GEORGE MARTIN : MORT d’UNE LEGENDE DU ROCK
George Martin, le légendaire producteur qui a mis sur orbite la carrière du plus grand groupe de rock de l’univers s’est éteint cette nuit à l’âge de 90 ans. L’ex-Beatles Ringo Starr lui a rendu hommage, publiant sur son compte Twitter « Merci pour tout cet amour et cette gentillesse ». On ignore encore à cette heure la cause du décès du Lord d’Abbey Road. J’avais eu le privilège rare de le rencontrer en 1994 pour la sortie de l’album « « The Glory of Gershwin » car Martin affectionnait tant les comédies musicales classiques d’Hollywood. Flash-back émotionnel…so long dear Mister Martin !
Producteur attitré des Beatles, voici 20 ans, George Martin a voulu retrouver ses racines dorées de ces “musicals” qui ont tant inspiré ses somptueux arrangements des Fab Four avec le projet « The Glory of Gershwin ». Je l’avais rencontré juste avant son départ pour une visite (forcément) gourmande des chais Bordelais. Pour les 80 printemps de Larry Adler, il avait retaillé sur mesures les classiques de George Gershwin pour une vertigineuse brochette de stars qui mêlent leurs voix à l’harmonica dans le plus velouté des swings. Vingt ans après sa sortie et 13 ans après la mort du fameux harmoniciste , « The Glory of Gershwin » n’a pas pris une ride, à l’instar de cet entretien réalisé à Paris en octobre 1994 qui éclaire particulièrement le travail du fameux producer british.
L’interview….
« George Martin: J’ai toujours aimé Gershwin, pour moi l’un des meilleurs compositeurs de ce siècle. Quant j’étais gamin, au lycée, nous avions un groupe, j’avais 16/17 ans et l’on jouait sans cesse du Gershwin. Larry a eu 80 ans en Fèvrier dernier et il souhaitait faire un dernier album. D’abord, il a su convaincre Sting, puis Elton John et enfin moi même. La raison majeure de cet LP hommage à Gershwin, c’est que Larry connaissait à la fois George et Ira et qu’il avait un lien très fort avec eux. Il jouait sans cesse avec eux, ce qui ne gâchait en rien leur amitié. Mais Larry ne chante pas, il se contente de jouer de son harmonica comme un Dieu, nous avons donc enrôlé une foule d’amis pour qu’ils participent à l’album.
Ta production des Beatles était justement influencée par ces comédies musicales?
G.M : Je n’ai jamais consciemment imité Gershwin lorsque j’arrangeais les chansons des Beatles; mais lorsque tu évolues dans la vie tu traverses tant d’influences. Mais il est vrai, que j’ai beaucoup écouté Gershwin et qu’il est là quelque part dans ma tête, comme Cole Porter. La manière dont j’arrange les cordes, c’est ma manière d’arranger les cordes, je n’en connais nulle autre. J’aime la simplicité, si l’on parle d’orchestration, le secret en matière de cordes c’est que chaque instrument de la section n’ait qu’une seule note à jouer à la fois. Une fois que tu atteints le “de vise” c’est à dire que les violons et les violoncelles jouent plusieurs notes, c’est très efficace parfois, mais dans d’autres cas les arrangements en deviennent confus et moi j’aime que les choses soient claires, une ligne claire. Je ne sais pas si Gershwin opérait de la sorte, peut être au niveau des cordes justement, le coté bluesy de certaines notes.
Tous ces artistes réunis sur ce projet étaient des afficionados de Gershwin?
G.M: Bien sur; mais par contre la plupart d’entre eux n’avaient jamais entendu parler de Larry Adler. Mais c’est évidemment la musique de Gershwin qui les a motivé. Larry est un des types les plus incroyables qu’il m’ait été donné de rencontrer. C’est un vieil homme et pourtant il joue encore au tennis, il est toujours actif et ne s’arrête jamais. Et il joue si bien de son harmonica; à 80 ans nul ne peut l’égaler! Il est capable d’interpréter “Summertime” en jouant à la fois du piano et de l’harmonica. L’harmonica de la main droite et le piano de la gauche. Il a tant vécu. Il a quitté l’Amérique à cause de la chasse aux sorcières de l’ère Mac Carthy. La commission des activités anti-américaines lui a demandé de jurer qu’il n’était pas communiste et de témoigner contre ses amis: il a refusé lorsque tant d’autres se laissaient convaincre. Avec le Vietnam, c’était les périodes les plus noires des USA. Il s’est donc exilé en Angleterre voilà pourquoi on le connait peu dans son propre pays où Larry est un homme oublié. Mais nous ne l’avons jamais oublié. Et aujourd’hui avec cet album, il est de retour au pays.
Vous avez enregistré dans ton “Air Studio” perso?
G.M: Oui à Hamstead, près de Londres, dans une ancienne église transformée. Le studio principal est gigantesque, on peut y mettre sans peine un orchestre de 100 musiciens. Nous travaillons souvent pour le cinéma. La plupart des chansons de l’album ont été capturées en live avec un grand orchestre; par exemple pour Sting et Elton nous avons réuni plus de 50 musiciens, un peu moins pour les autres, mais nous avons toujours travaillé dans les conditions du live. Cela délivre une émotion extraordinaire.
G.Martin à Abbey Road avec les Beatles
Entre les enregistrements originaux de Gershwin et aujourd’hui la technologie a vraiment évolué. .
G.M: J’ai commencé il y a bien plus d’années que je souhaite me souvenir à Abbey Road studio; nous avons effectivement commencé à travailler en mono et on faisait des 78 tours. Puis le microsillon est arrivé et avec lui l’enregistrement deux pistes stéréo. En 64 le 4 pistes est arrivé et ça a duré jusqu’en 68 et merveille des merveilles le 8 pistes est arrivé juste à temps pour l’ “album blanc” des Beatles, mais hélas pas assez tôt pour “Sgt Pepper”. Aujourd’hui nous roulons en 48 pistes digitales avec tous les gadgets computerisés possibles. La technologie est presque inquiétante, mais nous la maitrisons parfaitement à Air Studio. Mais elle ne rend pas la musique meilleure; disons que cela peut aider ceux qui manquent d’expérience à faire de meilleurs disques. Mais avec ce Gershwin, nous avons justement souhaité revenir à cette époque où la musique était un art vivant. Bien sur nous l’avons fait en stéréo et en multi-track mais toute l’essence de ces cessions c’est que tout ce qui se trouve sur le disque a été capturé en une fois sans re-re.
On connaissait George Martin, le producteur, il y a aussi George Martin l’auteur.
G.M: En effet, cette semaine sort en Angleterre “Summer Of Love, the story of Sgt Pepper” un résumé de nos vies de milieu 66 jusqu’à la fin 67, une période cruciale où tant de choses se sont déclarées. C’était aussi une époque très significative pour l’Angleterre, une époque historique. Dans ce contexte je raconte tout le développement de cet album si particulier et toutes les histoires qui l’ont entouré. Ca m’a pris trop longtemps pour l’écrire, j’aurais du le sortir voilà deux ans déjà; mon agent littéraire avait même précisé que ce serait peut être bien qu’il sorte avant mon enterrement. J’espère qu’il sortira en France et en français l’an prochain.”
(publié en Novembre 1994 dans le numéro 5 du magazine BUZZ)