WOODY ALLEN AU GRAND REX
C’est peut-être bien l’artiste le plus âgé qu’il m’ait été donné de voir sur scène… mais il est peut-être aussi le plus jeune ! Et même si je le suis depuis mes 16 ans, je n’avais jamais assisté à un de ces concerts. Il faut dire que Woody Allen est bien plus réputé comme réalisateur, comédien, homme de théâtre ou écrivain à la rigueur… que comme clarinettiste leader d’un jazz band pur New Orleans style. À 87 ans Woody est toujours un vaillant jeune homme sur les planches et il l’a encore prouvé hier soir au Grand Rex à Paris… c’est sans doute ce qu’on appelle toute la magie du cinéma 😎
Ce soir, c’est la dernière date de la tournée, mais on parie que Woody dans sa loge du grand Rex reste serein. Rien de surprenant, puisqu’on peut considérer que depuis qu’il a entamé cette carrière alternative au cinéma à la fin des 60’s, Woody aura donné des centaines de concerts… et ce n’est pas une de ses fameuses blagues ! D’ailleurs, depuis des lustres on peut l’applaudir chaque lundi, lorsqu’il n’est pas en tournage ou ailleurs, à l’hôtel Carlyle de New York. Le voir à Paris est donc un privilège bien plus rare. Et lorsque Woody investit la scène, il est entouré de ses musiciens fidèles, Conal Fowkes (piano), Simon Wettenhall (trompette) et Jerry Zigmont (trombone) – ainsi que les derniers arrivés Josh Dunn (banjo) et Brian Nalepka (basse) sans oublier Kevin Dorn qui revient à la batterie, après avoir joué avec la formation à la fin des années 90. En tout sept musiciens d’exception et le plus bluffant c’est que le cinéaste ne dépareille pas au milieu de toutes ces pointures et je dois avouer que c’est assez bluffant. Car j’ai bien du mal à imaginer que le binoclard feuj irrésistiblement drôle, découvert avec « Bananas » et « Take the money and run », dans les bras de ma première girl-friend qui était feuj et qui était née tout comme lui à New York City, est un cador du jazz New Orleans. Mais c’est pourtant le cas.
Woody nous fait voyager, nous entraine dans sa machine sonic à remonter le temps dans cet entre-deux guerres dont il affectionne tant le swing.Et même si je suis un parfait ignare en la matière, je ne peux ce soir m’empêcher de me laisser porter par cette musique qui fait la part-belle aux solos des musiciens qui se succèdent. Super pianiste qui d’ailleurs vocalise parfois et dont l’unique défaut est d’avoir la tronche de Jeff Bezos. De même le petit guitariste/ banjo a un merveilleux feeling au toucher de ses cordes. Les deux cuivres sont aussi de parfaites machines harmoniques totalement huilées à l’émotion fluide. Quant au contrebassiste il fait ronfler son gros coffre avec une incroyable et paradoxale légèreté. Enfin, le batteur est aussi discret que porteur, menant en sous-main tout ce bal de son rythme léger. Reste la vedette, et c’est à ce moment que Woody redevient Allan Stewart Konigsberg, lorsqu’il souffle dans son instrument, je me sens téléporté dans un improbable shtetl de Pologne. Car même à travers ce jazz du sud des Etats-Unis, Woody porte en lui cette judaïté intemporelle comme un ADN dans ses gènes. Le tout entre Rosh Hashanah… et yom kippour… c’est presque une de ces scènes de film où il fait parler ses parents avec un accent yiddish à couper au couteau.
Pour revenir à la musique stricto sensu, durant un peu moins d’une heure et trente minutes le Woody band m’aura fait taper du pied avec ses interprétations de Louis Armstrong, Sidney Bechet ou George Lewis. Dommage que les deux seules interventions orales de Woody Allen ont été de saluer le public, en partageant sa joie d’être en concert à Paris, et sa présentation des musiciens mais hélas pas la moindre blagounette feuj ou non. Certes, on comprend qu’il ne souhaite pas mélanger les genres, mais juste une joke ou deux sous les étoiles du Grand Rex, ça aurait eu vraiment de la gueule 😝