CYRANO DE BERGERAC AU FRANÇAIS

Cyrano de BergeracDepuis sa création en 1897 au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le succès de « Cyrano de Bergerac » ne s’est jamais démenti, en France comme à l’étranger. Théâtre, cinéma, les magnifiques vers de l’homme au grand pif n’ont jamais cessé de résonner. Le personnage de Cyrano est même devenu, dans la littérature française, un archétype humain au même titre que Hamlet ou Don Quichotte au point que ses éléments biographiques inventés pour l’occasion occultent ceux de son modèle historique. Le texte de Rostand est au théâtre ce que l’on appelle plus couramment en chanson, un tube. Et pour un comédien, Cyrano est ce que l’Everest représente pour un alpiniste : « c’est un roc, c’est un pic, c’est un cap …qui aurait l’ivresse des hauts sommets … la preuve par Laurent Lafitte dans le rôle-titre !

Cyrano de BergeracPar Jean-Christophe MARY

 

Après Pierre Dux en 1938, Jacques Charon en 1964 et Denis Podalydès en 2006, le metteur en scène Emmanuel Daumas signe cette nouvelle production à la Comédie-Française emmenée par Laurent Laffite égal à lui-même ! Une belle réussite. Elaborée par Edmond Rostand, l’intrigue de ce pacte faustien entre Cyrano (Laurent Lafitte) et Christian (Yoann Gasiorowski) par amour pour Roxane (Jennifer Decker) est riche, tout en contraste et subtilité. Évidemment, le spectateur se délecte de ces vers (plus de 1400 pour le rôle-titre !) de ces tirades célèbres qui sont autant morceaux de bravoure qu’effloraisons sentimentales rehaussées ici et là, de belles saillies comiques. Il faut du panache – mot sur lequel d’ailleurs se termine ce morceau de bravoure dramatique – pour s’emparer de cette comédie héroïque et populaire, dont le héros touche au mythe. Héritier de tant de figures romanesques et dramatiques, de Quasimodo à Don Quichotte en passant par Alceste ou d’Artagnan, personnage également attaché à la personnalité historique du véritable Cyrano, Hercule Savignien Cyrano de Bergerac, soldat et poète, noble gascon éclairé, disciple de Gassendi, célèbre épicurien de son temps, la mise en scène d’une telle œuvre est un sommet qui reste un défi. Emmanuel Daumas le relève dans une mise en scène sobre et efficace qui privilégie avant tout le plaisir du texte.

Cyrano de BergeracSous les feux de cet amour passionnel, l’intention festive explose sur le plateau dès le premier acte. Pleins d’une énergie débordante, les comédiens investissent leurs personnages avec une ardeur touchante. Ils font plier l’alexandrin au rythme de l’expression de leurs sentiments et de leurs actions, au risque d’en faire parfois un peu trop dans l’exaltation du mélange des registres. Par ailleurs comment maîtriser cette fantaisie poétique néoromantique ? C’est l’enjeu principal de la scénographie d’Emmanuel Daumas. Le décor modulable, manipulé à vue par les techniciens (ou les acteurs eux-mêmes !) est conçu pour neutraliser les règles classiques, auxquelles seule l’unité d’action fait ici exception. Échafaudé à partir d’une scène centrale, rehaussée de nuages rose et bleu pâle suspendus aux cintres, ou de lits superposés pour la caserne d’Arras, ce décor très épuré donne entière priorité au jeu. Il met également en relief, par effet d’opposition, les fantaisies de la rencontre des genres voulues par le metteur en scène. En témoigne, les costumes, lesquels mêlent audacieusement le registre d’époque et celui du cabaret, du strass et des paillettes.

Cyrano de BergeracMention spéciale pour la musique conçue par Joan Cambon, avec ces bruitages étranges, ces distorsions, ces cris synthétiques et hurlement de machines qui enveloppent l’espace d’un ton sombre et noir. Il en va de même pour ces effets de lumière signés Bruno Marsol, dont les variations contrastées jouent sur toute la gamme des possibles, telles ces magnifiques ténèbres dans la scène du balcon. Dans ce Cyrano qui flirte avec une outrance non genrée, à laquelle le nez du héros invite en servant de métaphore, tout est donné à l’envi jusqu’à l’excès lié à cette générosité et à cette flamme propre à la fougue de la jeunesse. Au cœur du dispositif, Laurent Laffite tient rigoureusement le rôle-titre. Outre le quatuor remarquable qu’il forme avec Yoann Gasiorowski (Christian de Neuvilette) Laurent Stocker (Ragueneau) et Jennifer Decker (Roxanne), on salue le travail de la troupe du Français, comédiens mais également chanteurs, mimes et danseurs, tous plus fascinants les uns que les autres dans leurs interprétations respectives. De Birane Ba (excellent dans le rôle de Lignière ou celui de Mère Marguerite de Jesus) à Nicolas Chupin Carbon de Casteljoux  et Adrien Simion ( Le Bret) en passant par Jordan Rezgui ( La Duègne) , Pierre Victor Cabrol (Lise) Alexis Debieuvre (qui endosse 7 rôles !) et Elrik Debieuvre ( Marquis) tous apportent aux dialogues verve, sensualité, et émotion. Avec ce décor unique qui devient tour à tour théâtre, pâtisserie, balcon, garnison ou couvent et ces magnifiques costumes signés par Alexia Crips-Jones, Emmanuel Daumas signe là une mise en scène de plaisir, divertissante portée par la langue si belle de Rostand. Dépêchez-vous de réserver.

 

Salle Richelieu – Comédie Française

Place Colette, 75001 Paris

Jusqu’au 29 avril 2024

En alternance. Matinées à 14h, soirées à 20h30. Tél. : 01 44 58 15 15. Durée: 2h55 avec entracte.

 

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