GRAHAM NASH « Live »
C’est comme si Jackson Browne publiait un album live regroupant l’intégralité de « The Pretender » et de « Running On Empty » ou Neil Young « After the Gold Rush » et « Harvest », Graham Nash a en effet compilé parmi plusieurs shows capturés entre Boston, New York et Albany l’intégrale de ses deux LP les plus cruciaux, ses premiers solos « Songs For Beginners » de 71 et « Wild Tales » de 73. Et le résultat est largement à la hauteur de ses ambitions avec des versions à la fois fidèles aux originaux… et pourtant paradoxalement si originales pour un régal auditif débordant d’émotions.
Le plus surprenant à l’écoute de ce live… est la voix de Graham Nash. Plus de 50 ans après sa sortie, âgé de 80 printemps, lorsqu’il reprend la lumineuse track-list de « Songs For Beginners », son timbre n’a pas bougé d’un iota. C’est juste dingue. Et surtout, les compositions n’ont rien perdu de leur puissance. Ni leur acuité à embrasser l’actualité la plus tragique. Dès le premier titre l’immense « Military Madness », composé à l’époque pour lutter contre la guerre du Vietnam, prend aujourd’hui un nouvel écho avec la guerre tragique et injuste infligée par la Russie à l’Ukraine. Cinq décennies plus tard, les paroles prophétiques de cette « Folie Militaire » nous donnent toujours autant la chair de poule. Tout comme la suivante, « Better Days » portée par l’espoir de jours meilleurs, qui sonne d’abord comme un gospel blanc avant de nous emporter haut très haut dans l’azur du ciel. Acoustique et si délicate « Wounded Bird » dans la veine de « Our House » n’a rien perdu de sa troublante beauté lorsque « I Used To Be A King », qui comptait déjà parmi mes favorites de l’album-studio, peut être un poil ralentie ici, n’a rien perdu de son utopique pouvoir émotionnel. Toujours acoustique et toujours aussi cool « Be Yourself », sous ses airs de balade enfantine, se révèle d’une redoutable acuité tout comme la suivante « Simple Man », un folk-blues capable de nous faire couler une larme à chaque écoute. « Man in the Mirror » puis la vibrante « There’s Only One » et enfin « Sleep Song », chaque composition de cet album est un petit bijou mélodique. Mais c’est avec « Chicago / We Can Change the World », l’autre brûlot politique de ce premier 33 tours que Graham Nash offre le meilleur de lui-même. Inspirée du fameux procès des « Chicago seven » ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/the-trial-of-the-chicago-7.html ) ces étudiants militants de gauche injustement accusés d’avoir fomenté des troubles durant la Convention démocrate de 68 et condamnés à tort. Dès les premiers mots, la chanson de Nash dénonce l‘injustice et le racisme : « Bien que ton frère soit attaché et bâillonné /Et qu’ils l’aient enchaîné à une chaise/ Ne viendras-tu pas à Chicago ? », en effet le Black Panther Bobby Seal empêché de s’exprimer par le juge est carrément bâillonné et enchainé durant la procès. We can change the world… 5 décennies plus tard, le slogan reste toujours autant d’actualité.
Deux ans après son premier LP, Graham Nash sort « Wild tales », enchainé ici et c’est encore un festival de coolitude exacerbée, malgré son côté sombre. Déjà la chanson-titre qui ouvre l’album allie puissance et mélodie dans la veine du joyeux « Marrakeh Express » de C, S & N lorsque « Hey You (Looking At the Moon) » véhicule toute la mélancolie de sa rupture avec Joni Mitchell. Tout comme « Prison Song » qui porte décidément si bien son nom. Toujours aussi country aérienne « You’ll Never Be the Same » a toujours son pouvoir de séduction tandis que les harmonies dorées de « And So It Goes » évoquent le feeling de Laurel Canyon et de cette Californie laid-back que le natif de Blackpool en Angleterre a si bien adopté qu’il finit par se confondre avec elle. Si j’avais oublié combien « Grave Concern » était un des titres-pivots de « Wild Tales », on le redécouvre dans ce « Live ». Avec « Oh Camil ( The Winter Soldier) » Graham Nash signe à nouveau un superbe hymne pacifiste… qui pourrait s’appliquer à un soldat russe combattant aujourd’hui sur le front ukrainien, preuve si l’on pouvait en douter combien les chansons de l’ex-Hollies sont aussi puissantes qu’intemporelles. « I Miss You » piano voix délicate est encore un hymne à ses amours perdus qui n’a pas pris la moindre ride. « On the Line » est dans la veine de « Wild Tales », balade ensoleillée et radieuse feel good song. Enfin, cette superbe collection live s’achève sur l’éthérée « Another Sleep Song ». Pour ceux qui ne connaissaient pas les deux 33 tours d’origine ce « Live » leur offre une occasion inespérée de les découvrir. Quant aux autres, ces chansons revisitées un demi-siècle après leur parution déclencheront chez eux une puissante décharge nostalgique et l’espoir de découvrir enfin un successeur à son dernier CD « The Path Tonight » publié en 2016. Au boulot à nouveau Mister Nash… on compte sur toi !