GAY ET LIBANAIS LE PHENOMENE ROCK MASHROU’LEILA
Avec ses dix ans d’existence, le quintet Mahrou’Leila est incontestablement le groupe de rock le plus populaire du Liban. Mais le plus incroyable c’est que ces 5 garçons ne se contentent pas de jouer les Coldplay du Proche-Orient, ils sont aussi les plus fervents défenseurs de la cause LGBT, dans une région où l’on est si facilement persécuté pour ses préférences sexuelles. Phénomène, dans tous les sens du terme, aussi bien social que musical, Mahrou’Leila en tournée européenne est ce soir en concert à Londres avant d’investir l’Olympia jeudi prochain le 14 mars de leur rock multicolore.
Synthés, guitares électriques, cool vibrations, à première vue Mashrou’Leila sonne comme beaucoup de formations pop-rock de notre époque. Pourtant, si l’on tend un peu l’oreille, on est immédiatement subjugué par la beauté de son chant en arabe. Car Mashrou’Leila est originaire de Beyrouth et depuis dix ans ce sont des superstars, non seulement au pays du Cèdre, mais dans tout le Moyen-Orient. Le plus incroyable c’est qu’ils sont en pointe dans le combat pour l’égalité des droits des homosexuels dans une région où règne le plus souvent une implacable homophobie. Selon leur biographie, le groupe s’est formé en février 2008 à l’American University of Beyrouth, lorsque le violoniste Haig Papazian, le guitariste André Chedid et le pianiste Omaya Malaeb ont publié une petite annonce pour inviter les musiciens qui voulaient les rejoindre pour faire le bœuf. Et oublier ainsi dans la musique tous les tracas causés par les incessantes tensions politiques communautaires. Sur les 12 musiciens qui répondent « présents » ce jour-là, la moitié va former le noyau nucléaire de Mashrou’Leila. Leur nom « relation sans lendemain » est un hommage à cette toute première jam-session. C’est aussi un clin d’œil local puisque le prénom Leila est un des plus répandus localement. Un premier album éponyme sort un an plus tard et Mashrou’Leila prend définitivement son envol. Avec son cocktail musical où se mêlent rock, musique électronique, pop, racines arméniennes et bien entendu leur vaste héritage oriental, le quintet parvient à s’imposer dans toute la région. Mais ce sont surtout les textes à la fois débordants d’humour et engagés politiquement qui forgent la popularité de Mashrou’Leila. Par exemple, les neuf chansons de leur tout premier album abordent des sujets aussi tabous que l’amour, la guerre, la politique, la sécurité et l’assassinat politique, le matérialisme, l’immigration et l’homosexualité.
« Au début, nous n’avions pas d’expectatives « , explique au Guardian le batteur Carl Gerges dans un mélange d’anglais et de français. « Le groupe n’était pas fait pour durer éternellement. Cela se reflétait dans le choix notre nom, qui revendique une « relation sans lendemain. »
Le chanteur Hamed Sinno se révèle être un interprète flamboyant avec une présence scénique électrique, sa voix formidable est aussi puissante et émotionnelle lorsqu’elle vocalise en duo avec le violon enflammé de Haig Papazian. Avec leur soutien affirmé à la défense des droits pour les gays Mashrou’Leila ne craint pas la polémique et se retrouve ipso facto porte-parole de la communauté LGBTQ du Moyen-Orient. « Il ne peut pas être aussi absurde pour l’imagination occidentale qu’il y ait beaucoup d’Arabes libéraux qui prônent la diversité sexuelle « , poursuit le chanteur. « Les oublier à cause de l’oppression de la liberté d’expression dans leur pays respectif est une injustice extrême. »
Pour ces positions jugées trop libérales, ils ont été, à deux reprises, interdits de se produire en Jordanie. « Ils ont prétendu que le groupe était immoral, que nous incitions les gens à devenir révolutionnaires », raconte l’instrumentiste et compositeur Firas Abou Fakher au Guardian. De même, lors d’un de leur concert, face à 35 000 personnes au Caire, l’apparition de deux drapeaux arc-en-ciel dans la foule a scandalisé la presse égyptienne. Des rumeurs ont couru que le concert avait été une orgie géante et que le groupe était en prison. Le gouvernement égyptien a carrément arrêté 75 personnes qu’il soupçonnait d’être homosexuelles dans la répression qui a suivi. Il reste décidément encore du chemin à faire pour Mashrou’Leila.
Cependant, le groupe ne lâchera pas l’affaire, refusant de s’autocensurer et poursuivant sa quête inlassable pour la tolérance. « Dans le climat politique actuel, le fait que les gens puissent associer l’arabe, non pas à l’intégrisme islamique et à la terreur, mais à l’apprentissage de l’ouverture, c’est déjà une belle victoire politique « , conclue Sinno avec optimisme. Mashrou’Leila sera en concert jeudi prochain à Paris et son rock multicolore ne devrait pas manquer de faire vibrer l’Olympia.