / Mais si tu doutes que Paris soit faite pour l’amour/ Peut-être que ton cœur nécessite un télégramme du ciel/ Si tu penses que Paris n’est pas faite pour l’amour7 Et bien, donne une nouvelle chance à Paris… »
« Give paris One More Chance »
Publié dans le numéro 168 de BEST sous le titre :
ÉCOLE NAÏVE
Tu te croirais presque dans une ville d’Europe. Boston se distingue cependant des cités du vieux continent par une anomalie dans sa topographie : certaines rues ont la fantaisie de s’arrêter net en cul de sac… pour repartir, deux blocs plus loin, et ainsi de suite. A Boston, on trace les rues en pointillés. A chaque fois, je m’y suis lamentablement paumé. Boston-la-bourge est un des fiefs de l’« aristocratie » du Mayflower, mais c’est aussi Harvard et son Massachussetts Institute, une des plus fortes densités de matière grise du monde. On y trouve aussi la folie de Jonathan Richman, son sens complètement inné de la poésie dans ses côtés les plus tendres et naïfs. Il suffit de l’écouter chanter la charrette du marchand de glaces ambulant et sa cloche (ding ding) ou sa vieille Dodge veg-o-matique. Avec lui, le conte de fée ressemble aux « Happy Days » et descend dans la rue. Sa musique est intimiste comme savent l’être les choses simples. Jonathan parle à de drôles de personnages, au « petit bombardier », à l’insecte ou au dinosaure ; il glisse sur le tobogan temporel sans vraiment s’en rendre compte. Depuis l’aube des soixante-dix, Jonathan et ses Modern Loyers chantent la nature. Pas le côté cucul, cui cui les oiseaux, simplement la vie qui passe. Place Saint Sulpice, Paris ; l’ascenseur gémit une dernière fois avant de s’arrêter au dernier palier. Lorsque je frappe à la porte, elle s’ouvre presqu’aussitôt sur J.R. Sa résidence parisienne est une carte postale des toits de Paris. Sur la table, les indispensables accessoires du lunch improvisé à l’américaine : yaourt, fromage blanc, toasts, confiture, biscuits, lait, café, sucre. Gail Richman ressemble à n’importe quelle jeune femme de l’Est. Elle a des taches de rousseur, des cheveux longs et porte l’éternel Levi’s délavé. Elle me sert un café tandis que Jonathan ramasse sa guitare et en pince pour ses cordes. Jonathan parle assez bien le français malgré quelques hésitations :
« Tu vois, je n’ai emporté que cette guitare Gretsch avec moi. Parfois même, je n’en ai pas besoin. Premièrement, je suis chanteur. Pour m’accompagner, je prends les choses comme ça (en montrant la guitare), mais je suis chanteur avant tout.
Tu vas faire de nouvelles chansons ?
Toujours les choses nouvelles, des fois à l’étage… ??? … d’autres fois sur scène. Quelquefois. Parfois, je chante toutes les choses, mais en général, je ne sais jamais à l’avance ce que je vais faire ».
Tu t’es installé dans l’Etat du Maine ?
Oui, parce que j’aime la nature. Les oiseaux, les animaux, le silence, les choses comme les Indiens, c’est très important.
Tu vis comme les Indiens ?
Non, c’est assez difficile, mais je respecte beaucoup cela. J’ai une petite maison dans un village du nom d’Appleton. C’est si petit qu’il n’y a même pas de bureau de la poste ou de gendarmes (sic !).
C’est la troisième fois que tu viens à Paris, ça ne t’a jamais inspiré ?
J’adore Paris. Tu ne l’entends pas toujours, mais je l’adore même dans mes chansons. Regarde « The Neigh-bours » … (et il joue le thème de son nouveau morceau). En Europe, les voisins ont beaucoup plus d’importance qu’aux U.S.A. C’est comme ces rythmes de flamenco que je sens vibrer en moi ; même si je n’ai jamais mis les pieds en Espagne. Parfois, je sens aussi en moi le feeling du désert .
Quel âge as-tu, Jonathan ?
J’ai eu 31 ans l’autre jour.
Comment fais-tu pour préserver ce côté juvénile ?
Je ne sais pas. En tout cas, je peux te dire que c’est vraiment moi, je ne triche pas.
Tu suces encore des sucettes ?
Je n’en ai jamais beaucoup sucé, je ne vais pas commencer. Mais c’est vrai que je fais encore un certain nombre des choses des adolescents. Des fois, je me sens 7 ou 8 ans, mais ça ne veut pas forcément dire que je suis inconscient ou irresponsable.
Qu’est-ce que tu détestes le plus dans le monde des adultes ?
Tu deviens rigide, et moi, j’aime les choses vraies. Je n’aime pas lorsqu’elles deviennent trop sérieuses.
Tu en es où avec ton label de disque ?
« Je ne suis plus avec Beserkley. C’était très intéressant parce qu’ils m’ont vraiment aidé à une époque où personne ne s’intéressait à moi .
Vas-tu choisir la solution du label indépendant ?
Non. La véritable indépendance, passe pour moi par le retour à la nature, c’est là que se trouve notre avenir. Chacun fait ce qui lui plaît et c’est ce qui me plaît.
Tu fais pousser des choses, des bêtes ou des bébés?
Quelques légumes, quelques fleurs, deux chats, un chien. Quant aux bébés, Gail et moi pouvons en discuter en privé, dans la chambre à côté. Gail avait déjà un enfant et je me sens très proche de lui. Mais je n’aime pas lorsque l’école essaie de le manipuler.
C’est une réaction par rapport à ce que tu as toi-même vécu ?
Disons que ma propre expérience de l’école m’a refroidi ; elle et moi, on ne s’accordait pas trop. Lorsque le gosse rentre de classe, j’aime bien lui poser quelques questions. Je veux savoir comment il sait que c’est vrai. S’il me répond que c’est parce que le prof’ l’a dit, pour moi, ça n’est pas une raison suffisante.
Qu’est-ce qui se passait pour toi lorsque tu rentrais de l’école ?
Ils voulaient voir mon carnet de notes. J’étais furieux contre mes parents car ils prenaient toujours le parti du prof.
C’est souvent le cas.
Pas du tout, moi, je n’agis pas comme ça, je ne fais jamais un principe de ce que les profs racontent ».
Jonathan a débarqué à Paris sans son groupe, la nouvelle formation des Modern Loyers avec deux chanteuses made in Boston. Sur scène, Jonathan joue avec son corps et sa guitare, ses pieds, sa tête, ses mains. Il a l’air d’un petit étudiant et c’est déjà une légende. D’ailleurs, les gros labels lorgnent sur les sept titres qu’il a enregistrés avec ses new Modern Lovers juste avant de quitter les Stetes. A Londres au concert du Venue, les A&R faisaient littéralement la queue ; au Rex, à Paris, de ce côté-là, c’était bien plus calme. Pour d’autres c’était heureusement la tempête déchainée jusqu’au rappel « The Morning Of Our Lives ». Et si celui de Jonathan ne faisait que commencer ?
Publié dans le numéro 168 de BEST daté de juillet 1982