DON HENLEY UN AIGLE À PARIS
Voici 30 ans dans BEST ( et sur RFI 😜 ) GBD apprivoisait à Paris un aigle royal originaire de Lindon,Texas, Don Henley chanteur- batteur- guitariste des légendaires Eagles qui publiait son cool 3éme LP « The End of the Innocence » et qui levait au passage le voile sur la séparation des Eagles en 77 après « The Long Run »… et avant leur re-formation en 1994 ainsi que sur le sens caché de son « Hotel California ». Flashback !
Entretien avec un aigle solitaire, Don Henley. Une rencontre comme on s’en souvient toute une vie. La preuve, trois décennies ont beau s’être écoulées, je revois encore Don Henley, accompagné de sa femme et de son fils ainé pénétrer dans mon studio 158 au 5éme étage de la Maison de la Radio où j’assurais « Planète » mon émission quotidienne. Souriant, cool, détendu, extrêmement simple comme savent l’être le plus souvent les Américains, Don Henley était à des années-lumière de la rock star mégalo et nombrilique que son statut de chanteur leader des Eagles ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/eagles-live-at-the-la-forum.html ) pouvait lui accorder. Et c’était magique d’écouter son explication de texte des paroles prophétiques d’« Hotel California ». De surcroit, son LP « The End of the Innocence » porté par ses hits imparables « New York Minute », « The Heart of the Matter” sans oublier la chanson-titre « The End of the Innocence » était d’une très belle facture, bref toutes les planètes étaient alignées pour une discussion aussi cool que fructueuse avec cet aigle qui venait de poser ses griffes dans notre capitale. La preuve…
Publié dans le numéro 255 de BEST sous le titre :
INNOCENCE PRÉSERVÉE
Tora! Tora! Tora! Les aigles attaquent et la discographie en réédition CD du groupe qui incarne le son étalon de la west-coast fait un véritable carton. Pourtant, on sait encore peu de choses sur la fin des Eagles, aussi l’Aigle leader Don Henley retrace les derniers jours des Eagles et nous livre également les clefs du texte brouillard définitif d’« Hotel California ». 1980, Mondale le démocrate affronte Reagan le républicain. Robert Redford, Jackson Browne, Jane Fonda, Hollywood et le rock and roll soutiennent naturellement le Démocrate. En septembre, quelques semaines avant les élections, les Eagles offrent un benefit pour soutenir le candidat ( Démocrate) Walter Mondale, mais dans les backstages c’est le clash : ce sera le tout dernier gig des Aigles.
« Ça s’est très mal passé », explique le Don, « certains des gars n’étaient pas d’accord. On s’est carrément balancé des guitares. Elles ont éclaté et c’était la fin. Nous avons pourtant conservé le secret durant plus de deux ans, car on croyait tous que cela ne durerait pas, que nous finirions par nous retrouver. Comme tous les groupes, nous étions parfois soudés, d’autres fois non. Mais, lorsque nous montions sur scène, on ne laissait jamais nos problèmes persos interférer avec le spectacle. Nous avons toujours essayé de donner aux gens le meilleur de nous-mêmes. Mais nous sommes restés dix ans ensemble, la plupart des groupes ne vivent pas aussi longtemps. On s’était toujours promis d’arrêter tant que nous étions encore au sommet lorsque tant d‘autres préfèrent s‘accrocher inlassablement pour l’appât du gain. Après « The Long Run » – dernier LP studio des Eagles- on ne s‘amusait plus du tout ensemble et tout le pognon du monde ne remplacera jamais un bon pied. La plupart des membres du groupe avaient des femmes et des enfants et ils voulaient passer plus de temps avec eux à la maison. Inversement, d’autres voulaient tourner encore plus ou signer plus de chansons. Sans parler des benefits concerts dont le choix divisait à peu près tout le monde : les Eagles avaient définitivement leur compte. »
Manifestement, Don Henley déteste qu’on lui dise qu’ils incarnaient le nec plus ultra du son californien :
« Quelle frustration c’était pour nous ! Lorsque nous débarquions en Angleterre, ils ne voulaient nous entendre parler que de cooleries ou de coolitude. C’est des conneries, le seul « California sound » c’est celui des Beach Boys. Nos chansons racontaient l‘Amérique et si nous avions un côté cow-boy c’est que nous étions tous originaires du Midwest ou du Sud. Moi, je débarquais de Lindon, un trou du cul texan paumé dans une quatrième dimension à 260 bornes de Dallas. J’ai grandi a l’écoute du R n’B, du rock, de la country. Au Texas, il existe une tradition du blues extrêmement vivace. D’ailleurs, la plupart des héros du genre sont issus du Lone Star State comme T Bone Walker, Bobby Blue Blend. Je crois que comme n‘importe quel kid qui s‘arrache à sa campagne pour monter à la grande ville, je suis tiraillé du côté de mes racines. »
Fils de fermiers de gauche, Don Henley pousse ses potes aiglons sur la piste des concerts de soutien aux cultivateurs sinistrés, contre les essais nucléaires, pour les Indiens d’Amérique, pour la recherche sur le cancer… Desperado ! Quant à « Hotel California », quintessence du rêve-cauchemar du Golden state, combien d’heures de survol les ados des 70’s ont-ils passées sur ce texte alambiqué où l’ombre s’oppose furieusement a la lumière et le Bien au Mal. Sans compter tous ces jeux de mots chausse-trapes à double sens que contient la chanson.
« 1969 était une année charnière essentielle pour la musique américaine. Tant de gens sont morts cette année-là : Hendrix, Joplin… les Beatles se sont séparés cette année-la et tant de changements politiques se sont produits. 69 marque la fin d’une époque, la destruction du rêve peace and love des 60’s. Car les 70’s étaient des années beaucoup plus sombres. Nous avons eu Nixon et la guerre du Vietnam. Lorsque j‘ai débarqué en Californie, dans les 60’s, les gens se retrouvaient dans la rue, sur Sunset Bd pour faire la fête. C’était une époque magique pour la musique, mais quelque chose s’est cassé après 69 et les gens ne se sont plus jamais retrouvés dans la rue. Ils ont commencé à s‘enfermer derrière les murs de leurs villas, c’est ce que je voulais raconter dans cette chanson: il y avait un « esprit », celui d‘une révolution culturelle et il s‘est bel et bien évaporé. En fait, le thème majeur de la chanson traite du matérialisme en Amérique, de la cupidité, de la folie des dollars. Bien et Mal, ombre et lumière… j‘ai utilisé tout un tas de schémas classiques comme ces trucs qu’on t’inculque au cours de philo du lycée. « Hotel California », c’est aussi I’histoire du jeune pionnier à qui on a dit « Go west young man » ; il se retrouve soudain plongé dans la grande ville et ses yeux sont éblouis ».
Et l’épilogue où le héros peut toujours demander sa note, mais n’est jamais autorisé à se tirer ?
« Tous ceux qui vivent dans des méga-cités comme Paris ou LA prétendent toujours qu’ils détestent le speed de cet endroit ; ils rêvent de se casser, mais finissent toujours par rester. Quelque part, toutes mes chansons reflètent inlassablement ce même thème de la perte de I’innocence lorsqu’on nous force à grandir trop vite. »
Et il le prouve : Don Henley fidèle à ses vieux démons d’Hotel California a justement baptisé « The End Of The Innocence » son troisième et nouvel LP solo en dix ans depuis le split des Eagles. Décidément, « you can check out anytime you like, but you can never leave » et si Don était à son tour prisonnier de l’Hôtel ?
Publié dans le numéro 255 de BEST daté d’octobre 1989