ALICIA KEYS : « HERE »
18 titres (dans sa version longue), dont 5 interludes tchatchés, pour 52 généreuses minutes et 33 secondes, dans ce 6éme CD, on peut dire qu’Alicia Keys s’est diablement lâchée pour composer un album solide, quatre longues années après son prédécesseur « Girl On Fire ». Et, à l’écoute de ces nouvelles chansons qui mêlent R&B, groove et gospel, qui pourrait encore douter que la chanteuse de Hells Kitchen s’impose à seulement 35 ans, comme la digne héritière de la « queen of soul », Aretha Franklin et de cette fière lignée de black wonderwomen telles que Diana Ross ou Tina Turner. Et en sus, ce petit côté génie du songwriting à l’instar d’une Carole King. Jamais peut-être Alicia n’aura autant été…la clef (ha ha ha) d’une douce blackitude agitée.
Alicia…ou plutôt, avec l’accent de New York City, Alichiaaaaaa. Comme une féline. Ce qui explique sans doute le côté langoureux de sa musique. Et les irrésistibles feulements soul d’Alichiaaaaaa, dans un album qu’on attendait tout de même depuis 2012. Mais la chanteuse a mis tout ce temps à profit pour mettre au monde son second enfant, un petit garçon baptisé Genesis Ali Dean. Et sans doute, ce flamboyant nouveau projet concocté en famille avec Swizz Beatz, le père de ses enfants est-il forcément empreint de cette béatitude postnatale, le fameux « bliss ». Aussi à l’aise seule, ou presque avec son piano, que cernée par les beats, miss Keys se drape dans sa soul du troisième millénaire comme la statue de la Liberté. Inexorablement New York City et fière de l’être, la chanteuse se livre comme jamais au cours de longs monologues ou de dialogues qui ponctuent ce projet au long cours. « Je suis Nina Simone, je suis Harlem la nuit. Je suis ces mots effacés sur la rondelle centrale du 33 tours… » proclame Alicia dans « The Beginning », qui ouvre l’album sur fond de piano, avant de se métamorphoser en « The Gospel » qui monte en émotion en vitesse ascensionnelle incroyablement climatique. Volcanique Keys entre en éruption, mais c’est pour notre plus grand plaisir. La chanson justifie largement son titre, car elle a l’intensité d’une puissante incantation, elle parvient à nous transporter dans cette église imaginaire qui pourrait effectivement se trouver à Harlem. Black est décidément beautiful et continue à l’être avec « Pawn It All » et son rythme pulsé de « chain gang » qui emporte la soul cool d’Alicia.
Jusqu’aux super-pouvoirs de Janis Joplin
Presque nue, musicalement cela s’entend… juste une voix et une guitare acoustique, la chanteuse se fait indomptable et séductrice avec « Kill Your Mama », qui rappelle incroyablement le sublime «Oh Jerusalem » de Lauryn Hill en 2002. Blues folk écologique incandescent, dans ce titre, qui est aussi dépouillé qu’il se révèle efficace, notre Alicia pousse ses cordes vocales jusqu’aux super-pouvoirs de Janis Joplin. Le suivant se dédouble en « She Don’t Really Care/ 1 Love » pour un invincible cool groove sensuel et pulsé, délicatement jazzy sur son xylophone, comme un tube de Sade. Autre composition remarquable, « Blended Family » est une ode aux familles recomposées, sur un beat chaloupé mid tempo, qu’aurait aisément pu interpréter les Destiny Child de Beyonce et, avec son featuring de A$ap Rocky, il constitue sans doute un des titres les plus abouti de l’album. Dés l’intro de « Girl Can’t Be Herself », on se retrouve téléporté vers « La vie en rose » version Grace Jones, avant de se laisser porter par la vague muy caliente d’un nonchalant rythme latin pour une composition résolument féministe. Cependant, Alicia n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle nous fait…du Alicia et c’est justement le cas avec la passionnée « More Than We Know » dans la plus pure ligne naturelle de « You Don’t Know My Name » ou de « No One ». Enfin, la délicate et quasi- acoustique « Holy War » vient clore la version « normale » du CD. Mais dans sa version « deluxe » « HERE » compte deux titres supplémentaires : la troublante « Hallelujah », qui n’est certes pas une cover de la fameuse chanson de Cohen, pourtant, sur cette homonyme de toute beauté, Alicia se fait Aretha et peut donc ceindre son joli petit front de la couronne convoitée de Queen of Soul. Puis « In Common »-le premier single- toute en légèreté éclate comme une bulle de savon sur un rythme léger secoué sur fond d’électro, comme un hit de Rihanna. Après tout, Alicia a bien le droit aussi de vivre avec son temps. En résumé, au test de l’écoute, on sait de suite que ce « HERE » a incontestablement l’ambition d’être là pour durer… hic et nunc !