LE SON DE LA RÉVOLTE 

MLKDans « Le son de la révolte », Christophe Ylla Somers explore un siècle d’histoire musicale et de lutte afro-américaine. Des chants d’esclaves aux beats du Bronx, en passant par les spirituals, le jazz, le funk ou le hip-hop, autant de genres qui racontent l’oppression, la survie et la fierté d’un peuple luttant contre le racisme systémique aux États-Unis, black aura rarement été jugé aussi beautiful lorsque JCM tend son oreille exercée à cette épique histoire en stéréo de la résistance noire.

Le Son de La RévoltePar Jean-Christophe MARY

 

 

On aurait pu s’attendre à une énième “histoire musicale” pleine de dates et de tubes. Raté. Le son de la révolte de Christophe Ylla-Somers, publié chez Le Mot et le Reste, est une claque. Pas seulement parce qu’il raconte la naissance et l’évolution des musiques noires américaines, mais parce qu’il rappelle que ces musiques n’ont jamais été un divertissement neutre, une bande-son nostalgique. Elles sont la contre-histoire des États-Unis, un manifeste en actes, un poing levé dans l’air vibrant des ghettos, des églises, des clubs et des marches pour les droits civiques. Du spiritual au hip-hop, chaque genre musical naît dans la douleur, la colère ou l’espoir d’un peuple écrasé par des siècles d’esclavage, de ségrégation, de discriminations. De l’esclavage au Black Lives Matter, chaque époque a vu surgir une forme musicale propre aux ghettos. La musique afro-américaine, nous dit l’auteur n’est pas un simple art de vivre ou d’émouvoir, elle est, fondamentalement, une réponse politique à l’injustice. Elle est indissociable de la lutte contre le racisme systémique américain, précisément parce qu’elle en est l’expression la plus directe, la plus intime, la plus universelle. L’auteur ne se contente pas d’une chronique linéaire. Il structure son essai autour de sept chapitres, chacun dédié à un genre musical. Et à chaque étape, il dévoile les ressorts politiques, sociaux, mais aussi esthétiques de ces formes musicales.

BluesNés dans les champs de coton, les spirituals, ces chants religieux des esclaves, mêlent souffrance et espérance. Derrière les paroles bibliques, une double lecture se dessine : la quête de libération divine fait écho à l’aspiration à la liberté terrestre. Comme un hymne clandestin, le “Go Down Moses” devient un code pour fuir, Moïse guidant les esclaves vers la Terre promise, la liberté. Les spirituals, première forme de résistance culturelle, fondent une tradition musicale qui puise sa force dans la foi et la résilience. Le blues, c’est l’âme blessée du Sud qui chante la condition noire à la première personne. Le blues, c’est le journal intime de l’âme noire. Le blues ne dénonce pas, il exprime le travail, le sexe, l’alcool, la solitude. Il la douleur post-esclavagiste dans une Amérique toujours ségrégationniste Dans cette musique née après l’abolition, l’individu noir se raconte sans fard. Le blues, avec ses douze mesures, devient le territoire de la mémoire douloureuse, mais aussi de l’émancipation par le style. Il est un outil de survie psychique dans un monde hostile. Comme son nom l’indique, le blues, c’est brut, cru, incarné. Comme les spirituals, le jazz devient un discours politique. Des big bands swing aux free jazz de Coltrane à Ornette Coleman en passant par Charles Mingus, Max Roach ou Nina Simone, les artistes l’utilisent pour dénoncer la ségrégation ou soutenir le mouvement des droits civiques dénonçant lynchages, ségrégation. Apparu dans les années 1940, le rythm’n’blues reflète l’essor d’une classe moyenne black, mais aussi la sexualité assumée et la fierté d’exister. C’est une musique dansante, sensuelle, urbaine qui conquiert d’abord les jeunes générations noires, puis blanches.

ShaftAvec la soul, la musique noire entre dans sa dimension prophétique.  De Sam Cooke à Aretha Franklin, la soul devient la bande-son du mouvement des droits civiques, le prolongement des discours de Martin Luther King ou de Malcolm X. Aretha Franklin, Marvin Gaye, Curtis Mayfield, autant de voix qui chantent l’amour et la justice, la tendresse et la colère. Le gospel la nourrit, les luttes l’inspirent. Le chapitre consacré à la soul est l’un des plus poignants du livre. On y sent le basculement des années 60, quand la musique devient le prolongement naturel de la révolution des esprits. “Say it loud: I’m Black and I’m proud!” crie James Brown. Avec sa rythmique martiale et ses basses explosives, le funk est l’expression fière et physique d’une identité noire assumée. Avec Parliament puis Funkadelic , George Clinton installe la science-fiction dans le ghetto, le délire collectif dans la rage individuelle. « Funk is war ». L’auteur montre comment cette musique redonne au corps noir une centralité, une beauté, une puissance refusée par l’Amérique blanche. Dernier chapitre de cette épopée, le hip-hop naît dans le Bronx délabré, ravagé par la pauvreté. Il parle, sans filtre, de la violence policière, du chômage, du racisme ordinaire. De Public Enemy à Kendrick Lamar, Ylla-Somers suit le fil rouge de cette colère lyrique, de cette lucidité urbaine. Le hip-hop, loin de s’être dilué, demeure un miroir brutal des fractures sociales américaines. Avec « Le son de la révolte », Christophe Ylla-Somers signe un ouvrage engagé. En dépliant une généalogie des sons révoltés, il rappelle que la musique afro-américaine est un espace de résistance, de mémoire, et de conscience. Une voix qui, depuis les champs de coton jusqu’aux scènes rap contemporaines, continue de dénoncer l’injustice et de chanter la liberté. Un livre à lire, à méditer, et à écouter.

 

 

Le Son de La Révolte« Le son de la révolte : une histoire politique de la musique noire américaine »

 Par Christophe Ylla-Somers 

 Le Mot et le Reste 

 

 

 

 

 

 

 

 

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