L’AFFAIRE MAKROPOULOS À L’OPERA
« Qui n’a jamais rêvé de jeunesse éternelle ? Dans L’Affaire Makropoulos, Emilia Marty, une cantatrice célèbre, a 337 ans mais en paraît 30 grâce à un élixir de longévité. Alors que les effets du breuvage s’estompent, la diva cherche à tout prix à mettre la main sur la formule qui lui permettra de conserver son éblouissante jeunesse. Ainsi s’engage une course contre la montre dont l’issue fatale serait la mort. Au croisement entre la science-fiction et le questionnement philosophique, l’avant-dernier opéra du compositeur tchèque Leos Janacek est une œuvre d’une incroyable modernité, un chef d’œuvre d’une dimension Hollywoodienne signé Krzysztof Warlikowski !
Par Jean-Christophe MARY
Créée en 1926, sa partition frappe par sa maîtrise du parler chanté, ses rythmiques âpres et son expressivité intense. En convoquant la mythologie de Hollywood, de Marilyn à King Kong en passant par Gloria Swanson, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski livre une profonde réflexion sur la temporalité et l’immortalité ».
L’Affaire Makropoulos, huitième et avant-dernier opéra de Leoš Janácek a été créé le 18 décembre 1926 à Brno (République Tchèque). Adapté par le compositeur lui même à partir d’une pièce du romancier et dramaturge Karel Capek , le livret nous offre un univers aussi irréel que visionnaire avec une pointe de science-fiction qui transporte le spectateur au cœur même de notre société actuelle, en quête d’une jeunesse éternelle. Voilà l’histoire d’une femme, Emilia Marty, qui, après avoir bu un élixir de longévité, vient de vivre plus de… 300 ans, en empruntant différentes identités, changeant régulièrement de lieux de vie. L’intrique débute au retour d’Emilia à Prague. C’est là qu’elle est née, et sentant ses forces l’abandonner, c’est là qu’elle décide d’achever sa longue vie. Elle entend parler d’un procès dans lequel elle a été jadis impliquée et dans les archives duquel, elle pourrait retrouver le document sur lequel est consignée la recette de l’élixir miraculeux… Dès lors, elle va tout faire pour le récupérer, car, elle n’a pas vraiment envie de mourir. Cette femme, héroïne d’une œuvre entre le roman policier et le conte métaphysique, est ici mise en scène dans une Marilyn Monroe 2.0. Une femme adulée certe mais sacrifiée sur l’autel de la gloire. Après avoir été représentée ici pour la première fois en 2007, puis à nouveau en 2009 et 2013, L’Affaire Makropoulos dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski est à nouveau sous le feu des projecteurs à l’Opéra Bastille. Situant l’action dans les années 1950, à une époque les films Hollywoodien règnent sur grand écran, le metteur en scène nous plonge dans l’Âge d’or du cinéma américain, de ses stars, de son esthétique. Autour des figures tutélaires de King Kong et de Marilyn Monroe, il prolonge ainsi le questionnement de l’œuvre de Janácek, celui de l’immortalité d’Elina Makropoulos, par une interrogation symbolique sur les idoles et les mythologies contemporaines, de leur obsolescence à leur décrépitude. Cette reprise est un triomphe annoncé pour plusieurs raisons. Tout d’abord grâce a une distribution vocale qui a l’ivresse des hauts sommets. A commencer par la présence de superstar telles la soprano Karita Mattila (Emilia Marty) que l’on avait apprécié dans le rôle d’Hérodias, Salomé en (2022), celle du baryton basse Johan Reuter découvert ici même dans Wozzeck (2022), celle du ténor australien Nicholas Jones que l’on découvre pour la première fois ( il intègre cette année la nouvelle troupe lyrique de l’Opéra national de Paris !) et le ténor Cyrille Dubois.
On pourra aussi compter sur le ténor tchèque Pavel Cernoch (Albert Gregor) et du baryton-basse hongrois Károly Szemerédy (Kolenatý). Avec une direction d’orchestre confié à la brillante Susanna Mälkki, on s’attend à un travail d’orfèvre tout en rondeur, aussi subtil que soigné. Enfin si Krzysztof Warlikowski est réputé pour le souffle et la précision de ses mises en scène ( on se souvient de son travail sur « Angels In América » au Théâtre du Rond Point en 2008 ! ) à cette façon de mettre à nue l’âme des personnages, cette scénographie est enrichie par les projections de films en noir et blanc de Denis Guéguin et des décors aussi percutants que pertinents signés Malgorzata Szczesniak telle cette magnifique reconstitution de salle de projection art déco ou ce gorille géant plus vrai que nature, tenant dans sa main la célèbre diva. Un triomphe annoncé !
L’affaire Makropoulos Opéra Bastille jusqu’ au 17 octobre 2023