JUICE WRLD “Death Race For Love”
Mieux vaut tard que jamais, publié en mars dernier, j’avais carrément raté la sortie du fulgurant second CD du rapper de Chicago. Hélas, avec le décès soudain de Juice WRLD dimanche dernier par OD à 21 ans, cette ultime et brillante galette de blackitude agitée prend hélas une toute autre dimension puisqu’on y retrouve tous les indices qui annoncent l’issue tragique. RIP Jarad Anthony Higgins, “Death Race For Love” sera ton testament.
Sous sa pochette en forme de jaquette de jeu vidéo inspiré de « Twisted Metal » sur Playstation, “Death Race For Love” sera donc le testament rapologique d’un jeune homme surdoué qui aura brulé la vie par les deux bouts de la chandelle, 22 chansons qui prouvent de la manière la plus cinglante que le kid derrière le succès de son « Lucid Dreams » publié l’an passé s’inscrivait dans la lignée des nouveaux héros du rap derrière les locomotives Kendrick Lamar, Kodak Black, Anderson. Paak, Post Malone, le regretté XXXTemptation ou son collègue Lil Tecca. Hélas, trois fois hélas, les opioïdes assassins qui nous ont déjà volé Jackson, Prince ou même Tom Petty en ont décidé autrement. Juice WRLD nous a quittés le week-end dernier (Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/mort-tragique-de-juice-wrld-a-21-ans.html et aussi https://gonzomusic.fr/juice-wrld-pris-de-convulsions-lors-dun-controle-de-police-a-fait-une-od-dopioides.html ) et seule demeure cette voix juvénile qui porte ce flow mélancolique et nonchalant qui nous habite dès le premier titre « Empty ,» puissante soul contemporaine, qui rétroactivement sonne comme terriblement prophétique :
« Comme un vide sanitaire, c’est un endroit sombre où je me promène.
Il n’y a pas de bonne façon, juste la mauvaise façon que je connais.
Je résous des problèmes avec le polystyrène expansé
Mon monde tourne autour d’un trou noir
Le même trou noir qui est à la place de mon âme.
Vide, je me sens tellement vide. (…)
La vie devient dure, la merde devient réelle
Je ne sais pas comment me sentir.
Avaler toutes ces pilules ».
Et, un peu plus loin la phrase qui fait froid dans le dos, sachant que c’est effectivement le site TMZ qui a annoncé, comme bien trop souvent hélas, le premier son décès par OD.
« Ces putes agissent comme des ragots, TMZ
Ces médicaments agissent comme des moustiques qui m’écrasent
Oh mon Dieu, oh moi, comme ils me tuent lentement
Seul, je n’ai pas connu la paix.
OD, sensation de surdose
J’ai cherché les signes de la mort de mon père.
Mais tout ce que je peux trouver, c’est un signe des temps ».
Franchement, cela déchire le cœur !
Cool tempo et saveur latine avec « Maze », d’une déconcertante simplicité. Sur l’entêtante comateuse « HeMotions », Juice WRLD nie être un « drug addict » mais se définit plus comme un « love adict » mettant ses émotions au premier plan. Toujours en slow-motion, malgré son titre, « Fast » porte aussi sa référence directe aux fucking cachets gobés : « I took to many pills/ Count up the bills (J’ai pris trop de pilules, j’ai compté les factures). Tubesque love song electrochoquée « Hear Me Calling » sonne pourtant comme un SOS, sorte de « message dans la bouteille » habitée par la détresse. La seconde plus longue composition de l’album, 4 minutes lorsque toutes les autres, signe des temps, durent toutes moins de trois minutes, l’irrésistible « Roberry » n’est pas une ode aux médocs…mais au Cognac qui sert à les avaler « Oof, ce Hennessy est très fort, mon gars ». Débordant de spleen, porté par son piano, elle ne peut laisser indifférente. Tout comme la suivante, l’intense et entêtante « Flaws and Sins », où il cite justement le poison qui l’a tué, ce putain de Percocet, comme si l’issue fatale lui semblait déjà inévitable. Porté par son flow délicat et sa simplicité naïve, « Feeling » se révèle juste irrésistible, mais à nouveau la fête est gachée par le texte vocalisé, car le feeling en question , ce sentiment en lui est encore voué à ce « Perc », la merde qui l’a tué :
« Les Percs me donnent un sentiment, je le sens (je le sens, ayy)
Les Percs me donnent un sentiment, je le ressens (Mec, bordel)
Carte noire, hey
J’ai un sentiment
Les Percs m’aident à le ressentir, je le sens, euh
Problèmes, je les engourdis et les dissimule ».
Avec « Who Shot Cupid » on pourrait être dans une simple love-song urbaine, scandée sur un beat acoustique, mais à nouveau la drogue s’immisce et vient gâcher la fête :
« Oh, toutes les filles sont pareilles, pareilles, pareilles, pareilles
Deux pilules bleues au cerveau, cerveau, cerveau, cerveau
Ouais, ton cerveau me manque un peu.
Et je parie que mon visage te manque »
Encore une comptine enfantine puissante, portée par une boucle en forme de riff de guitare sur « Ring Ring » où, hélas, le sentiment de solitude n’est comblé que par la dope et les cauchemars qu’elle occasionne :
« Ironique comme quelque chose de clair m’a fait voir du brouillard.
Quelque chose ne va pas avec les pilules, mais je les ai achetées.
Quelque chose ne va pas dans ma tête, alors j’ai perdu la tête.
La drogue me tourne le ciboulot, puis je cours, c’est un robinet.
Mais ce n’est pas de l’eau, c’est du vin.
Je suis fatigué, je suis fatigué de me défoncer, c’est épuisant.
On m’a dit que ça s’améliorait avec le temps. »
Unique featuring starifié par la présence de Young Thug, sur « ON GOD » Jarad invoque DIEU CINQUANTE SIX FOIS en 4 minutes et on ne peut résister à ce frisson qui nous parcoure. Déchirante et bad trip, ce « 10 Feet » qui nous ramène à la funeste perquisition lorsque les stups ont découvert « en plus des 41 pochons de weed et du stock de Percocet , 6 bouteilles de sirop contre la toux », car on comprend soudain que le sirop sert en fait à avaler les médocs, alternativement au Cognac : «
Le Chapelier fou, l’emballeur de Perc
La mère destructive
Le Perc mélangé au sirop fait de moi un entrepreneur
Un coup sec, si haut que je ne peux plus parler.
Ça fait trois semaines, je n’ai toujours pas atteint mon maximum ».
Sans doute une de mes favorites, « Won’t Let Go » pulse sur un sample guitaristique qui ressemble à un segment extrait de l’intro du « Blank Generation » de Richard Hell. Émotionnelle, c’est un cri d’amour pour une fille à laquelle il ne renoncera jamais. Soudain le défoncé redevient fleur bleue et cela fend d’autant le cœur : si seulement Juice s’était contenté de chanter ses romances teen agers…what a fucking waste ! Même trouble adolescent avec « She’s The One » qui aurait pu être son « she loves you yeah yeah yeah… » si seulement… avec des lyrics aussi inventifs que « Mais revenons à toi, bébé, tu es à toi seule une œuvre de Picasso. ». Enfin, l’album crêve-coeur s’achève sur l’entêtante « Make Believe » et c’est juste 2:22 de bonheur sonique, même s’il évoque une glauque histoire de rupture, qui pourrait bien s’achever en drame, comme le fameux « Stan » d’Eminem. Juice WRLD n’a pas cessé, tout au long du disque, de semer des indices, de tirer des feux de détresse, de lancer ses appels au secours, mais ni nous, ni ses parents, ni ses managers, ni son label, ni ses fans ne les ont entendus et il est parti, à jamais. Puisse ce gâchis nous éclairer pour qu’il ne se reproduise plus, pour qu’on oublie les quatre chevaliers de l’Apocalypse Fentanyl, Vicodin, OxyContin et Percocet ! Tristement cette « course à la mort pour l’amour » portait trop bien son titre. Salut gamin !