JACQUES DUTRONC « Et Moi Et Moi Et Moi »
Et moi, et moi et moi », Paris s’éveille », J’aime les filles » ou encore « Les Cactus ». Des tubes et quels tubes. Un an après la fin de sa tournée triomphale avec son fils Thomas, Jacques Dutronc est de retour, mais ni sur disque ni sur scène, sur un mode littéraire avec une autobiographie. La sienne, écrite par ses propres soins., contrairement à bon nombre de ses confrères C’est donc avec un plaisir extrême que l’on découvre son texte truffé de confidences inédites dûment analysé par JCM, somme toute c’est carrément Dutronc par Dutronc !
Par Jean Christophe MARY
« La guerre et la nuit ne vont pas ensemble. Je déconseille de naître la nuit, en pleine guerre, par exemple. Ça m’est arrivé : c’est une mauvaise idée. C’était en 1943, le 28 avril. Courir dans Paris en bravant le couvre-feu, sans laissez-passer, ça aussi, je le déconseille. Mais mon père n’avait pas le choix : Madeleine, sa femme, était sur le point de m’infliger la vie. Il a filé demander de l’aide au commissariat le plus proche : il est tombé sur la Kommandantur, le seul bâtiment éclairé. Là, on lui a indiqué le poste de police, qui a envoyé une estafette. J’ai donc été à deux doigts de naître dans un panier à salade. Finalement, j’ai attendu d’être à la clinique, près de la porte de Champerret, pour pousser mon premier cri. Il était 5 h 20 du matin. Je n’étais pas le premier enfant du couple : mon frère Philippe m’avait précédé dans cet emploi. Je n’étais pas non plus le premier Jacques Dutronc : on m’a donné le prénom d’un de mes oncles, mort au champ d’honneur, le 7 juin 1940. Avant de naître, j’avais donc déjà ma tombe au Père-Lachaise. J’avais pris de l’avance ».
Depuis sa première apparition publique, au milieu des 60’s, jusqu’à son retour sur scène en 2010 après 17 ans d’absence, Jacques Dutronc est demeuré une énigme. Chanteur, il a imposé un style inimitable, où le détachement se mêle à l’élégance et à la provocation. Acteur, il a incarné, toujours avec le même naturel, des personnages aériens ou fiévreux. Avec Françoise Hardy, il a formé un couple devenu mythique presque malgré lui. Dans ce livre truffé d’anecdotes souvent cocasses, Jacques Dutronc se raconte pour la première fois et lève le voile sur son parcours. À travers une foule de confidences inédites, l’image d’un autre Dutronc se dessine au fil des pages. Le chanteur nous raconte le plus simplement possible et avec l’humour qu’on lui connait comment tout est arrivé. « Je ne voulais pas du tout être chanteur, musicien peut-être à la limite » raconte-t-il, lui qui a grandi dans une famille baignée par la musique. « Toute la famille jouait au moins d’un instrument, déchiffrait parfaitement la musique ». À 16 ans le jeune Dutronc tombe malade : « ne sachant pas trop quoi faire dans le pieu du matin au soir, j’ai commencé à toucher la guitare ». Sous sa plume parfois acerbe, on découvre l’épopée unique d’une star qui n’a jamais voulu en être une, mais qui a toujours assumé son rôle avec distinction et panache, portant la désinvolture et l’autodérision au rang d’art de vivre. Un des chapitres s’intitule d’ailleurs « désinvolte, dilettante et provocateur ». « Il fallait que les gens me cataloguent comme je ne sais quoi. Désinvolte peut-être oui, alors que c’est faux. Je prenais ça très au sérieux ».
A partir de 1973, pour échapper aux galas où il faut souvent se battre pour se faire payer, Jacques Dutronc entame une carrière d’acteur au cinéma, avec Antoine et Sébastien de Jean-Marie Perier. Il tournera par la suite pour Claude Lelouch, Andrzej Żuławski, Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Mocky, Claude Chabrol. En 1992, il obtient le César du meilleur acteur pour Van Gogh de Maurice Pialat. La encore de belles rencontres avec des acteurs, Jean Luisi, Jean Rochefort, là encore il nous livre des détails croustillants sur les demandes de réalisateurs, Żuławski « tu vas te coucher là et Romy ( Schneider) va se masturber à côté de toi ! » ou l’univers du cinéma : « si j’aime bien le cinéma , c’est qu’on te prend en charge, on t’écrit tes dialogues, on te nourrit on t’emmène te coucher. Ce qu’il y a de mieux c’est la loge, un havre de paix où on est protégé. Les gens s’imaginent que tu es en train de revoir ton texte de prier comme un matador avant d’entrer dans l’arène alors que tu bois tranquillement une bière ». Cet ouvrage est très intéressant aussi parce qu’il restitue les événements dans le contexte de leur époque. La Trinité, Johnny Hallyday, Les Play-Boys, les premiers galas, Jacques Lanzmann, Serge Gainsbourg, les escapades marocaines, Maurice Pialat, Claude Sautet, Jean-Luc Godard, Merde in France, les cigares, l’alcool, la Corse… À sa façon inimitable, Jacques Dutronc se souvient et raconte. Plus qu’une autobiographie, Jacques Dutronc écrit le roman d’une vie placée sous le signe de la fête et de l’amitié, de l’humour et de la liberté. Un ouvrage qui se lit d’une traite. Qu’on se dise !
« Et Moi Et Moi Et Moi ». Éditions du Cherche Midi.