YES « Close to the Edge »

YESC’est incontestablement le LP le plus populaire de Yes !  Cinquième et épique album de la formation planante de Londres « Close To the Edge » se voit enfin honoré d’une version Deluxe éblouissante qui étincelle de tout son éclat dans une somptueuse réédition version coffret– 1 vinyle, 5 CD, 1 Blu-ray. Bref, la totale pour cet album considéré comme la pierre angulaire du rock progressif British, un manifeste symphonique et grandiose qui est un peu à Yes ce que « Dark Side … » est au Floyd et qui n’a rien perdu de sa superbe, plus d’un demi-siècle après sa naissance, comme le prouve cette chronique enamourée de JCM notre fameux post hippie de service qui en est resté… baba !

YESPar Jean-Christophe MARY

Lorsque « Close to the Edge » paraît à l’été 1972, la jeunesse britannique et une bonne partie de l’Occident est en quête d’un ailleurs spirituel, artistique, esthétique. Dans les 60’s, le psychédélisme a ouvert les portes de la perception, mais les Beatles ne sont plus et le rock cherche une nouvelle voie. Le début des 70’ marque l’âge d’or du rock progressif. Yes, groupe fondé à la fin des années 1960, répond à ce vide par une proposition ambitieuse : un art total, complexe, exigeant, qui emprunte au classique, au jazz, à l’électronique et au folklore européen. Genesis sort « Foxtrot », Jethro Tull « Thick As a Brick », King Crimson se réinvente avec « Larks’ Tongues in Aspic ». Mais c’est Yes qui, avec son cinquième 33 tours « Close to the Edge », signe le plus haut sommet de la décennie pour les amateurs d’ambition et de démesure sonore. Dès les premières secondes, le ton est donné : pas de single, pas de refrain, pas de format radio. Seulement trois morceaux, dont un de près de 19 minutes. Le prog n’a jamais aussi bien porté son nom. Àcette époque, Yes est en état de grâce. Chacun des musiciens atteint ici son sommet de créativité. Jon Anderson, au chant, est l’ange gardien de cette messe païenne. Sa voix claire et haute, sans vibrato, traverse les octaves comme un guide mystique. Steve Howe, guitariste de formation classique impressionne par ses riffs massifs, ses picking acoustiques, son jeu pedal-steel country ou de sitar électrique. Armé de sa Rickenbacker Chris Squire, est bien plus qu’un bassiste.  Par sa présence magnétique et son jeu inventif il impose ses lignes mélodiques comme une voix parallèle. Il est l’ossature du son Yes. Quant à Rick Wakeman, flamboyant dans son costume à paillettes, il orchestre pour sa part tout un arsenal de claviers : mellotron, Moog, Hammond, clavecin… Il passe de Bach à Bowie en une mesure. Le batteur Bill Bruford, dont c’est ici le dernier album studio avec Yes, se charge de dynamiter la rythmique. Sa frappe jazz est précise, sèche, mathématique. 

YESComposé de trois structures sonores, l’album offre trois univers bien distincts. “Close to the Edge” (18 min 41) ouvre le disque sur une structure presque religieuse, inspirée du Siddhartha de Hermann Hesse. Divisé en quatre mouvements, le morceau commence par une jungle sonore, bruits d’eau, oiseaux, avant un déluge de contretemps. “The Solid Time of Change” vous prend à la gorge, “Total Mass Retain” resserre les structures, “I Get Up I Get Down” suspend le temps, et “Seasons of Man” fait jaillir l’apocalypse. Voilà un condensé de pop baroque aussi mystique qu’hallucinant. Entre sons naturels, improvisations contrôlées et envolées contrapuntiques, Yes emmène l’auditeur dans une expérience rock transcendante. Le second titre « And You and I comprend quatre sections. Mais cette fois, le lyrisme pastoral prend le pas faisant écho aux cycles de la nature. Les guitares acoustiques d’Howe virevoltent, les nappes sacrées de Mellotron vous prennent à la gorge. Voix suspendue entre extase et liturgie, Anderson chante comme dans un rêve éveillé. Enfin le dernier titre « Siberian Khatru » claque comme un manifeste. C’est la partie la plus “rock”, la plus rythmique. Riffs éclatés, tempo bancal, harmonies vocales tordues, ce morceau habité comporte un break instrumental qui flirte avec le funk. Le vinyle re-masterisé rend justice à la dynamique du mix d’époque. Les cinq CD alternent versions stéréo, prises alternatives, live au Rainbow Theatre de Londres (1972), et un mix inédit signé Steven Wilson. Le Blu-ray, avec son Dolby Atmos, permet d’explorer chaque recoin du son — comme si vous étiez dans le studio. Plus qu’une réédition pour boomers nostalgiques, cet objet est un document historique. Le témoignage d’une époque où le rock cherchait à égaler Mahler ou Debussy.  Plus d’un demi-siècle plus tard, cette édition Super Deluxe, pensée comme une plongée exhaustive dans l’univers de l’album, en restitue la profondeur.

 

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