ALI ET LES 40 UB
Voici 30 ans dans BEST, GBD retrouvait ses vieux complices reggae-stars de UB 40 pour le tournage du clip « Dance With the Devil » dans leur fief de Birmingham. Leur 8éme album, sobrement intitulé « UB 40 », n’était pas encore publié, mais nos rastaratatas avaient décidé que chacune des 10 chansons serait accompagnée de son propre vidéo-clip. Porté par l’irrésistible second duo avec Chrissie « Pretenders » Hynde, « Breakfast In Bed », cet album éponyme sera sans doute l’un des plus populaires de la formation d’Ali Campbell et de ses 40 UBs 😉
Avec Madness, the Selecter, the Specials et the Beat, ils comptaient parmi mes tout premiers « clients » à mes débuts de journaliste-rock au tournant des 80’s. Depuis ma kronik de leur « Signing Off » inaugural en 80, propulsé par leur fameux « Food For Thought » et nos premières rencontres, j’avais toujours tissé un lien particulier avec Ali Campbell et ses UB40. Alors les retrouver chez eux à Birmingham, dans la foulée de leur triomphal « I Got You Babe » où Ali chantait en duo avec Chrissie Hynde et de surcroit pour un tournage de clip auto-réalisé par le saxe Brian Travers, cela ne pouvait être que du bonheur, un bonheur partagé avec les fidèles lecteurs de BEST. Flashback….
Publié dans le numéro 240 de BEST sous le titre:
LES 40 UB
« Huit dans le groupe, mais une bonne quarantaine avec toute la tribu, l’entreprise familiale (indépendante) UB 40 est la fierté de Birmingham » Christian LEBRUN
Les voies entremêlées du chemin de fer brillent sous la pleine lune. Dans le fracas de la pression d’eau, une vieille loco s’élance à toute vapeur à la poursuite d’un groupe d’hommes. Ils courent, le bâton à la main pour frapper un prêtre. Joli mois de mai, à Birmingham la température flirte avec le zéro Celsius. Arrivé à ma hauteur, l’homme à la soutane éclate de rire et tandis qu’il tire sur un pétard sincemillesque, je remarque l’affreux détail des cornes devilesques au sommet de son crâne. Brrrr.Et si les théories diaboliques d’association du rock et du diable, formulées par Nancy Reagan, se vérifiaient ce soir ? Laisse tomber Nancy, l’US Army et les bûchers de Salem peuvent rester à lanmaison, tout cela n’est que cinéma. Brian Travers, le sax d’UB 40 se fend la gueule derrière sa caméra 35 mm. Si l’horreur plane sur Birmingham, c’est pour la bonne cause des rastas les plus pop du monde. Dans la foulée de son tout nouveau trente, UB 40 tourne un vidéo-album de cinquante minutes pour un budget de 80 000 Livres – environ 95.000€- « Be true to your school » chantaient les Beach Boys, UB reste aussi fidèle à Birmingham que Prince à Minneapolis. C’est à l’aube des 80’s, dans la queue de comète du ska Two Tone que UB 40 avait explosé avec son patronyme inspiré du numéro du formulaire des Assedics locales et le smash hit rasta « Food For Thought ». Pour ces kids middle-class d’une banlieue des Midlands, ce tube inespéré fut la bouée de sauvetage du naufrage économique. D’une file de chômage à Top of The Pops, certains y laissent leur raison, mais pas UB 40, viscéralement attaché à sa ville, le groupe monte son propre label, DEP et bricole un génial 24 pistes dans un ex-abattoir où le feeling remplace le sang de bœuf. Normal, les Ubies sont tous végétariens.
Relax le tournage, mais ne vous y fiez pas, Brian est un pro. Il signe la réalisation de presque tous les clips du groupe depuis six ans :
« J’ai commencé par la production », explique-t-il, « mais comme nous n’étions pas satisfaits de la majorité de nos vidéos, je m’y suis intéressé de près et je me suis mis à la réalisation. » Et Brian d’énoncer sa théorie sur le fossé qui sépare les « artistes » des « artistes-artistes ». Label indépendant, studio indépendant, il était logique que UB 40 maîtrise également le contrôle de ses images. Des ordres grésillent dans le talkie de la prod. « On refait un gros plan». Brian retrouve sa caméra. Le groupe, les figurants et la loco rejouent leur scène irréelle de lynchage sous les projos. De l’autre côté des voies ferrées, le seul pub ouvert à des miles à la ronde est ce club-foyer des cheminots où il fait bon descendre une dernière Iager. Dans ce décor incroyable de tables de billard et de banquettes kitsch de velours rouge, les travailleurs aux visages burinés des chemins de fer de Sa Majesté oublient dans le jeu, la bière et le gin la sueur de la journée. Dans leur précédent LP-vidéo, « Labour Of Love » on retrouvait les images de ce Birmingham-là. Des gens simples et vrais, sans frime ni fortune qui incarnent le reggae fusion pop prolo, mais aussi toute la force de UB 40. Brian et son équipe font des plans jusqu’à l’aube. Je les retrouve le lendemain dans un terrain vague où ils tournent face à une église du 18éme transformée en centre d’hébergement pour les déclassés de la crise. En voyant passer Ali dans sa soutane, les brumies – c’est ainsi que se sont baptisés les indigènes du cru- font des yeux ronds. Entre deux séquences, le « Youbi » chanteur signe des autographes: «Alors quand sort ton nouvel album ? Bientôt… super… » Et c’est comme s’ils l’avaient déjà acheté. Noirs, blancs, marrons, jaunes… les brumies sont décidément de toutes les couleurs et le rock de UB 40 est leur palette graphique.
« Birmingham, depuis la dernière guerre a toujours été un véritable bastion ouvrier», explique le vidéo-boss Brian Travers, « Et ces travailleurs étaient souvent des étrangers. D’abord les Irlandais, puis par vagues successives les Indiens, les Pakistanais et les Antillais ont débarqué. Ici on a l’habitude de se mélanger à l’usine, dans les pubs ou dans les lits et bien sûr dans la musique. Il n’y a donc pas cet élément raciste qui pourrit si souvent l’air ailleurs. À Birmingham, le mot d’ordre est tolérance. Toute ma famille a émigré d’Irlande, mais lorsqu’ils ont débarqué il y avait déjà des tas de familles jamaïquaines installées là bien avant nous. Quelle que soit la couleur de leur peau, les kids ont ainsi assimilé le reggae dans leur culture. » Un assistant bloque la circulation du highway tandis que traverse le père Ali Campbell (chanteur-guitariste) pour un plan de raccord. Cut l
Et si on parlait de la vidéo, Brian ?
« C’est une histoire toute simple: un pauvre gars a perdu sa chemise chez un bookmaker. Il vole une soutane de prêtre pour frapper aux portes et quêter pour les orphelins et les pauvres de « sa » paroisse. Le faux prêtre empoche évidemment tout ce qu’il touche. Et au cours de l’histoire, on le voit peu à peu se transformer. ll devient carrément diabolique. C’est une parabole facile, proche de l’histoire de Faust. Cet album-vidéo compte six chansons et deux guest-stars: Robert Palmer et Chrissie Hynde. Robert est un prêtre et Chrissie joue le rôle d’une petite amie de Brian, elle est super ».
Enregistré dans leur studio DEP, le nouveau trente contient un nouveau duo Ali/Chrissie, « Breakfast in Bed » qui a la nonchalance reggae cool qui sied à l’été. C’est le premier single à venir. Après l’incendiaire « I Got You Babe », «Breakfast… » a l’accent tonique de la récidive à succès, heureuse idylle vocale entre la chanteuse des Pretenders et nos brumies favoris. Décidément UB 40 est une histoire de famille.
« On se connaît depuis toujours », reprend Brian, « UB 40 c’est la saga des gamins du quartier. On était tous ensemble à l’école, on était amoureux des mêmes filles, on se faisait les mêmes plans. On a monté le groupe, le label, le studio et on ne s’est jamais quitté depuis. Nous partageons tout dans le groupe, les galères, les cachets et les crédits des chansons. » La chevalière d’or à pierre ocre que tous les membres d’UB 40 portent au doigt est leur signe de ralliement qui entérine définitivement cette union sacrée. De la même façon, la tribu des UBies, les huit musiciens du groupe, mais aussi leur famille et leur trente enfants, s’échappe ainsi souvent dans la ferme de la région de Négril qu’ils ont acquise collectivement en Jamaïque. Mais damned, que peuvent-ils bien y cultiver à votre humble et fumant avis ?
Publié dans le numéro 240 de BEST daté de juillet 1988