HAIRCUT 100 COUPE DE VILLE
Voici 42 ans dans BEST GBD coupait les cheveux en quatre avec Haircut 100, la toute dernière sensation pop made in London. Hélas, la formation du quartier de Beckenham à Londres ne publiera que deux LP avant de se désintégrer. Ce qui n’empêchera pas le débonnaire Nick Heyward de poursuivre une prolifique et néanmoins pop carrière solo, preuve qu’une autre vie est possible après avoir été un fameux garçon-coiffeur.
Publié dans le numéro 171 de BEST sous le titre :
100 FRAIS
Monsieur et Madame Heyward ont de la chance. Nicholas Heyward, leur progéniture, aurait pu mal tourner dans ces temps troubles. Quel cauchemar s’il avait arraché son uniforme de collégien pour se rouler dans une flaque de bière, les oreilles déchirées par la sono du Marquee. Plus tard, Nicholas aurait pu se coller des treillis sur les fesses pour jouer au mentor révolutionnaire du rock… Au lieu de tout cela, Nick et ses copains de Haircut 100 se sont taillés une image proche de Vogue, chic mais presque trop discrète. Quant à la musique, elle laisse tout à fait croire que le groupe n’a pas tout à fait réglé son problème d’Oedipe avec les Beatles. Mais au royaume de la pop, ils ne sont pas les seuls. Là où les Beatles plongeaient leurs racines dans les standards noirs made in USA, Haircut 100 est complètement imbibé de funk et de latin music. Généalogiquement parlant, ils descendent aussi de Santana et des Jackson 5. Somme toute, une hérédité assez proche de ABC, de Funkapolitan ou de Blue Rondo à la Turk. Dans l’année écoulée, ces jeunes gens sont parvenus à caser trois hits dans les classements anglais tandis que « Pelican West », l’album, décrochait le tableau d’honneur. Discret mais efficace, Haircut 100 n’a pas gagné en pariant sur un look mais sur un concept aussi simple que l’œuf sur le plat : l’Insouciance. Haircut 100 ressemble à ses love stories et, quoi de plus simple qu’une histoire d’amour adolescente ! Image d’Épinal parfaitement distanciée, une pluie fine s’abat sur Chant Farm Road au nord de Londres et je ne parviens toujours pas à dénicher l’entrée du studio édifié juste à côté du vieux Roundhouse. Aujourd’hui, Haircut 100 y mixe son nouveau simple. Dans le studio, l’ambiance est plutôt relax. Nick Heyward le chanteur/créateur/guitariste répond aux niaiseries d’un honorable rock-critik japonais à l’anglais très approximatif : « Yess… yess… yess » acquiesce t’il à tout ce que lui raconte Nick. A côté, Mark le percu et Blair, le batteur noir se passent sur la vidéo Net « The 9 o’clock News », un show délirant à la Monty Pythons. La porte de communication avec la cabine grince comme un alien qui hurle à la mort, tandis que Mark me raconte les fastes de sa vie parisienne estudiantine :
« Mark Fox : Tu voyais ce building rue La Fayette, il avait l’air fantastique, une classe folle. Ma chambre devait se trouver au huitième, je me suis dit : « Fantastique, j’aurai la plus belle vue de Paris ». Dans l’ascenseur j’ai commencé à émettre des réserves : il ne dépassait pas le sixième étage. Arrivé au septième je suis tombé en plein territoire pied noir, une véritable chasse gardée ; je commençais vraiment à déchanter tandis que l’escalier continuait à grimper en se resserrant jusqu’au septième. J’ai compris ma douleur face à ma chambre de bonne. Pourtant, vu de l’extérieur, c’était superbe. Je me suis retrouvé à Paris parce qu’à l’origine j’étais prof d’allemand. Je sais bien, ça ne parait pas très logique, mais ma petite amie avait été mutée en France : le cri du cœur a su être le plus fort, je me suis retrouvé lecteur d’anglais dans un Lycée. »
La porte-alien pousse un nouveau cri, tandis qu’un barbu s’avance :
« M.F : Peace and Love, babe I Je suis heureux de te présenter Bobby Sargent qui produit aussi le Beat anglais. Il fait des efforts, Dommage qu’il ressemble à un hippie, c’est vrai, il ne lui manque plus que les fleurs. Allez Bob, dis à la presse quelque chose de gentil sur nous.
Bob Sargent : Je ne sais pas si je suis autorisé à m’exprimer.
Comment as-tu rencontré le groupe?
M.F : Dans des toilettes, à lslington.
B.S : Au Bedford Collage où ils donnaient un concert. Je me suis simplement dit : « Waouw! » et nous avons couru enregistrer l’album ici même en digital et 32 pistes Mais nous faisons justement le prochain à Paris. Lorsque Haircut a joué là-bas, j’en ai profité pour visiter des studios comme celui du Palais des Congrès ou EMI. Je crois que nous avions besoin d’un petit changement, or en Angleterre le seul studio digital, c’est celui où nous nous trouvons : le Roundhouse, c’est un peu limité. »
J’emboîte le pas de Sargent pour découvrir la machine multitracks : une jolie bête que l’on qualifie d’analogue, car elle permet le montage sur ordinateur, le principe même du digital excluant l’utilisation d’une bande magnétique. Sargent manipule le monstre pour me faire découvrir sur HP géants « Nobody’s Fool . Le nouveau 45 tours sonne plus pop que funky avec de très fortes réminiscences sixties. Nick vient d’achever son jap, il me rejoint avec Mark:
« Nick Heyward: Il est évident que nous aimons les pop songs, mais il n’est pas question de se limiter à un seul style de musique.
Je sais, vous aimez aussi le funk.
N.H : Parmi tant d’autres…
M.F: Tu sais, lorsque les groupes se forcent à faire du dansant à tout prix, ça ne marche jamais.
N.H : On a envie de surprendre les gens à chaque fois. Souviens-toi des Beatles, dès qu’ils sortaient un nouveau single, on le détestait car il était si différent du précédent. Mais au bout d’une semaine, tu en étais littéralement amoureux.
M.F : Avoue que ça serait facile pour nous de se bloquer sur un style et de faire du blé en un an. Nous n’avons pas envie de nous retrouver dans une situation semblable à celle de Jam, qui ne savent plus faire un disque gai parce qu’on leur a appris à être inlassablement déprimés et engagés.
Nick, de toutes façons, écrit des textes optimistes.
N.H : Parce que le plus clair du temps je suis optimiste !
Auriez-vous envie de sortir un album triste ?
N.H: Oh mais il y en aura. Et puis, cette fois j’ai une bonne excuse : lorsque j’ai composé « Pelican West » la guerre des Falklands n’était même pas déclarée, sinon j’aurais sûrement écrit une « Falklands song ».
Etes-vous directement influencés par la musique noire?
N.H : Bien sûr, ainsi que par toutes les références snobs de Mark !
Quelles références snobs ?
M.F : Oh, il parle de musique Brésilienne comme Nascimento, je passe mon temps à en écouter.
N.H : Il y a aussi le jazz et tous ces allumés qui font de la Latin music.
Que faisiez-vous avant de vous lancer dans la coiffure avec le succès qu’on connait ?
N.H : Les et moi étions dans la pub, Mark était prof ainsi que Phil.
Vous soignez votre look?
M.F : Mon training ou les chaussures de Nick n’ont aucune importance, car les gens se souviennent uniquement des bonnes chansons. On se fiche du caleçon de Jagger, ce qui compte c’est « Satisfaction »
En Angleterre, de plus en plus de groupes refusent la scène pour se cantonner à la vidéo.
N.H : Nous ne serons jamais de ceux-là !
Le studio se trouve au No 100 de Chalk Farm Road, or c’est ici même que vous avez enregistré « Pelican West » ; est-ce l’origine du 100 dans votre nom?
N.H : Tiens, je n’y avais jamais pensé.
M.F : En fait, il faut qu’on t’avoue que nous avons été complètement influencés par le « 100 » de Human League ! »
On peut y croire… ou pas, Haircut 100 préfère de loin la tasse de thé au cocktail Molotov. Mais dans la presse anglaise, l’esthétisme bourgeois fait encore sourire : on les taxe de Clean cut 100. Pour ma part, Clean cut au Haircut, peu importe la coupe, ce qui compte ce sont les fruits qu’on y met. Ceux-là anyway ne manquent ni de chaleur ni d’exotisme.
Publié dans le numéro 171 de BEST daté d’octobre 1982