KATE BUSH “The Sensual World”
Voici 30 ans dans BEST, GBD documentait le sixième épisode des aventures de Kate Bush, le délicat et émotionnel “The Sensual World” album-concept largement inspiré de l’« Ulysse » de James Joyce. Pour ce CD, j’avais également rencontré en Angleterre la diva du rock british pour un entretien aussi rare qu’exclusif que vous retrouverez next week dans votre Gonzomusic.
Que dire de ce successeur de « The Whole Story » sorti trois ans auparavant ? Trois décennies après sa publication, hantée par cette culture celte qui irradie son œuvre, Kate Bush prouve qu’elle n’a rien perdu de la mystérieuse fascination qu’elle exerce sur nous depuis son tout premier hit « Wuthering Heights », lui aussi inspiré par la littérature. Trois décennies se sont écoulées et cette musique n’a pas pris la moindre ride. Et je l’avais pressenti, écrivant alors : « d’une sensibilité exacerbée dans l’art de composer des mélodies qui esquivent tous les directs et les uppercuts du temps ? ». En attendant la semaine prochaine et la (re) publication de mon interview avec la Kate parue dans le même numéro de BEST… flashback sonique !
Publié dans le numéro 256 de BEST
Depuis quatre années déjà, la Bush était close. Elle l’ouvre enfin à nouveau aujourd’hui avec son sixième LP studio aux sonorités tribulations qui nous mènent de Londres à Dublin en passant par Belgrade et Athènes. Papillon évanescent, Batwoman aux ailes déployées avant l’heure, héroïne poudrée d’une néo-comedia del arte futuriste, Kate Bush a toujours su opposer sa fragilité extrême face aux courants tumultueux qui secouent notre univers. Et ce trémolo au fond de sa voix, n’est-il pas comme le roseau qui plie sous le vent, un signe tangible d’une sensibilité exacerbée dans l’art de composer des mélodies qui esquivent tous les directs et les uppercuts du temps ? Le monde est sensuel et sans suite, Kate Bush lui imprime son romantisme aux couleurs de l’automne, une langoureuse mélancolie qui monte doucement comme une nappe de brouillard. Dés le premier titre « The Sensual World », qui offre son blaze à l’album, Kate déroule le fil de son imagination dans un décor de cloches, de fifres, de violes et de bouzoukis pour retracer l’odyssée de Léopold Bloom, l’Ulysse de l’Irlandais Joyce dans son périple du 16 octobre 1904. Les héritiers de Joyce lui ayant refusé l’usage du texte original, la Bush recrée de toutes pièces la musicalité des phrases alambiquées par l’absence totale de ponctuation. Élémentaire, cher docteur Freud, la fibre irlandaise de l’auteur d’Ulysse ne se confond-elle pas avec celle de la chanteuse ? De même pour « The Fog », titre aérien sur le passage à l’âge adulte, Kate utilise carrément la voix du Docteur Bush, son papa, injectée sur la harpe celtique d’Alan Stivell et quelques cris de mouettes. Et la voix de Kate monte aussi haut que Hurlevent dans de parfaites réminiscences de « Wuthering Heights » où sa voix s’enfuit jusqu’a l’Extrême-Orient « The Sensual World » c’est aussi la dimension interne et intimiste de Kate Bush, un placard secret entr’ouvert où l’on retrouve pêle-mêle ses amours, la queue de son chat, son frangin, ses copains comme David Gilmour et le vertige de la découverte d’un monde global où l’on voyage de Dublin à Belgrade sans même passer par la case « départ. » Et si l’empire des sens de la Bush peut parfois paraitre mièvre ou carrément ra-gna-gna, si ses miaulements vous font carrément le même effet que la craie sur le tableau noir, ce monde-la décidément n’est pas fait pour vous.
Publié dans le numéro 256 de BEST daté de novembre 1989