ZIGGY MARLEY A JAMAÏCAN IN JAMAÏCA

 

Ziggy Marley  

Voici 30 ans dans BEST, BB rencontrait pour la première fois Ziggy Marley, le fils prodige de Bob et de Rita, tout juste âgé de vingt ans, pour un entretien candide et émouvant, dans la foulée de son cool running « Tomorrow People ». Spécialiste éclairé du reggae, Bruno Blum vient de traduire « So many things to say » par Roger Steffens aux éditions Robert Laffont, le recueil ultime des témoignages les plus précieux de ceux qui ont vécu et partagé la vie de Bob Marley. Ride on…

 

 

Ziggy Marley by JY Legras

Ziggy Marley by JY Legras

De son vrai nom David Nesta « Ziggy » Marley, est le 3éme enfant du couple formé par Bob et Rita Marley, après ses deux sœurs Sharon et Cedella. Avec ses frangins, dés 1979, il forme les Melody Makers qui publient leur tout premier single « Children Playing In the Street », une chanson composée par Bob pour ses gamins. Après son premier LP de Ziggy Marley & the Melody Makers « Play the Game Right”, cette année 1988, lorsque Bruno Blum, accompagné du fidèle Jean Yves Legras, tend son micro à l’héritier de Bob, c’est pour accompagner la sortie du deuxième 33 tours, le lumineux « Conscious Party » propulsé par l’irrésistible et joyeux « Tomorrow People ». Précieuse rencontre et intense flashback avec l’homme qui vient de publier la traduction de l’épatant « So many things to say » par Roger Steffens aux éditions Robert Laffont ( voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/so-much-things-to-say.html  ) 

 

 

Publié dans le numéro 241 de BEST sous le titre

ZIGGY-FILS-D’ÉTOILE

 

« « Quand j’ouvre la bouche, c’est comme ça que ça sort », dit Ziggy Marley qui  ne voit rien que de naturel à chanter le reggae avec la voix de son illustre père. » Christian LEBRUN

 

Ziggy est le fils du prophète. Le rejeton de Rita et Bob Marlev aura sans doute énormément de mal à s’ériger aussi haut que son illustrissime géniteur, même si, comme d’autres descendants de célébrités tels que Hank Williams junior, Nancy Sinatra ou Julian Lennon, le petit Ziggy Marley vend du disque. Mais après tout, pourquoi pas ? La tâche sera vraiment rude, surtout quand on sait que le génial Bob avait déjà, à l’âge de dix- neuf ans, une dizaine de tubes derrière lui. Ziggv et ses Melody Makers ont tout de même sorti trois albums parfaitement dignes, réellement talentueux, bien qu’inégaux, et son exceptionnel auteur-compositeur-interprète-prophète de père ne lui interdit pas son propre talent. Tout le monde ne peut pas être James Brown ou Martin Luther King, et si Ziggy n’a pour l’instant peut-être pas encore fait reculer les limites de la créativité, il s’impose en fait clairement comme le prolongement incarné de l’œuvre de son auguste papa. Le son de ses disques ressemble à s’y méprendre à celui des Wailers et sa voix est incontournablement animée d’une grâce divine, puisqu’il a hérité du timbre exact de son père. Ce fait troublant s’ajoute à un mimétisme naturel dans le feeling. Alors que nous nous installons à côté de lui, avant d’aborder l’interview, Ziggy nous chante trois chansons, deux de lui, et « Redemption Song » le titre que son père enregistra seul à la guitare sèche juste avant de mourir  “Old Pirates Yes They Rob l, And Sold Us To The Marchant Ships…” Campé derrière sa guitare, le gamin a fait courir des frissons dans la chambre d’hôtel. Un ange est passé…"Conscious Party"

 

« As-tu bien connu ton père ?

Combien l’ai-je connu ? Je ne sais pas. Le plus longtemps que j’ai vécu avec lui c’est… Disons que l’avoir connu, me connaître moi-même, ainsi que de connaître mes frères et mes sœurs, c’est cela que m’a donné mon père, c’est comme s’il s’était donné lui-méme, tu comprends ? Et c’est probablement tout ce que je sais de lui. C’est à travers ça. Mais… les choses de lui que je ne vois pas, je devrais les connaître, car je suis son fils, et d’une certaine façon, ce doit être là, en moi. Donc il y a une bonne partie de lui que je connais, mais que je n’ai pas vue. Tu comprends ? Tout ce que j’ai à faire, c’est de rester tel que je suis. Même si certains n’ont pas toujours l’air de penser que cette partie-là de moi-même est semblable à lui, alors que moi, je le sais. Sinon, le temps que j’ai passé avec lui, physiquement, je ne sais pas combien il a duré. Mais je sais que la totalité de ce temps a été bonne et importante. Il ne me parlait pas beaucoup, il n’a jamais été bavard ni extraverti. J’en ai parlé avec mes frères, il ne racontait pas de blagues et il parlait vraiment peu, sauf quand il faisait des interviews. C’est pour ce que certains l’ont trouvé timide. D’autres l’ont trouvé peu sûr de lui, d’autres fatigué, las. Mais ce n’était pas ça. Il parlait peu, c’est tout. Il ne la ramenait pas, il gardait à l’intérieur de lui ce qu’il avait sur le cœur, parce que ce n’est pas bon de le raconter. Donc on ne discutait pas trop, comme un père et un fils peuvent le faire. Mais je le voyais à la télé !

Tu l’as vu jouer et chanter ?

Une ou deux fois, oui, je l’ai vu sur scène. Mais j’ai surtout eu l’occasion de le voir jammer à la maison, comme ça.

Il t’a appris la musique, la guitare ?

Il m’a dit : « Chante avec le ventre ! » C’était une leçon importante, quand il m’a dit ça.

Tout le monde trouve, moi y compris, que ta voix ressemble incroyablement à la sienne. Qu’en penses-tu ?

C’est parce que je chante comme ça (Il recommence à jouer « Redemption Song »…. « Ol’ Pirates Yes They Rob l…” Je ne peux pas le chanter comme ceci  « Ol’ Pirates Yes They Rob l… » (avec une voix grave) Non, tu vois ? Je n’ai pas de problème avec ça, parce que c’est de cette façon-là que je chante, c’est comme ça que ça vient. J’aurais un problème si je ne chantais pas comme ça et que j’essayais consciemment de chanter comme mon père. J’aurais un problème avec moi-même. Je ne serais pas moi-même, j’imiterais, je copierais. Donc, ça ne m’ennuie pas, tout ça, puisque c’est ainsi que moi je chante naturellement. Quand j ‘ouvre la bouche, c’est comme ça que ça sort. Mais les diverses chansons de mes disques sont différentes, et je les chante de façon différente. Je ne pense pas qu’elles sonnent toutes comme celles de mon père. Je crois que ça va s’accentuer dans le futur, et que plus le temps va passer et plus je pourrai affirmer ma personnalité, qui sera différente de celle de mon père.

Cela dit, je suis surpris que tu ne joues pas plus avec les Wailers, qui accompagnaient ton père, comme Tyrone Downie, « Family Man » Aston Barrett, ils sont très bons.

Il n’y a pas de raison particulière (Tyrone Downie, claviers, est présent sur le dernier 33 tours « Conscious Party » ainsi que sa mère Rita qui fut une des excellentes choristes de Bob). Il y a beaucoup de bons musiciens en Jamaïque, et ce n’est pas parce que mon père était musicien que je dois jouer avec les mêmes que lui, ça ne veut rien dire. On joue avec Tyrone, cela dit, et en fait notre premier album était avec les Wailers, qui nous ont aidés au début. Mais on ne veut favoriser personne, on cherche juste des musiciens, on est des musiciens. Et maintenant ça fonctionne sans les Wailers, on ne les voit plus beaucoup. (Rappelons tout de même que Carlton Barrett, le batteur, a été assassiné l’année dernière, peu de temps après avoir enregistré le  « Jerusalem » d’Alpha Blondy )

Qu’est-ce que tu essayes de faire ?

Je suis jeune, et pour commencer je suis très à cheval sur mes principes.

Quel genre de principes ?

Ma foi en Jah. Je n’aime pas trop en parler, d’ailleurs. Parfois je me demande quel est mon but sur terre, quel genre de but, même. Et je me dis qu’il n’est pas toujours bon de vider son cœur. Je te dirai ce que tu me demandes. Moi je m’occupe de mon père avant tout, et mon père c’est Jah. Je n’ai pas besoin de raconter mes sentiments sur Jah. C’est une relation très personnelle, quoi. Et quand j’en parle, je ne dis pas tout, même parfois à moi-même, je suis effronté ! Révéler les choses avant qu’elles ne se produisent, ce n’est pas bon. En cet instant présent, nous vivons un instant d’un rêve. Si je dis que je veux qu’une chose se produise, elle peut ne pas se produire, et  pff… Alors que je préfère qu’elle se produise toute seule, et là, je la prends telle qu’elle est. Et je dois dire que je prends beaucoup de plaisir dans ces principes spirituels, qui sont d’obéir au Père, et de vivre selon ce qu’il me donne et ce que son amour me donne.Ziggy

C’est à lui de jouer.

C’est à lui, et c’est à moi, il m’a donné le pouvoir de penser pour moi même. Il pense pour lui-même, et moi aussi. Ceux qui sont proches de Dieu, quelle qu’en soit leur conception, comprennent ce. C’est à lui de jouer, mais à moi aussi, aussi fort que je puisse être dans ma foi. Je crois à ce que je fais. Rien ne peut l’arrêter, tu sais. Et si je rencontre quelqu’un qui essaye de me persuader que ce que je fais n’est pas réel, je ne l’écoute pas, car pour moi la chose la plus importante dans ma musique, c’est d’être réel, d’être vrai, d’être moi même. Parce qu’il y a toute cette argumentation comme quoi je ferais de l’imitation. Je veux être vrai, sinon je ne peux rien être du tout. Tu comprends ?

En Jamaïque, les gens t’apprécient-ils ? Ils te trouvent vrai ?

Ya Man. Les Jamaïquains sont très… critiques. La plupart d’entre eux me connaissent, tu vois ? Mais ils savent que je suis vrai, que je suis sincère, que je suis un «  real man ». Ils m’aiment, ils aiment ça quand quelqu’un arrive à faire quelque chose, quand on arrive à monter aussi haut que nous. Ils adorent ça. Ça leur donne envie de réussir aussi.

Oui est-ce qui marche fort en ce moment là-bas ?

Half-Pint, Frankie Paul. Et puis surtout les D.J‘s. C’est ça qui marche, mais tous les artistes marchent, en Jamaïque. Si Michael Jackson venait là-bas, il y aurait du monde l

Frankie Paul, tu dis ? C’est donc toujours le reggae style « Lover’s Rock », les vibrations là-bas ?

Yah Man. C’est ça les vibrations.

Ce n’est pas tout à fait ton style.

Non, mais ils aiment ce que je fais, Ils s’en foutent, et puis moi mon truc c’est d’être versatile. Je plante des choux, je plante du maïs, je plante des bananes, je plante de tout, je ne me limite pas. Et on les mange tous ! Il y a le Lover’s Rock, le D.J.’s, et ce qu’on appelle les «chanteurs ». Moi je suis un chanteur.

Et tu ne fais pas de toaster (rap local) ?

Non, c’est Steve mon petit frère qui fait ça (Les Melody Makers sont un groupe vocal composé de Ziggy (alias David), Cedella, Sharon et Steve Marley. Ziggy est devant). Je toaste un peu, bien sûr, mais ça ne m’est pas très naturel. Les Jamaïquains aiment tout, man, si la chanson est bonne, ils adorent.

Tu vis en Jamaïque ? À Klngston ?

Yeah.

Et Rita, ta mère ?

On habite tous ensemble.

Et les bureaux Tuff Gong, le label, le studio. Ils existent toujours ?

Oui, mais pas à l’endroit d’origine.

Ce n’est plus à Hope road !

Non, ça maintenant, c’est le Bob Marley Museum ! Tuff Gong c’est en ville, à Marcus Garvey drive.

Raconte-moi comment c’est chez toi ? Comment vous vivez, jouez. Tout le groupe habite là ?

Non, il y en a une partie qui vit à Chicago, et le reste habite en Jamaïque. Ils sont presque tous Éthiopiens. Quand ils ont quitté l’Afrique, ils se sont installés è Chicago. On ne se voit pratiquement que pour répéter, quand on a un show, ou un disque à faire. Nous on habite en famille, dans une grande maison, on a des vaches, des moutons, des poulets des ânes, des chèvres, beaucoup de plantes, et une petite piscine aussi.

Tu as combien de frères et de sœurs ?

Six frères et six sœurs. Mais il n’y a que six d’entre eux qui habitent là.

Ils font de la musique !

Non, ils vont à l’école! Tu sais, quand on a grandi, on n’avait pas de piscine, on n’avait qu’une petite maison, et on mangeait les plantes qui poussaient dans le jardin. Alors on ne se sert pas beaucoup de la piscine, on va plutôt à la mer, mais surtout à la rivière, qui se trouve au bout de notre rue.

Ça a l’air super ! Vous avez aussi un studio ?

Non, juste les instruments. On fait la jam toute la journée. Les musiciens viennent de Chicago pour répéter à Kingston, quand il le faut. Et puis on joue un peu avec les gens du coin, mais je jamme surtout avec mes frères. Plus il y a de musiciens, plus on est contents. On ne dépend pas d’une seule équipe.

Ziggy Marley by JY Legras

Ziggy Marley by JY Legras

Tu écris tes chansons seul ?

Oui. Parfois avec mon frère, ou d’autres qui ont des idées, mes autres frères et sœurs.

Tu es l’aîné ?

L’ainé des garçons. Ma grande sœur Sharon, qui a vingt-quatre ans, chante aussi dans un autre groupe.

La vie est comment en Jamaïque ?

Eh bien, nous, on jamme en rond avec nos copains, au soleil. Mais la plupart des gens se réveillent avec une seule idée en tête : aller travailler. Ceux qui ne travaillent pas vont voler. Et ceux qui ne volent pas sont mendiants. Voilà, c’est comme ça. Les hommes font ce qu’ils ont à faire pour survivre.

La vie est dure en Jamaïque, non ?

Elle est dure pour certains. Elle est dure pour les pauvres. Et ils sont en majorité.

Tu veux y vivre ?

Oui.

Tu ne déménagerais pas en Angleterre ?

Non ! Ni en Amérique ! Ce que j’aime en Jamaïque, ce sont les gens. Quel que soit leur niveau de pauvreté, ils rient tout le temps. Les vibrations sont bonnes, pleines de vie. Ce n’est pas comme en Éthiopie où tout le monde crève de faim. La Jamaïque ce n’est pas à ce point-là. Les gens n’ont pas de voiture. Certains pensent que c’est un mal. Les gens n’ont que de petits deux-pièces. Ils pensent que ce n’est pas assez. Mais d’autres n’ont qu’à peine de quoi manger, ils n’ont pas de travail.

Il y a beaucoup de fruits sur les arbres…

Ah oui, mais pas dans la ville. Pas à Trenchtown. En ville tu ne peux cueillir que des mangues. Mais moi j’ai de la chance, je suis musicien, je n’ai rien à faire pour survivre. Je n’ai qu’à me préoccuper des enregistrements, tout ça. Comme mon père était dans la musique, j’ai fait comme lui, sans me poser de questions, et toute ma vie j’ai chanté. Enfant, j’étais avec lui en studio. Je jouais avec des tas de gens, on se produisait à un endroit qui s’appelle Skateland, dans le centre, vers Half-Way Tree.

Et maintenant, vous jouez où ?

Au « Reggae Sunsplash » ! »

Propos recueillis par Bruno BLUM

Publié dans le numéro 241 de BEST daté d’aout 1988BEST 241

SO MUCH THINGS TO SAY

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