JACKSON BROWNE « Downhill from Everywhere »
À l’heure où Tom Petty n’est plus parmi nous, la présence solaire de Jackson Browne parait toujours plus précieuse. Cet album, son 15ème à 72 ans c’est comme un vieil ami retrouvé après sept ans d’absence depuis “Standing In the Breach” et c’est un pur bonheur. Sublimes balades et rocks engagés cohabitent sous le signe de l’harmonie et de la mélodie dans ce « Downhill from Everywhere », incontestable héros sonique de notre été 21.
Si l’on m’avait dit un jour que dans le même album Jackson Browne – que je suis depuis mon adolescence et que j’ai eu la chance d’interviewer ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Jackson+Browne+ ) – vocaliserait à la fois en français, en espagnol et même en catalan, j’aurais crié au « vol au-dessus d’un nid de coucous ». Et pourtant, en 2021 le chanteur californien né à Heidelberg en Allemagne où son père militaire était alors basé, publie ces 10 nouvelles chansons pimentées par ce mélange linguistique inédit qui laissent toujours autant libre-cours à l’imagination, à la poésie et à l’engagement. Tout commence par ce “Still Looking For Something” qui résume tout l’esprit de notre JB… une quête incessante, un questionnement sur notre monde comme un enseignement perpétuel. Et c’est juste cool as usual à la « Before the Deluge ». Avec « My Cleveland Heart », on plonge dans un rock boogie plus nerveux, dans la foulée de “Hold On Hold Out” où super harmonies percutent la bonne énergie pour tracer une composition parfaitement slide-guitarisée, comme JB en a si bien l’habitude et c’est un hit. « Minutes to Downtown » après son intro piano en forme de balade mélancolique est une chanson climatique aux harmonies ensoleillées, elle est émotionnelle, touchante, lumineuse et cool tandis que « A Human Touch » est un superbe duo avec la chanteuse Leslie Mendelson, extraite d’un documentaire intitulé « 5 B » porté par une slide guitare larmoyante neo country cool ( on pense à « The Load Out ») et un texte qui ne peut laisser quiconque indifférent, après cette longue année de confinement et de solitude planétaire forcée. Plus insouciante « Love Is Love » est délicatement exotique, teintée d’une touche reggae insulaire lente et chaleureuse où la voix de Jackson répond aux harmonies des choristes Chavonne Stewart et Alethea Mills … en français dans le texte « love is love… l’amour c’est l’amour » and it’s so … chic. Puis « L’espoir fait vivre » ajoute Jackson et toujours in french dans cette superbe composition, sans doute la plus francophile de toute sa carrière qui me fait songer au « Honey Don’t Leave LA » de James Taylor. Retour aux choses sérieuses avec « Downhill from Everywhere ». Cette chanson-titre nerveuse marque un retour revendiqué au rock, où énergie rime avec harmonie, sur les traces de son iconique ancêtre « The Pretender » et se grave immédiatement dans le disque dur interne de nos neurones.
Sans doute la plus catchy de tout l’album et un tube en perspective sous ses faux airs d’un hit de Joe Walsh. Puis JB joue et gagne à nouveau en abattant la carte de l’émotion sur « The Dreamer » à la forte influence latine-mexicaine pour un titre bilingue anglais- espagnol dédié aux « dreamers », ces enfants immigrés d’Amérique du sud arrivés mineurs et qui rêvent de vivre dans la lumière aux USA sans plus jamais avoir à se cacher des officiers de l’immigration qui peuvent les déporter à tout moment. À sa prise de fonction Joe Biden a ouvert à 700.000 de ces enfants la porte de la naturalisation, mais ce n’est pas suffisant aux yeux de notre rock troubadour. Autre composition militante, « Until Justice Is real » est carrément engagé dans un rock emblématique « classique JB » aux accents de « Hold On Hold Out » où notre héros chante toujours aussi insurgé « Qu’est-ce que la démocratie ?/ Qu’est-ce que c’est ?/ A quoi ressemblerait-elle ?/Comment se sentirait-elle ?/De mettre l’épaule à la roue/ Et rester avec elle jusqu’à ce que la justice/ Jusqu’à ce que la justice soit réelle ». Puissant et cool à la fois, digne de son collègue le Boss Bruce Springsteen et de leur père à tous, un certain Robert Zimmerman. La suivante « A Little Too Soon To Say” est une analyse mélancolique de la condition humaine comme JB sait si bien le faire depuis les 70’s, trouvant les notes qui nous vont droit au cœur, comme cette balade irrésistible en 6’ et 28’’ de bonheur made in USA, dans la veine de « Late For the Sky ». Mais, coté durée, c’est avec « A Song For Barcelona » que l’ami Jackson se lâche le plus 8’39’’… véritable et puissante déclaration d’amour où le singer- songwriter vocalise carrément… en Catalan et c’est hallucinant de feeling flamenco en l’entendant scander : “Una cançó per Barcelona/ Per respect I future/ Per justícia I la terra, ara som sis milions I un/ Via Laeitana, Gran Via, /Urquinaona, Tarragona, El Parra.lel / Torrent de l’Olla, Carrer de l’Or, o Encarnació/ Plaça del Sol, Plaça del Tripi, Passeig del Born/ Sant Pere mes Alt, / Sant Pere mes Baix/ Carrer Robadors, Carrer Escudallers /Carrer del Mar, Carrer Vérdi /Pinto Fortuny, Marcat dels Encants, Portal del Angel » Du coup, on se croirait presque dans une chanson de Santana et c’est juste incroyable. En près de 9 minutes quasi hypnotiques, on se laisse subjuguer par ce titre, sans doute l’un des plus mémorables de la discographie de JB. Produit par l’artiste lui-même, « Downhill from Everywhere », ce 15ème épisode de ses aventures, se révèle aussi généreux qu’abouti prouvant qu’à plus de 70 balais il n’a plus rien à prouver pour balancer tout ce qui lui passe par la tête : des idées de progrès et de fraternité distillées dans des compositions intemporelles, d’un pur style américain qu’il a défini voici 40 ans lorsqu’il publiait « Saturate Before Using » et qu’il n’a jamais renié. Comme on le comprend !