LE CABARET DE L’EXIL CHEZ ZINGARO
L’Iran libre est à l’affiche du Théâtre équestre Zingaro avec Cabaret de l’Exil, Femmes Persanes. En effet, pour son 3ème volet du « Cabaret de l’Exil », Bartabas rend hommage aux femmes persanes. Car qu’elles soient afghanes ou iraniennes, elles sont surtout des artistes en exil. Résistantes et révoltées, elles revendiquent leur identité et convoquent la mémoire ancestrale : celle de l’antique civilisation scythe fondée sur le matriarcat. Chez ce peuple nomade, le cheval fut à l’origine de l’égalité entre les genres : chevaucher de longues distances et encourager sa monture au combat fût autant l’apanage des femmes que des hommes. Pour cette nouvelle création au Théâtre équestre Zingaro, le chorégraphe et metteur en scène invite les artistes iraniennes, musiciennes, chanteuses et danseuses à se joindre à sa tribu mi-femmes mi-chevaux.
Par Jean-Christophe MARY
Situé dans l’enceinte du Fort d’Aubervilliers, ce théâtre équestre conçu par Bartabas et signé de l’architecte Patrick Bouchain à de quoi surprendre. La magie commence dès l’arrivée lorsque l’on pénètre par le restaurant doté d’une décoration baroque, avec ces multiples objets insolites accrochés aux murs. Perché sur une estrade haute, un hôte nous invite à rejoindre nos places avec humour et bienveillance. Tout en bois, ce chapiteau et ce village de petits chalets détonnent parmi les bâtiments HLM qui s’élèvent le long de l’avenue Jean Jaurés. Pour accéder à la piste, le visiteur doit emprunter un escalier puis survole depuis une passerelle les écuries abritant les chevaux. On surplombe les boxes des artistes qui attendent le moment de leur entrée en scène dans une odeur de crottin. L’arrivée dans l’enceinte du cabaret est là aussi un moment magique. Éclairée par des dizaines de bougies, la piste est plongée dans une semi-pénombre. Le sol est couvert de tapis persans, tout comme les tables sur lesquelles sont posées une théière et des biscuits. On semble comme plongé dans un univers singulier, hors du temps. Surplombant la piste transformée en lac de sang, une percussionniste hirsute donne le tempo, déclenche des bruits de tempête, de fracas d’orage, tandis que quatre musiciennes font résonner leurs instruments traditionnels, luth, Santour, Tombak et Kamancheh. Sous le regard d’un homme portant un masque d’âne, suspendu dans les airs, le spectacle peut commencer.
« Mon visage découvert ne me dénude pas / Pourquoi porterais-je sur MA tête le poids de TES faiblesses ? / Au lieu de voiler mon visage / Jette un voile sur tes pulsions coupables.»
Durant près de deux heures, le spectateur assiste à une succession de tableaux oniriques composé d’éléments naturels, l’eau et le feu, d’animaux (chevaux, âne, oies, canards, paons) où les femmes magnifiées de la plus belle manière sont au centre de l’attention. Cette piste rouge hémoglobine est le lieu où deux durant elles vont libérer leur rage, leur fougue et leur sensualité. Fil conducteur de ce spectacle, ces amazones aux muscles secs pour les unes et aux silhouettes rondes pour les autres chevauchent leurs destriers poing fièrement levé. Tandis que les chevaux galopent elles virevoltent sur les croupes, évoluent en arabesques autour des selles, sautent dans le public et atterrissent malicieuses sur les genoux des spectateurs.
« Je suis moi, je suis femme, je suis monde »
Parmi les tableaux les plus poétiques, cette danseuse aux gestes délicats et sensuels dans un numéro époustouflant de derviche tourneur, cette circassienne accrochée par le chignon en position du lotus qui virevolte au-dessus de la piste dans une chorégraphie saisissante ces amazones qui traversent le chapiteau au galop avec des voiles immenses qui font penser aux chemtrails que laissent les avions dans le ciel ou encore ce final féérique avec ces braséros qui font des étincelles et forment un étincelant feu d’artifice. Les scènes où les écuyères déclament des poèmes évoquant la condition des femmes ou cette école avec les chaises renversées, sont particulièrement poignantes. Mais ici l’humour n’est pas en reste, comme cette caravane de bédouins chargés de bidon d’eau, pneu, fagots, batterie de cuisine, couvertures, chaise qui avancent clopin-clopant ridicules sur leurs ânes. Cette pièce équestre est jouée avec des images fortes d’une telle précision, un tel sens de l’autodérision, on ne peut en être qu’émus. Courez-y : deux heures durant, vous passez de l’émotion au rire sans aucun temps mort.
Cabaret de l’exil – Femmes Persanes- Bartabas
Jusqu’au 31 mars 2024
Théâtre Equestre Zingaro. Au Fort d’Aubervilliers. 176 Avenue Jean Jaurès, Aubervilliers. www.bartabas.fr