L’HOMME AUX GUITARES D’OR
C’est un tout jeune homme de 29 ans qui a l’air d’en avoir 17, mais ne vous fiez surtout pas à son look juvénile, en un peu moins de sept ans depuis qu’il a lancé son Matt’s Guitar Shop, Matt Lucas s’est imposé comme LE spécialiste hexagonal des guitares de stars qui font rêver tous les musiciens et autres aficionados du rock avec des centaines de précieux instruments de collection joués par Jimmy Page, Joe Perry, Keith Richards, Eric Clapton ou encore Lenny Kravitz. Rencontre avec l’homme aux guitares d’or.
Dans un petit hôtel particulier situé dans une rue tranquille du 17ème arrondissement à Paris, à des années-lumière des boutiques de guitares de Pigalle sont exposées quelques précieux trésors sonics. Là, on a plutôt la sensation de se trouver chez un grand couturier, entouré de pièces toutes plus magnifiques et plus précieuses les unes que les autres. Ou au musée, avec des instruments historiques, tenus par les plus grands guitar-heroes dont certains dépassent les centaines de milliers d’euros. Ce qui n’empêche pas Matt de prêter régulièrement les joyaux les plus rares de sa collection personnelle à de jeunes artistes pour la scène ou le studio, au nom de ce principe de transmission que le jeune homme s’est posé en dogme. En effet, les guitaristes réalisent que leur instrument le plus précieux leur survivra toujours et qu’il finira par être joué par d’autres musicos dont certains ne sont même pas encore nés. Ces guitares de stars sont elles mêmes des stars à part entière, la preuve par ce Matt’s Guitar Shop…
« Alors Matt quel âge as-tu ?
29 ans.
Comment à 29 ans devient-on LE spécialiste des guitares historiques dix fois plus vieilles que toi parfois ?
Pour moi la route de la passion de la guitare et de la musique commence début 2009. Je suis issu d’une famille qui n’est pas spécialement mélomane, même si ma mère écoutait beaucoup de Johnny Hallyday. Mon père c’était carrément Michel Sardou.
Ah oui, ce n’est pas franchement rock and roll !
Pas franchement, en effet. Mais ma mère avait quand même quelques vieux vinyles dans son grenier, même si je n’y prêtais pas beaucoup attention. Mais un jour j’étais en train de jouer à la console, j’avais quinze ans et mon meilleur copain qui est d’origine allemande a lui une grosse culture rock and roll dans sa famille. Il me dit : mon père, il n’écoute que cet album en ce moment, c’est le dernier album d’AC/DC. Même si je n’écoutais pas de rock, je connaissais, mais pour moi c’était juste un mec qui gueulait dans un micro. Et là j’entends « Rock And Roll Train », qui ouvre leur disque « Black Ice » sur un riff d’Angus Young et un coup de caisse claire de Phil Rudd. Quand je décris ce moment et ce que ça m’a fait, c’est ce coup de caisse claire qui a tout déclenché, comme si on appuyait sur un bouton dans mon cerveau.
Électrochoc !
Électrochoc. Derrière, il y a le groupe entier qui joue. La voix de Brian Johnson, vraiment pour le coup, m’ensorcelle, parce que je n’ai jamais entendu un truc pareil. Et surtout inconsciemment, je suis en train de découvrir ce qu’est le groove du rock and roll d’AC/DC. Et tout ce qu’il va générer comme passion chez moi. J’avais 15 ans. Et comme je suis ultra-passionné dans tout ce que je fais, dans mes hobbies, dans mes centres d’intérêt, je commence à vouloir m’acheter une guitare. Tout de suite. Et je veux faire comme Angus Young, la duckwalk torse-nu dans mon salon.
(rire)
Et je m’identifie à ce personnage qui est un vrai guitar-hero. Car, pour moi, la définition d’un guitar-hero, c’est le gars qui chez toi sait te faire transcender, que cela soit avec une vraie ou même avec une air-guitar. Je commence à écouter AC/DC, mais tous les jours ; je commence à essayer de me connecter sur des vidéos, même si YouTube n’était pas aussi développé. Je suis passionné par ce groupe. Et au Noel suivant, donc une dizaine de mois plus tard, je m’achète une guitare électrique de débutant, avec l’argent que ma famille m’avait donné, qui ressemblait vaguement à la SG d’Angus Young. Et là je commence à me mettre à la guitare.
C’était une copie ?
Oui, une copie faite en Chine. Mais pour moi c’était déjà très bien. Avec un ampli c’était super. Après, ce qui m’a passionné, c’est le morceau « The Jack » d’AC/DC – pour mémoire un titre on va dire couillu qui évoque par ce prénom une maladie vénérienne, comme le « Souvenir Of London » de Procol Harum : NDR) où en fait je découvre une tonalité d’Angus Young que je ne connaissais pas, qui est la tonalité un peu plus blues. Et là, c’est le second choc chez moi, c’est la découverte du blues. C’est à ce moment-là que je réalise que la musique c’est une généalogie absolument bluffante, parce qu’Angus Young j’ai commencé à m’intéresser à ses influences. C’est comme ça que je découvre les Stones. Les bluesmen comme BB King, comme Albert King. C’est ce qui m’a frappé dans la musique et dans l’art en général, tu peux être le plus grand guitar-hero pour quelqu’un, mais tu es toujours toi-même fan de quelqu’un d’autre.
Il y a ce côté transmission.
Exactement. Et c’est ce qui me passionne le plus aujourd’hui dans mon job, c’est ce qui m’a donné envie de faire ce métier. Quand j’avais dix-huit ans, j’étais serveur le week-end, même les trois derniers jours de la semaine, dans le bar-restau de mon village. Et en fait avec le salaire que j’avais…
C’est quel village ?
Saint Arnoult en Yvelines. Alors, je n’y suis pas né, mais j’y ai toujours plus ou moins vécu. Donc je bossais dans ce petit restau et tout ce que je gagnais me servait à acheter des guitares. Et quand j’ai annoncé à mes parents que je voulais acheter et revendre des guitares, ils m’ont regardé éberlués, ils imaginaient de grandes études pour moi. Mon père m’a dit : je veux bien te loger, mais je ne financerai pas ta passion. Ma mère m’a dit : si tu es heureux comme ça, il n’y a pas de problème. Je les remercie beaucoup aujourd’hui d’avoir accepté que je dévie de la route qu’ils avaient imaginé pour moi. Et, au final aujourd’hui, ils sont super fiers du parcours.
Ils voulaient que tu ouvres une boutique de shmatès ou quoi ?
Pas vraiment, mais j’avais fait un stage chez un notaire à l’époque. Et honnêtement je n’ai rien contre les notaires et j’ai même eu des bons amis notaires dans ma vie, passionnés de rock and roll d’ailleurs, pour une personne…
Éprise de liberté…
… et passionné de rock and roll, ça ne matchait pas du tout avec ce à quoi j’aspirais vraiment. Contrairement à tant de garçons qui se mettent à la guitare, j’ai tout de suite vu que mon rôle dans la musique, ce ne serait pas d’être sur scène, peut-être à titre occasionnel, comme je le fais parfois juste pour le kiff, mais ce qui me passionnait vraiment c’était de répondre à des questions telles que : pourquoi Keith Richards joue une Fender Telecaster, pourquoi Angus Young joue une Gibson SG et pourquoi Slash joue une Gibson Les Paul ? J’ai vraiment été attiré par cette faculté de pouvoir discerner les caractéristiques et pourquoi tel guitariste joue telle guitare et pourquoi du coup tel guitariste a tel son en fonction de sa guitare et de son ampli. Donc rapidement je me suis tourné vers la technique et j’ai commencé à vouloir tester ces guitares.
Pour essayer de comprendre ?
Oui pour comprendre pourquoi tel guitariste a choisi telle guitare. Et donc avec tout l’agent que j’avais c’était toujours en achetant des copies pour comprendre comment sonne une Stratocaster, comment une Fender Jazzmaster sonne, comment une Fender Telecaster sonne, comment une Gibson sonne… et à ce moment-là, tu découvres tellement de choses dans le monde de la musique que tu réalises que cela doit être ta vie.
Mais comment franchis-tu le pas du fan passionné à la décision d’en faire ta profession ? Comment devient-on expert es-guitares ?
Alors on saute le pas …déjà, tous les jours j’allais à Pigalle, dans la fameuse rue des guitares. Faire du lèche-vitrine clairement. Je ne cache pas que l’accueil à Pigalle, pour un jeune de 18 ans qui veut s’acheter des guitares vintages ou des guitares custom shop un peu plus haut de gamme, parce que j’avais un peu plus de budget à ce moment-là, il n’a pas été très chaleureux, on va dire. Je n’avais peut-être pas la tête du client à vouloir s’acheter une guitare un peu plus chère. J’avais même fini par avoir du dégout, jusqu’au moment où j’ai rencontré quelqu’un de bien, Didier qui avait le magasin Guitar Store. Lui m’autorisais à venir le matin à 10 heures et à repartir à la fermeture à 19 heures. Pour l’anecdote, je faisais croire à mes parents que je passais mes journées à la fac. Je prenais le train super tôt et j’arrivais au MacDo de Pigalle à 8 heures pour attendre que les boutiques ouvrent. Et j’allais chez ce fameux Didier où j’ai commencé à élargir gravement mes connaissances, où il y a eu ce phénomène de transmission dont on parle et que j’adore. Que j’essaye de reproduire à mon petit niveau et c’est à ce moment-là que je me dis : mais c’est trop bien d’avoir une boutique de guitares, le mec vit entouré de guitares toute la journée, il en touche plein. Et il en avait des belles, en plus. Il m’a vachement appris et c’est ainsi qu’à un moment donné je me suis mis à acheter et à revendre des guitares chez lui. C’est là où j’ai eu l’idée de partir aux Etats-Unis pour explorer les boutiques là-bas. Et ça a changé ma vie, j’ai rencontré Rudy Pensa à NY, qui était un des plus grands spécialistes mondiaux de guitares dans sa boutique Rudy’s Music et qui fabriquait des guitares pour Lenny Kravitz, Mark Knopfler notamment la fameuse Pensa. Je découvre aussi une autre mentalité, car aux USA peu importe notre âge, peu importe notre apparence, on nous laisse toucher des choses qui sont absolument interdites en France. Je flashe sur cette mentalité et je reviens transformé. J’ai toujours essayé de m’imprégner de cette esprit américain, tout en la mélangeant avec notre mentalité française qu’il ne faut pas oublier. Et désormais ce qui me passionne, ce sont les guitares de, toujours grâce à l’aide de Didier, qui m’a trouvé un jour une réplique exacte, ce qu’on appelle une signature en édition limitée chez Gibson, de la guitare de Billy Gibbons, une Les Paul mythique. Je lui dis : génial, maintenant je vais pouvoir avoir le son de Billy Gibbons ! Et il me balance glacial : « ah bon, tu crois vraiment que la sienne sonne comme ça ? » A ce moment-là ça a été terrible, car il m’a fait voler mon rêve en éclats. C’était une série limitée que je cherchais depuis des mois. Mais à la fois, il m’a donné une clef pour aller plus loin. Il a ouvert la porte pour que je me spécialise dans la guitare d’artiste. J’ai réalisé que quand un artiste joue une guitare sur scène, sachant qu’ils ont vraiment le choix en tournée et les marques leur fabriquent les meilleures guitares avec les meilleurs bois…
… s’ils jouent sur la même vieille guitare écornée c’est qu’il y a une raison c’est SA signature.
C’est sa signature, même si parfois on est surpris, en général c’est une guitare bonne en son. C’est là où je me suis dit : c’est trop bien les guitares d’artistes.
Comment s’appelle tton show-room ?
Matt’s Guitar Shop et le shop existe depuis 2017.
Et en sept ans tu as vendu 10 guitares… 100 guitares… 1000 guitares ?
Je pense que je n’en suis pas encore à 1000, mais on peut parler de plusieurs centaines.
C’est énorme.
Ce que j’aime surtout dans ce lieu, c’est la diversité des gens qui y passent. Toujours en rapport avec ce phénomène de transmission, car je trouve que dans l’art c’est très important. Même si on est une société qui achète et revend des instruments, il y a toujours la partie collection personnelle et en fait la diversité des clients, c’est ce qui fait la vraie richesse de ce lieu et ça va du jeune de 15 ans, à qui j’ai envie de pouvoir transmettre l’opportunité qu’on m’a donné. Je sais très bien qu’ils ne vont pas s’acheter une guitare d’ici mais ils passent une heure, deux heures, et on leur donne l’occasion de toucher des pièces qu’ils ne pourraient pas toucher ailleurs. Et c’est essentiel, car les jeunes d’aujourd’hui sont soit les acheteurs ou en tout cas les passionnés de demain.
D’autant que tu les prêtes à des musiciens pour la scène. Comment fais-tu pour ne pas t’en faire tirer ?
Je suis toujours sur place. Ou quelqu’un de chez nous que j’appelle un guitare-garde.
Quelle est la guitare la moins chère que tu aies vendu ?
Avec Matt’s Guitar Shop, cela devait être 300 €.
Ah c’est abordable. C’était quoi ?
Elle était intéressante c’était une vieille guitare acoustique classique de luthier qui avait été faite à Paris dans les années 1900. Ce sont des guitares qui ne valent pas grand-chose mais qui ont le vécu et l’avantage de ne pas avoir le prix de l’étiquette. Surtout fabriquée avec des bois d’époque. C’est ce qui fait la différence entre les guitares vintage et les guitares modernes. À l’époque, quand on commence à faire des guitares, et qu’on va importer du palissandre c’est du bois qui a vieillit pendant des dizaines d’années. Cela se sent dans la sonorité du bois, il y a du vécu, il y a de la profondeur. Souvent les guitares vintage ont une âme. Et cette guitare avait une âme. Le prix ne fera jamais le son d’un instrument.
Et la plus chère ?
C’était une guitare qui frôlait les 650000 €, une Gibson Les Paul de 1959, qui était assez historique dans le milieu de la guitare, et qui avait été touchée par plusieurs très grands artistes. La Les Paul 59 c’est un peu le Stradivarius du monde de la guitare. Elle avait été jouée par Jeff Beck, Alvin Lee, Mark Knopfler. Alors ce n’est pas la personnelle, mais elle a été dans les mains de tous ces artistes.
Er tu as toutes les photos à chaque fois ?
Ah, bien sûr. Ça c’est une partie du métier qui est indispensable, surtout dans les guitares d’artistes on doit toujours pouvoir apporter la preuve de son origine. Aujourd’hui, j’essaye aussi d’utiliser les moyens technologiques. Par exemple Richie Sambora, dont je te parlais tout à l’heure, on est chez l’artiste et on fait des vidéos de lui avec l’instrument en train de parler, on est ainsi certain que ce n’est pas un sosie à Melun.
Et celle que tu as raté, elle t’est passée sous le nez et tu regrettes encore ?
A une époque on m’a proposé la Les Paul Standard du mythique Ed Sullivan Show de 1964 de Keith Richards avec les Stones et en fait sans doute la guitare avec laquelle il a aussi enregistré « Satisfaction ». Elle a été très longtemps en Suède. J’ai un ami qui est sans doute le plus grand collectionneur de guitares au monde qui l’a rachetée à ce gars en Suède. Je l’ai eue dans les mains chez lui à New York et le mec m’a dit : « est-ce que tu la veux ? C’est ce prix-là ». Et j’aurais pu le faire, mais je ne l’ai pas fait parce que c’était quand même beaucoup d’argent. Et aujourd’hui, oui j’ai un petit regret.
Et toi dans ta collec’ perso tu en es à combien ?
Une trentaine d’instruments seulement, j’ai pas mal réduit. Et la dernière que j’ai réussi à avoir c‘est une Gibson Flying V qui ont été produites à 81 exemplaires en 1958. La forme étant beaucoup trop moderne pour l’époque. Et je la récupère très bientôt. Celle à était un peu retouchée au niveau du vernis ce qui baisse un peu sa valeur, mais une 100% originale tu es entre 700 ?000 et 1 million de dollars.
Même si elle n’a pas été tenue par machin ?
C’est justement la spécificité de ces guitares. Quand Gibson les lance en 1958, ils filent les guitares aux commerciaux et si la forme en V s’est aujourd’hui standardisée, elle est dans les mœurs mais à l’époque c’était trop révolutionnaire. Désormais tous les métalleux l’ont adoptée et c’est devenu des instruments rarissimes parce que Gibson pour es fabriquer a utilisé du korina limba qui est un dérivé de l’acajou avec une sonorité et une densité un peu plus légère qu’un acajou standard. Donc le korina limba chez Gibson c’est moins de 100 guitares en tout dans l’Histoire.
Et tu ne regrettes pas de ne pas fabriquer ta propre guitare, la Matt guitar ?
C’est en cours. D’ici deux ans on pourra la commercialiser. Ce ne sera pas une guitare électrique mais une acoustique car je pense aux débutants. Ce ne sera pas une guitare de luxe. Je voudrais une guitare qui soir abordable pour les débutants comme pour les confirmés. A la portée de tous. J’ai mal vécu quand j’ai commencé le fait qu’on me dise : ça tu ne peux pas toucher et qu’on ne le justifie pas. J’ai toujours en moi ce truc du c’est des instruments de musique, si tu parlais à Jimi Hendrix dont les guitares valent plusieurs millions de dollars aujourd’hui et que tu lui disais : tu vois cette Stratocaster en1965 avant que tout commence pour lui ben parce que c’est ta guitare, dans 60 ans plus personne ne pourra la jouer. Je n’ai pas connu Jimi mais je suis assez persuadé qu’il te dirait que c’est n’importe quoi. Une guitare il faut que ça vive, je suis toujours dans cette philosophie qui pense que l’instrument doit vivre pour donner encore et encore du plaisir. C’est toute la finalité de jouer pour donner du plaisir aux autres et à soi-même. »
Matt’s Guitar Shop https://www.mattsguitar.shop/fr
À SUIVRE …. LE TOP 10 DES PLUS PRECIEUSES GUITARES ROCK DE MATT de Jeff Beck, Joe Perry, Lenny Kravitz, Richie Sambora… à Ramon Pipin