ARSÈNE DOHERTY CONTRE LE DR LO
C’est comme un décor de cinéma… mais en vrai, dans une villa d’Étretat Doherty & Lo ont su réinventer la plus sonic des « Ententes cordiales » avec leur merveilleux « The Fantasy Life Of Poetry & Crime », d’un classicisme irrésistible, cool et aérien, aux climats aussi intemporels que délicatement romantiques qui navigue entre Elton John, les Kinks mais aussi Burt Bacharach, Nino Rota et… Serge Gainsbourg. Inspiré par Lupin, le héros local de Maurice Leblanc, c’est une authentique aventure rock à la manière d’Arsène Doherty contre le Dr Lo… à la veille de leur vaste tournée européenne.
À la veille de leur vaste tournée européenne et après un show au Trianon à Paris qui s’est achevé sous les applaus, Frédéric Lo ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Frederic+Lo ) a accepté de nous livrer les clefs de leur incroyable collaboration qui a donné naissance à leur merveilleux « The Fantasy Life Of Poetry & Crime ». Il y sera forcément question d’Arsène Lupin, d’Étretat, d’une maison particulière et d’une rencontre fusionnelle entre deux personnalités : Pete & Fred.
Mais pour remonter le fil de l’histoire, c’est d’abord à travers un projet d’album hommage de reprises du chanteur de Taxi Girl, que les deux artistes se sont rencontrés. Frédéric a débarqué à Étretat, où vit désormais Peter, pour lui proposer d’enregistrer une reprise de la chanson de Daniel Darc « Inutile Et Hors D’Usage » (Without Used & All Used Up). L’expérience s’est montrée si concluante qu’après cette tentative, ils ont décidé de se lancer dans un album à quatre mains, Pete signant les textes et Frédéric les musiques- mais pas que-Et c’est ainsi qu’est né ce « The Fantasy Life Of Poetry & Crime » dont Frédéric Lo nous retrace la Genèse dans le petit jardin oasis de son appartement du centre de Paris.
« On peut parler de « coup de foudre » artistique réciproque avec Pete Doherty pour qualifier votre relation ?
J’étais heureux de le rencontrer, car j’aimais beaucoup son album solo, même si je n’étais pas un grand fan des Libertines. C’était il y a 20 ans, c’était produit par Mick Jones, mais je n’écoutais plus ça depuis longtemps. Mais juste avant le confinement je voulais faire un album-hommage à Daniel (Darc), un album que je n’ai d’ailleurs pas encore achevé, mais c’est le prochain projet que je dois boucler dès que j’en aurai le temps. Il y a Daho, Jane Birkin, Dominique A, mais je me suis dit : je demanderai ben à deux ou trois artistes anglo-saxons de rejoindre ce projet. Avec Bill (Pritchard) on a fait des versions anglaises et c’est comme ça que j’ai pensé à Peter. Et ce qui est marrant c’est qu’on retrouve aussi Houellebecq dans le casting, car Michel adore « Crêvecœur ». Il va reprendre le « Psaume 23 ».
Ah, quelle sublime chanson chair de poule !
J’avais lu dans un magazine qu’il racontait qu’il l’écoutait en pleurant chez lui, je l’ai donc contacté. Et c’est dans ces circonstances que je contacte Peter. Je vais le voir à Étretat, en Normandie où il s’est installé. Un truc qui est marrant et qui me concerne c’est qu’il a un voisin là-bas qui est Christian Fevret des Inrocks, c’est drôle. Mais bref, à notre première rencontre, on est sur cet hommage à Daniel. A un moment donné, il prend sa guitare, je lui propose deux chansons « Élégie » et « Inutile et hors d’usage », les deux das leur adaptation anglaise. Et il est hyper ému en écoutant le morceau. Il me pose plein de questions. Après, il sort des bières. On passe direct du thé aux bières ! Cela se passe tout de suite très bien entre nous et au fil des heures il me raconte qu’il a arrêté l’héroïne, mais que musicalement il se sentait creux, mais qu’en revanche il parvenait toujours à écrire des textes. Il voulait qu’on enregistre immédiatement le morceau, mais je ne pouvais pas là tout de suite. Cependant, je lui ai proposé de revenir dans une semaine. Ce qui est complètement dingue dans cette histoire c’est que, je ne sais pas si tu connais Étretat, mais tu as la vallée qui est tracée comme ça et les falaises des deux côtés face à la mer. Et là tu as cette super maison où vit Peter.
C’est celle qu’on voit sur la pochette de l’album ?
Non, celle-ci est en face de là où vit Peter. En fait, je me suis fait prêter une maison par un ami, bienfaiteur et fan de musique. Cette maison où nous allons composer tout l’album lui appartient. C’est la pochette de l’album ; et si tu regardes le premier clip, tourné dans ce lieu privilégié, tu découvres une très belle bibliothèque à l’ancienne avec de vrais livres. C’est une authentique maison de vacances, du milieu du 18ème qui appartient à cet ami qui est fan de musique et qui a réussi dans les affaires. C’est vraiment une très belle demeure, avec cette bibliothèque magnifique. Puis arrive notre deuxième rendez-vous, et je lui montre mon ordi, où j’ai un petit matériel de fortune mais qui marche très bien avec un bon micro. On est dans la bibliothèque et on est hyper heureux d’être là.
Toi tu dors dans cette maison et lui dans la sienne à côté.
Voilà. Mais on en est juste sur le jour où on commence à travailler ensemble. Juste avant d’enregistrer, on la répète à nouveau, puis il fait trois prises qui sont magnifiques. On est bluffé par la facilité avec laquelle on arrive à travailler ensemble. On est en juillet 2020, il fait super beau. J’ai du champagne au frais que je sors. On est sur la terrasse. Et là il me dit : « Mais ça ne te dirait pas qu’on continue à faire des choses ensemble. Tu composerais la musique et moi j’écrirais les textes ». Je lui réponds que je vais y penser.
Il avait écouté l’album que tu as fait avec Bill Pritchard ?
Il était au courant, mais je ne sais pas s’il l’avait écouté. Mais après j’ai bien vu que le fait que j’avais fait ce travail avec Daniel et aussi que j’avais bossé avec un Anglais a dû le rassurer. Tout s’est fait avec facilité, avec naturel.
Il y a le côté « écorché vif » du personnage … qui rejoint le côté « écorché vif » de Daniel ? C’est ton coté psy du rock … Dr Lo ?
Honnêtement, je ne sais pas. Ce n’est pas moi qui peux l’analyser ainsi.
Tu ne crois pas qu’ils sentent qu’ils peuvent s’appuyer sur toi ?
Bien entendu, j’essaye effectivement de les aider à retrouver confiance en eux. Cependant, que ce soit Daniel ou que ce soit Peter, je ne pense pas que cela soit l’aspect psychologique, c’est plus leur côté artistique. Je pense que Peter s’il n’avait pas aimé la chanson, il ne m’aurait pas demandé de faire un disque ensuite.
Cela va de soi, mais il y a aussi une question de confiance, de relation humaine…
Justement, je pense justement que la confiance vient du fait que Peter et moi d’un coup on est frères d’armes.
C’est d’abord la relation artistique.
Je pense oui… qui sert de base à instaurer une relation plus vaste. Mais je ne suis pas effrayé non plus, si c’est ce que tu veux dire. J’ai plein d’amis dans la défonce.
Donc pas d’a priori négatif sur la défonce ?
C’est ça. Je pense quand tu as demandé si je pouvais bosser avec des hypersensibles, la réponse est que pour moi il n’y a pas de frontières. Je ne suis pas là non plus pour juger quiconque. Mais je pense que c’est tout simplement qu’on se rencontre, et que de toute manière les raccourcis pour moi sont stupides. Une grande partie des musiciens qu’on a aimé se sont défoncés à des moments donnés. Mais ce n’est pas non plus parce qu’ils se sont défoncés qu’ils sont devenus de grands musiciens. C’est juste à des moments une façon pour eux de gérer le truc. Keith Richards par exemple le dit bien dans son bouquin.
« Life » !
Oui car derrière le masque ce sont juste des gens, ce sont juste des hommes. Quand je suis avec Daniel ou quand je suis avec ce ne sont que deux artistes qui sont ensemble. Il n’y a pas un gourou et son disciple. Il y a juste à un moment donné deux gars qui secroisent et d’un coup ils se demandent : Et si on travaillait ensemble ? A partir du moment où l’on te demande de travailler ensemble, tu te dis : Ah oui c’est sympa de l’envisager, pourquoi pas… j’ai peut-être des idées. En fait, là sur le moment je n’en avais pas tant que ça. On sortait du deuxième confinement où j’avais fait un autre album pour moi. Et je me dis : Ce que j’ai fait pour moi, je vais me le garder et je vais composer de nouvelles choses pour ce nouveau projet.
Tu parles d’un album qui n’est pas sorti et qu’on n’a pas entendu ?
Voilà. Je dis à Pete qu’on peut se revoir à la rentrée en septembre. Mi-aout, je suis chez les en vacances dans les Alpes. J’ai toujours une guitare avec moi en vacances. Et j’adore ces moments-là où tu es plongé dans un autre univers, ce sont souvent des moments où je compose. En pensant à Peter, cette opportunité…mais en même temps sans savoir si le type avait balancé des paroles en l’air ou pas. Et c’est à ce moment-là qu’il m’appelle et me dit : ( il prend un accent British) Ah, Frederic c’est bon, j’ai déjà des textes et donc je suis à Paris demain, on se voit ? Je ne lui ai même pas avoué que j’étais en vacances. Je lui dis : Pas de problème, OK pour 14 heures. Je laisse femme et enfants et voilà je repars à Paris. On se retrouve chez Jeannette, un café à Strasbourg Saint Denis. A côté on a le studio pour nous mais tu ne perds pas de temps car avec les anglo-saxons tu dois aller à l’essentiel. Je lui joue la première chanson au piano et là, je ne plaisante pas, il se met à genoux et me dit : « Je ne pensais pas que ce serait aussi beau. S’il te plait, pourrais-je avoir le privilège de chanter sur ta musique ? ».
On le comprends, tu as sans doute lu mon analyse de « The Fantasy Life of Poetry & Crime ? » ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/doherty-lo-the-fantasy-life-of-poetry-and-crime.html ). La musique est pleine d’influences, de clins d’œil, d’émotions, de la nostalgie et on comprend qu’il ait craqué. C’est du bel ouvrage, comme on dit !
Ça s’est fait comme ça, directement.
Celle qui sert de jingle à « Quotidien » « The Epidemiologist » tout particulièrement, elle est de la veine de Gainsbourg, de Burt Bacharach et c’est d’un top niveau. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si l’émission de Barthès l’a choisie pour la matraquer au… quotidien !
Tu sais comment ça se passe, moi je n’étais même pas au courant car je ne regarde pas la télé. Ce sont des potes qui me disent : tiens il y a ton morceau sur « Quotidien ».
Ah mais tous les jours… et tant mieux. Mais ce n’est qu’un exemple sur tout l’album…
Écoute, donc cette première fois, je lui propose quatre ou cinq morceaux.
Au piano ou à la guitare ?
Les deux ; en fait entre le moment où il me propose cette collaboration et le moment où je le revois, il s’est passé une quinzaine de jours. Et durant ces 15 jours j’ai posé plusieurs chansons et j’ai aussi retrouvé des trucs. Car parfois j’ai des trucs en stock, tu as des compositions qui reviennent.
Tu as des carnets ? Des fichiers ? Des trucs organisés, quoi ?
Oui et non.
Tout est dans la tête ?
Oui j’ai des trucs là aussi car j’en ai plein là-dedans. Mais parfois j’aime aussi la théorie de McCartney, même si ce n’est pas lui qui l’a inventé, il en parle souvent. Par moment si tu as un projet les trucs que tu as composé qui peuvent être essentiels, ils reviennent forcément. Tu dois t’en souvenir.
Ça remonte à la surface naturellement ?
Ouais. Donc j’avais deux ou trois morceaux comme ça et en tout je lui ai proposé quatre ou cinq chansons, parmi lesquelles il y avait « The Epidemiologist » dont tu parlais et que j’avais justement faite en vacances. Et aussi la chanson-titre « The Fantasy Life of Poetry & Crime » ainsi que « Yes I Wear a Mask ».
Ce n’était pas un handicap pour toi de ne faire que les musiques ?
Le truc que je trouve marrant c’est qu’au tout début, on ne s’est pas dit : on fait un album. On s’est juste dit : ça ne te dirait pas qu’on essaye de faire des choses ensemble ? Ensuite quand Pete aime les musiques que je lui propose, moi je trouve cela génial qu’il les chante. Mais je ne pense même pas que cela va aboutir à un album dont je vais être co-artiste. Mais en même temps, cela peut te paraitre bizarre, mais moi je n’ai pas de hiérarchie. Dans les articles qui me sont parfois consacrés, on parle de discrétion. Je trouve ça vachement paradoxal par rapport au vrai sujet ; j’ai l’impression qu’on parle d’autre chose que ce que tu veux faire. Si tu es fan des Beatles, tu sais très bien ce que fait George Martin, ce sont des visions assez manichéennes. Quand tu n’es que compositeur, tu n’es que compositeur. Y a-t-il une hiérarchie dans la création à ce moment-là ? Ou je vais prendre l’inverse : prenons un album où il y a juste qu’un interprète. Même si la personne ne fait que chanter ça devient SON album.
Johnny Hallyday a écrit trois chansons sur les trois mille qu’il a chantées !
Quant Michel Berger écrit « Tennessee » est ce que ça veut dire qu’il est discret ? Est-ce que ça veut dire qu’il est dans l’ombre ? C’est ce rapport-là que je trouve toujours moyen. L’énorme avantage qu’on a avec Peter c‘est qu’on est tout e suite sur la même longueur d’ondes. On est un duo de song-writers.
Et tout se fait naturellement.
Oui, totalement naturellement.
Sans interférence de maison de disque, de directeur artistique, de manager, d’avocat ?
Non.
Vous avez fait ça en francs-tireurs.
C’est ça, mais c’est ce que je préfère. Car on partage le même amour pour les duo de song-writers tels Baharach et David, Lieber et Stoller, Richards and Jagger ou Lennon et McCartney. D’ailleurs sur certains trucs, j’ai aussi trouvé certaines phrases. Peter m’a tout de suite dit : on co-signe à 50/50 et c’est ce qui m’a tout de suite plu. Le fait d’être en francs-tireurs de toute façon rend toujours les choses plus naturelles.
Mais souvent il y a un label, une machine de production industrielle derrière. Vous avez tout fait seuls. Et une fois que tout a été bouclé, vous avez décidé de voir ce que vous alliez en faire.
C’est ça.
Il n’y a pas eu de contrat signé entre vous ?
Non, non, non.
Une seule question néanmoins me traverse la tête : si Pete n’avait pas été en France, un tel projet aurait-il pu voir le jour ?
C’est la magie du hasard et des rencontres. Ça rejoint ce que je disais tout à l’heure, on ne peut pas forcer le destin.
Comment l’album a-t-il été accueilli en Angleterre ? Moi j’ai vu passer de super papiers dans le NME et ça semble carrément dithyrambique !
Ce qui est marrant avec Peter c’est qu’on a fait une semaine de promo en Angleterre, qui s’est très bien passée. On a été diffusé sur BBC 6 beaucoup plus que d’habitude. Certes, il y a toujours quelques personnes pour te descendre, comme ce papier à charge dans the Guardian bourré de stéréotypes sur Peter et moi. Mais on a fait une semaine de concerts acoustiques qu’on démarre au fameux 100 Club et c’est plein; le lendemain, on joue au Cavern de Liverpool et ils nous font une surprise. Ils nous conduisent à leur « wall of fame », où sur des briques tu retrouves tant de gens influents qui y ont joué. Et ils nous sortent une plaque avec nos deux noms ! J’étais comme un dingue. Donc, effectivement les concerts là-bas se sont hyper bien passés. C’était dans de petites salles. Moi j’avais peur au début en me demandant comment ils allaient m’accueillir les Britons. Et en fait, ils étaient super gentils. Ils adorent le disque. Et j’étais aussi très content pour Peter.
Le retour du « fils prodige », en jouant sur les mots ?
C’est ça.
Rarement le terme « rédemption » n’aura pris autant de sens. Il a touché le fond de la piscine et il est remonté à la lumière. Il y a une vraie joie de vivre dans ces chansons. C‘est d’ailleurs ce que d’aucuns peuvent vous reprocher, ceux qui vénèrent le culte du rocker maudit et torturé.
Ils sont très minoritaires. La plupart des gens se disent effectivement touchés par l’album.
Vu que vous étiez en roue libre sans chaperon de maison de disque, comment avez-vous imaginé cette production ?
En fait, c’est quelque chose dont Peter ne se soucie pas vraiment. Il n’arrive pas à se concentrer autant et aussi longtemps devant la console. Mais pour revenir à ce côté rebelle, moi j’ai déjàconnu ça avec Daniel avec des fans hard-core qui te parlent tout le temps de son album « Nijinsky ». Le mec se plante devant toi pour te raconter l’album que j’aurais dû faire. Moi je leur dis simplement : Mais pourquoi tu ne l’as pas fait toi-même ? Moi je ne cherche pas à ce que cela sonne comme ils aiment. Et sur scène de toue manière c’est différent, c’est comme un groupe de rock. Sur disque tu peux avoir des cordes, c’est mieux produit.
Et là pour la tournée, vous aurez un vrai groupe avec batteur, claviers, guitariste etc… combien serez-vous au juste ?
En fait, on a eu des formules à géométries variables. Sur le film diffusé sur Arte on est 10, avec deux guitares. Là sur la tournée à Paris et à Londres on aura un quatuor. Et sinon on est cinq. Peter ne joue pas de guitare, c’est moi le guitariste. On est guitare basse claviers et batterie. Ce n’est même pas le groupe que moi j’aurais choisi car c’est son batteur de son groupe d’avant et la claviers c’est sa femme.
Bon et je me suis beaucoup planté sur ma chronique de l’album par rapport à ses références musicales ? Elvis Costello, par exemple c’est une référence ?
Il a toujours été mon héros. C’est marrant, mais justement sur le thème des références…
Les Kinks aussi qu’on retrouve à plein de moments.
Oui, il y a vraiment des choses que j’ai écoutées gamin. Après, je suis plus dans un truc particulier et plus dans une globalité. Je vais te donner un exemple : peut-être ce que j’aime beaucoup moi dans les groupes des années 60 c’est qu’à la fois tu as le rock, tu as la Brit-pop des Kinks ou des Stones et cela correspond à une émancipation dans l’après-guerre. Mais ce que j’aime aussi c’est que ces gens-là, c’est qu’en fait leurs arrangeurs sont des gens qui sont issus du classique. Et j’aime ce mélange là; ce rapport de la pop et du classique. J’aime le fait que ça soit de la grande musique pour la masse. Sur ce terrain-là, j’ai une vision presque communiste. Je hais l’idée qu’on refile de la pourriture à la masse, moi j’aime l’inverse. Si tu prends les grands maitres du classique Mozart, Bach, Ravel… même si au début c’était pour la cour, malgré tout ça traversait le temps ; cce sont des pop-songs, en fait. Et nous qualifier en disant : Fred il amène le côté français et Peter il apporte le truc anglais… c’est trop réducteur
Justement, cela ne sonne pas très français, à l’exception des quelques mots de français égrenés par Peter au fil des chansons. Musicalement cela sonne au contraire très British…
Ce que j’aime par-dessus tout, ce sont les ping-pongs. Si on prend Brel qui n’est pas vraiment français mais belge, revu en fait par Mort Shuman qui écrivait des chansons pour Presley, il fait des versions anglaises car il veut faire découvrir Brel aux Anglais, du coup Brel est chanté par Scott Walker. Or Scott Walker est l’idole de Bowie, donc Bowie reprend « Amsterdam » et « My Death » ( « La mort » en français) . En même temps Brel adore « L’homme de la Mancha » sur Don Quichotte et d’un coup tu réalises qu’ « Amsterdam » c’est un plagiat de « Greenslesves » ( « Les genets verts ») une chanson traditionnelle du Moyen-âge… qui est même reprise par Cohen, et quand même un thème celtique à la base…
… tout se rejoint et il n’y a que des passerelles !
Après, il y a aussi les fantasmes, moi j’aurais rêvé d’être à Londres en 62 et Peter rêvait d’être à Saint-Germain des Prés de l’entre deux guerres. Ce sont toujours ces fantasmes de mômes qui font que tu rêvais d’être écrivain aux cotés de Rimbaud. Un des trucs qu’il aime, parce qu’il aime découvrir des trucs, il aime Brassens. Moi j’adore aussi Brassens. Il faut reconnaitre que c’est un mélodiste hors-pair. Et quand tu prends des mélodies de Brassens, elles ont un coté folklore italien qu’on peut retrouver dans Ennio Morricone ou encore chez Nino Rota dans « Le Parrain » … tout est imbriqué ! Pour moi ces influences sont vraiment planétaires.
Donc ce qui m’apparaissait comme « super British » en fait ne l’était pas tant que ça !
Ça l’est peut-être ou ça ne l’est peut-être pas, je ne sais pas. Quand j’ai composé le thème de « Fantasy Life Of Poetry & Crime » je me suis dit : c’est bizarre ça vient d’où ? Tu te demandes même si tu ne l’as pas volé. Et puis suivant que tu l’orientes un peu, sur une rythmique un peu à la Clash ; mais en même temps le thème ça pourrait être un thème du « Parrain » si tu le mets en instrumental. tu ne sais pas si c’est un thème yiddish ou bien un thème populaire folklorique . En fait, j’ai toujours travaillé à l’instinct, me demandant ce qui pouvait m’émouvoir ou me faire bouger ? Mon fils ainé à 16 ans, mais lorsqu’il a 5 ans je l’inscris au conservatoire. Moi j’avais fait un peu de classique quand j’étais môme et après j’avais arrêté. Et je me dis : c’est complétement con, j’adore étudier, j’ai une maitrise d’informatique scientifique orienté justement sur l’échantillonnage et toutes ces théories mathématiques au service du son, de la transmission. Et donc en fait je me renseigne et je prends des cours pour adultes. J’ai fait un cursus de cinq ans là-bas. Après j’avais étudié seul l’harmonie, mais là je découvre un truc complétement idiot c’est que mes 30 années d’empirisme m’ont empêché d’avoir accès à 500 années en fait et soudain Bach ou bien Ravel font irruption dans ta vie et d’un coup tu découvres plein de passerelles. Tu écoutes d’autres choses, j’ai redécouvert des choses que j’aimais. Je passe du coq à l’âne mais j’ai mis du temps gamin à écouter du jazz soit Chet Baker soit Gil Evans qui a su piller Debussy et Ravel et c’est normal.
En fait tout le monde pique à tout le monde !
Oui et aussi tout le monde apprend aussi. Une autre de mes obsessions c’est Nadia Boulanger. Avec sa sœur, elles sont à Pigalle et elles donnent des cours dans les années 60 à plus de mille élèves. Et tu sais qui comptent parmi ces élèves ? On retrouve Quincy Jones, Philip Glass, Michel Legrand, Steve Reich, une liste incroyable. Ce qui est fou dans cette histoire avec Peter , c’est que moi je suis devant un Anglais, j’ai bossé souvent avec des anglo-saxons, j’ai bossé avec Bill ( Pritchard) mais aussi avec Steve Nye, Robert Wyatt, pas mal d’ingénieur du son anglais comme Chris Thomas, je suis souvent allé à Londres. J’ai enregistré des cordes à Abbey road… imagine des frontières, mais en fait il n’y a pas de frontières. Et donc ces gars-là venaient tous en France pour la musique. Souviens-toi il y a eu un moment quand même où la France au début du XXème siècle avait les plus grands compositeurs avec Debussy, Ravel, Satie … Pourquoi d’un coup « Waterloo Sunset » je trouve ça merveilleux ? Parce qu’en fait Ray Davies, comme McCartney, ont eux aussi ce bagage classique. Je ne dis pas qu’il faut forcément l’avoir, mais ils ont un truc en plus qui fait que la mélodie est à la fois évidente car ce sont des chansons qui se chantonnent, mais en même temps elles ont un supplément d’âme issue de toute cette culture. McCartney dit tout le temps qu’il ne sait pas lire la musique, mais moi je ne le crois pas. Il participait tout le temps à des fêtes familiales où son père jouait avec le reste de la famille. Mais lorsqu’il a 10 ou 12 ans son père est atteint d’une maladie et il sait déjà jouer plus de 100 chansons folkloriques anglaises. Quant à Costello, son père est chanteur dans un Big band et ils font danser les gens dans les salles des fêtes. Son père a tous les disques, alors forcément, il apprend les morceaux des Beatles avant que tout le monde ne les ait. Costello est un de ces artistes qui sait agrandir son spectre, il n’est pas juste sur un truc. J’aime bien aussi les gens qui font toujours la même chose, mais faire une bonne chanson il faut que cela soit hyper simple, mais en même temps qu’il y ait aussi quelques astuces.
Sinon on se lasse ?
Si tu te fais chier, tu fais chier tout le monde. Et puis encore une fois tout cela c’est juste de la gazoline pour préserver sa flamme. »
Avec Pete & Fred la gazoline ne semble effectivement pas prête de se tarir. Le duo s’embarque dans une jolie tournée Européenne entamée jeudi à Paris. Ils étaient hier à Cologne et ce soir ils vont faire salle comble au Metropol de Berlin, avant d’enchainer avec la Hollande, la Belgique puis l’Angleterre pour six dates jusqu’au 20 mai prochain… en attendant la France. Si vous vivez dans ces territoires, ne ratez pas cette belle opportunité rock, ce serait sérieusement ballot !