SOLAAR LEVANT 

 

 Le chateau du roi Solaar

Voici 26 ans, GBD offrait sa toute première télé à une jeune rapper de Maisons-Alfort. Son nom : Claude M’Barali, plus connu désormais sous son alias de MC Solaar. Et tandis que l’ami Claude MC revient après dix longues années de silence avec un 8éme album au nom futé de « Géopoétique », il est temps d’observer dans le rétroviseur et d’assister à l’émergence d’un jeune MC de 22 capable de semer le vent et de récolter le tempo. Tournée pour la télévision, cette première ITW de MC Solaar, en dehors des extraits diffusés dans l’émission Ramdam sur France 3, n’a jamais été publiée auparavant dans son intégralité…it is donc une exclu gégé, pour Gonzomusic 😉

 

 

Solaar studio 3 coolVertigineuse couverture médiatique pour MC Solaar qui multipie les « unes » de magazines tel le Christ ses petits pains. Carrément. Mais comment pourrait-il en être autrement, lorsqu’on sait que avec IAM et NTM, Claude MC constitue le troisiéme pilier du hip hop hexagonal, un monument national et musical qui inspire le plus profond respect. Et aussi la plus profonde nostalgie, corde sensible dont MC Solaar semble vouloir faire usage dans ce « Géopolitique » tout neuf. Annoncé par son futé et percutant « Sonotone », le successeur de son « Chapitre 7 » attendu depuis une décennie compte 19 titres, quelques bonnes surprises et aussi quelques déceptions dont nous reparlerons à la fin de cet article. Pour l’heure, enfourchons à nouveau notre time machine pour remonter jusqu’en novembre 1991. En un seul petit single MC Solaar est déjà parvenu à s’imposer dans l’Hexagone. Pétillant et insolent , énergique et fun, « Bouge de là », décalqué d’un titre obscur de Cymande « The Message » de 1972 exhumé par Boom Bass et Jimmy Jay, est un carton immédiat. A l’automne « Qui sème le vent récolte le tempo » s’apprête à sortir lorsque je propose à Polydor de tourner MC Solaar pour l’émission culturelle de la 3 « Ramdam » où j’oeuvrais alors. Dès le début, faces aux calembours des textes de Claude, je décide de construire le reportage sur un jeu de mots : nous allions nous transporter à Versailles pour tourner « le château du roi Solaar » avant de visiter le studio perso de Bagnolet où il nous interprète « Caroline » et la chanson-titre « Qui sèment le vent récolte le tempo ». Enfin, deux jours plus tard, j’achève mon reportage en filmant Solaar pour sa première scène officielle. Le sujet est diffusé en novembre 1991 sur la 3éme chaine de télévision. On y apprend entre autres que « Bouge de là » a pu être enregistré…grâce à la Française des Jeux, puisqu‘un ticket de Loto gagnant a pu financer l’achat du matos et l’installation du studio où Claude et Jimmy nous reçoivent. 26 ans plus tard, ces images rares et ces déclarations prophétiques capturent un aveuglant lever du Solaar…Flashback….

 le chateau du roi Solaar

« Si nous sommes réunis aujourd’hui dans ta résidence du « Roi Solaar », c’est pour parler de ton premier album.

 Il s’appelle « Qui sème le vent récolte le tempo », c’est  tout un programme. Ne pas se fier aux paroles, c’est-à-dire on peut dire tout ce qu’on veut sur le rap ou sur les musiques en général, l’essentiel c’est que le tempo continue. Et c’est cela justement le programme.

 Le plus étonnant avec MC Solaar c’est que pour une fois on a un rapper qui rappe en français, sans utiliser d’anglais et qui plus est capable de faire bouger notre langue.

La tentative que j’ai amorcée, c’est justement de faire swinguer, d’inventer justement quelque chose qui puisse groover et pour y parvenir puiser quelques influences dans le raggamuffin, pouvoir faire des « montées » pour éviter d’avoir un flow saccadé. Et deuxième point, le plus important : écrire en Français, dans un français assez cohérent et correct. On est ici à Versailles où les poètes, les comédiens venaient jouer pour le roi, là toute l’idée était de vouloir écrire proprement, de faire une discipline « rap français » pure.

Une poésie urbaine aux allitérations et aux litotes ?

Oui, car c’est aussi un exercice rap, par exemple, lorsque je dis : « les salauds salissent Solaar, cela me lasse, mais laisse-les salir Solaar, sur ce…salut » cela prouve que le rap n’est pas seulement parler sur musique mais  que c’est peut être une recherche assez spécifique. C’est ce qui me plait dans le rap, c’est aussi un jeu, et aussi faire passer un message avec ce jeu, d’une manière qui soit artistique : « Ma tactique attaque tous tes tics avec tact, Dominique pas de panique, écoute bien ce fonky beat. »

Et tout cela ne serait jamais arrivé, si tu ne ratais jamais le bus pour aller au lycée ?

Exact, très régulièrement, je ratais mon bus pour aller au lycée, donc je me retrouvais obligé de marcher. Et, quand on marche, soit on observe les voitures passer à côté ou bien on essaye de tchatcher, de trouver des trucs. Et, mon truc à moi, c’était le rap, donc je rappais, je rappais tout au long du chemin. Arrivé en cours, je me disais : tiens, j’ai pas mal évolué, j’ai trouvé des sujets. Et je notais des petits trucs durant cette marche, comme l’école péripatéticienne, en philosophie, où l’on apprenait en marchant, c’est un peu le résultat. Donc, marcher. Se concentrer et bien garder en mémoire tout ce qui nous passe par la tête.

En cours de Français dans les textes, il y avait aussi du rap ?

Oui, il y a des choses qui se rapprochent du rap. Par exemple, quand on entend : pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes (Racine « Andromaque »), on en retrouve l’équivalent dans le rap américain : muse abuse a fuse amuse accuse…des sons qui reviennent assez régulièrement. Mais, pour revenir à Racine, déjà à l’époque, il existait quelque chose qui ressemblait au rap.

Ton pseudo Claude, c’est à cause du soleil, mais pas uniquement ?

Non, pas uniquement à cause du soleil. On m’a surnommé Solaar à cause du soleil, mais en anglais soleil se dit sun. Mais, quand on regarde bien, les gens se sont trompés, en fait, il s’agit d’une énergie solaire, c’est quelque chose qui se dégage. Là, on est devant le château du roi Soleil et actuellement, c’est le roi Solaar qui est présent.Solaar live

Quel âge as-tu Claude ?

J’ai 22 ans depuis peu, mais je vais continuer à avancer, à gagner quelques années tous les ans.

Le premier album va bientôt sortir, mais avant cela il y avait un tube qui est passé sur toutes les radios.

« Bouge de là », oui c’est toute une aventure, c’est partir à rebours des clichés habituels du rap, en général, se dire toujours vainqueur, toujours rentre dedans. Or, on sait qu’on peut rapper sur un mode « flow » et sans être obligé de crier, on peut faire des choses amusantes ou militantes. « Bouge de là » c’était amusant, c’est quelque chose qui me plait toujours, parce que cela groove. Il y avait une petite recherche mélodique que je trouvais intéressante.

Depuis des années on nous raconte que le rythme du rock n’est pas fait pour la langue française, tout comme le rap.

Je crois que le truc indispensable pour le rock, comme pour tout ce qui est né dans les pays anglo-saxons, c’est que quand cela arrive en France, essayer de faire en sorte de ne pas simplement copier et au contraire de créer quelque chose de Français à l’état pur. C’est seulement de cette manière qu’on peut arriver à s’en sortir et à toucher la France. Et peut-être ainsi pouvoir toucher les États-Unis ou les autres pays. Car chaque pays a sa spécificité et, ce qui plait justement, c’est la différence. Donc essayons de créer quelque chose qui soit nous-même, ici.

Les histoires de cités, de violence, de bagarres c’est un peu loin du BAC Français ?

C’est un peu loin, parce que j’essayais un peu régulièrement d’aller à l’école à chaque fois que je le pouvais. De retour à la zone, on voit ce qui se passe et justement on prend un peu de recul pour analyser, pour en parler. Mais, avec le recul, c’est-à-dire en étant moins violent, et plus, comme une sorte de mise en garde, c’est plus intéressant que d’être dans le feu de l’action et de justement de ne pas voir ce qui se passe autour.

C’est important l’éducation ?

Non, je crois que cela soit  fondamental, mais c’est bien d’avoir un minimum de culture commune, d’aller à l’école et toujours en ayant un but, c’est indispensable.

On a beaucoup parlé récemment de « droit du sang », de « droit du sol », d’« invasion », comment réagis-tu, lorsque tu entends ces choses-là, toi qui a passé vingt et une de tes vingt-deux années en France après être arrivé de Dakar ?

Je trouve que ces termes ont une connotation vachement génétique, comme s’il y avait d’un côté la pureté et, de l’autre côté, une « non-pureté ». Cela évoque un peu ce qui s’est passé il n’y a même pas 50 ans, les années les plus sombres de l’histoire de l’Europe. Et dans l’histoire du Monde. Donc personnellement, sans rentrer dans le détail je ne serai jamais spécialement pour  un endroit à 100% du sang…sang pour sang…Solaar studio

Tu as 22 ans, tu pratiques une musique urbaine, or les gens qui ont acheté « Bouge de là » ne vivent pas tous dans des cités.

C’est ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est lorsque j’ai vu des petits enfants qui chantaient « Bouge de là » chanter à tue tête jusqu’aux branchés qui vont dans boites. Le truc, c’est que c’était en Français, correctement écrit et surtout compréhensible, puisque souvent, c’est ce qu’on reproche au rap que l’on comprend mal. Mais à partir du moment où il y a une histoire et un suivi, cela peut accrocher pas mal de personnes différentes. Bien sûr, les origines du rap sont toujours la banlieue ou les cités, mais si cela s’élargit, cela n’en sera que positif. Il faut essayer de faire le maximum pour faire émerger cette culture. Car il y a aussi les artistes qui font leurs graphes, la beat-box, le DJing, faire connaitre cette culture c’est bien que l’on puisse y accéder grâce à « Bouge de là », grâce à d’autres morceaux, d’autres rappers qui  vont arriver derrière moi.

La culture est faite pour être mélangée ?

Oui, la culture doit se mélanger, mais toujours savoir garder une spécificité, cela est indispensable.

Tu ne regrettes pas de ne pas être allé en fac ?

Non, pas trop. Du moins si je fais quelque chose que j’aime bien. J’ai bien aimé « Bouge de là » et ce que nous avons fait depuis. Et, surtout, j’aime tant la musique, donc je ne regrette pas trop de ne pas avoir poursuivi mes études.

Quand tu auras gagné plein plein plein d’argent avec ta musique, tu t’achèteras un château de Versailles ?

Un château de Versailles ? Peut-être pas. Ou alors, beaucoup plus petit, mais attendons de voir si je gagne plein plein plein d’argent. Mais, je n’ai pas de délires démago, bien que ce soit très beau etc….je pense que  mon château de Versailles  sera certainement plus réduit.

Claude MC n’est pas Bokassa !

Non, je n’y pense pas encore, là je suis dans un univers de sons et de vibrations, alors je vais rester à peu près dans le même délire.

Est-ce que tu es un Claude MC optimiste pour l’avenir ?

Oui, indubitablement. En fait, je suis optimiste, mais je réfléchis trop, alors, de temps en temps, je me freine. Donc, c’est bien qu’il y ait des gens pour me dire de foncer, car sinon je passerai tout mon temps à me poser des questions. »le chateau du roi Solaar

Si tout « a commencé là-bas dans la ville qu’on appelle Maisons-Alfort » c’est à la porte de Bagnolet que nous retrouvons MC Solaar en compagnie de Jimmy Jay. Nous faisons quelques prises musicales avec eux deux, de « Caroline », à « Qui sème le vent récolte le tempo » en passant par « L’histoire de l’art ». Puis je repose quelques questions à Claude et Jimmy.

« Jimmy, vous vous connaissez depuis longtemps avec Claude ?

Ça va faire longtemps, bientôt deux ans. J’ai gagné deux championnats de DJ en 89 et 90.

Comment avez-vous financé ce studio ?

Un jour, on était tous les deux, on ne savait pas quoi faire, alors on a joué au Loto et j’ai eu un peu plus de chance que lui puisque j’ai gagné. Et au lieu de tout claquer dans n’importe quoi, on a tout investi dans ce studio. On a préféré faire ce qu’on avait envie de faire. On a ainsi pu faire nos maquettes et commencer. Et, apparemment, cela ne va pas trop mal.

Claude : au départ on était dans un petit studio niché dans les sous-sols, mais cela n’était absolument pas pro. Alors que désormais on peut prendre tout notre temps avec tout ce matos qu’on a pu acheter. »Solaar live

 

Back to 2017, mais à quoi donc peut bien ressembler le nouvel album d’un MC Solaar de 48 printemps ?

Tout commence par « Intronisation », un medley patchwork kaléidoscope de citations de Solaar, comme un résumé des épisodes précédents dans les séries télé. Dans le tracklisting de 8éme Solaar, on passe direct aux choses sérieuses avec « Sonotone », premier single coup de poing qui aura servi de teaser à l’album où « automne » rime avec « sonotone ».  Drôle d’idée, tout de même de faire un titre dédié à l’âge,  aux acouphènes et qui s’achève par un «  j’aurai voulu te dire  que je m’en vais … » mise en abime subliminale de Serge de son «  je suis venu te dire que je m’en vais ». Avec Claude, le festival de jeux de mots est permanent, à chaque écoute on en découvre de nouveaux, c’est tout ce qui fait la force de cet inclassable rapper. La preuve avec « L’attrape-nigaud » où il balance : « je suis un môme qui veut voir le MOMA ». Sur un beat syncopé, les allitérations les plus frappées s’enchainent sur un rythme vaporeux. Parfois aussi le jeu de mots se fait calembour, comme cet irrésistible :  « je suis tombé dans la trappe nigaud… » ah ah ah ! Après « Frozen Fire » et ses jokes russo latines, « Tarzan & Jane »nous scotche de ses allitérations à répétition, comme une machine gun légère et cool. Musicalement, Claude s’offre le clin d’œil appuyé au thème du « Bon, la Brute et le Truand » où potes rime avec jackpot…LOL …. L’intro simple au piano de « EKSASSAUTE » me fait penser à celle de « Spacer ». Émotionnelle et mélancolique, cette  super compo un peu électro sera sans doute un des prochains singles de ce GRAND Solaar . « La clé », Claude MC s’offre clin d’œil politique, une ode aux micro-partis et à la corruption chez les politiques « je me suis enfermé, pourtant j’avais la clé » puis « Les mirabelles » en slow percuté joue la réminiscence de la première guerre mondiale. Sad et mélancolique. « Méphisto Iblis » c’est un peu « Solaar Pleure ». Il y proclame : « Je suis né sous Balavoine, j’ai grandi sous Balladur je suis devenu baladin donc j’ai vécu à la dure… » not bad ! « Mirabelle » est un vibrant hommage historique à la guerre et au sombre écho d’Oradour sur Glane. « J.A.Z .Z » comme son nom l’indique vibre d’un beat jazz qui rappelle la « Concubine de l’hémoglobine » et qui réveille le souvenir de sa collaboration avec Gangstarr  pour Jazzmatazz « Le Bien le Mal ». Maureen Angot de sa voix douce et sensuelle répond à Claude en featuring.

Géopoétique

Avec « Super Gainsbarre ( feat Maureen Angot) » on peut dire que le rapper  porte un hommage appuyé et mélodique à « Initiales BB sans oublier l’ auto clin d’œil à son propre « Nouveau Western ». Les choristes y ont l’accent anglais, comme « Comic Strip » ou « You’re Under Arrest ». Claude multiplie les références à « l’homme à la tête de chou » à  « Lola rastaquouère »,  « Orang Outan »,  « Colic Strip » ou Di Doo Dah » en citations directes de Serge Gainsbourg. « I Need Gloves » et ses citations de  Victoria Secret  est une Top model story qui évoque bien entendu son bon vieux «Victime de la mode ». Avec « Adam & Ève » on glisse avec délectation dans le funky entre Zapp et  le « I Could Never Take the Place of Your Man » de Prince. Titre très  cool et super beat, on tient là sans conteste un autre single possible qui titille le souvenir de « Galatika ». TROP cool ! « On se lève » percuté et entêtant, voire hypnotique, « Zonmé de zombies » voit le retour du fidéle Bambi Cruz . Mais il faut attendre « AIWA » et son rythme électro pétillant, pour retrouver la crème de la crème… solaar (ah ah ah) portée par un son furieusement contemporain à la Zedd ou Calvin Harris. La chanson-titre « Géopoétique » attaque par son intro solo saxe jazzé, puis une guitare  pour une succession de calembours tels que « veux-tu monter  négro ? J’ai descendu la tasse cul sec comme un schnaps du Montenegro »…il a osé…. Mais n’est-il pas MC Solaar ? Il cite » Davis Miles et tous ses miles » , nous écrit des cartes postales de pays exotiques comme  le Yémen ou Jamaïque ou Centrafrique….puis « Pili Pili » pulse son beat africain rumba déjantée, à la Magic System  où « Bamako » rime avec « Monaco et Soweto ». Enfin,  « La venue du MC » apporte sa conclusion de super-production à l’instar d’une BO grandiose à la « Ben-Hur » ou « Kingdom of Heaven ». Alors Solaar or not Solaar ? That’s the question. Sans me livrer ni au massacre à la tronçonneuse un peu de mauvaise foi du collègue de Vice…ni tomber dans le laudatif exacerbé de la presse « intelo » qui de Télérama au Monde en passant par les Inrock ne peut tarir de compliments, moi j’opterais disons une position plus médiane. Oui c’est cool de retrouver Claude. Non ce « Géopoétique » n’est pas un « album génial » même s’il est incontestablement un album qualitatif pour célèbrer le retour de « l’as de trèfle qui pique ton cœur ». Welcome back mister M’barali !

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