PAUL YOUNG SOUL BLANCHE POUR IDEES NOIRES
Voici trois décennies, j’interviewais le chanteur British Paul Young pour le légendaire mensuel BEST qui nous confiait alors sa play-list black personnelle. Après toutes ces années, ces singles mythiques des héros de la soul n’ont pas pris une ride au fond de leur sillon. Clinton, Sam Cooke, Marvin Gaye, Bobby Womack, Aretha Franklin et tous autres continuent de nous éblouir du fin fond de leur légende
Lorsqu’il débarque au tournant des 80’s avec son soul-band The Q-Tips, Paul Young est un objet sonore non identifié. En deux albums solos « No Parlez » (83) et surtout « The Secret of Association » (85) le chanteur de Luton dans le Bedfordshire impose son style cool comme le chocolat chaud fond sur la blancheur de la glace à la vanille dans leurs profiteroles. Pour le numéro 203 de BEST, je rencontre celui que l’on surnomme à tord le joufflu et qui est sans conteste LA révélation scénique de cet été 1985 lorsque Paul Young fait danser la France entière sur la gestuelle de son « Everytime You Go Away »
HOT PARADE
Soul-critic éclairé, Paul Young extrait les dix favorites perles noires de sa vaste collection.
Soul brother N°1 du moment, Paul Young a la réputation d’être un bébé joufflu. Croyez-moi, il n’en est rien. Plus grand, plus mince, plus blanc qu’en Kodachrome, Paul est en 85 le cul ivoire qui lave plus noir. Sans mélanger sentiments et couleur de peau, je peux vous révéler que Paul, le visage pâle, est en réalité un nègre albinos. Faites le test de cordes vocales,, celles de Paul trahissent une négritude profonde. Les Anglais nous ont pourtant habitués au phénomène en clair-obscur ; Stevie Winwood, Tom Jones, Eric Burdon et quelques autres ont su auparavant faire briller leur soleil noir au sommet des charts. Paul Young assure toute la pérennité de cette fière lignée, le cousin par alliance de James, de Marvin et d’Otis c’est bien lui et basta avec cette stupide histoire de pigmentation. Cousin Paul est un bon élève, d’ailleurs il n’oublie pas les enseignements de ses aînés. Amateur de covers et autres adaptations, Paul joue avec succès au spéléologue de la musique noire. Au fil de ses albums il nous exhibe des introuvables de Marvin Gaye comme « Wherever I Lay My hat » ou le « SYSLJFM » de Joe Tex. Ce type là doit donc forcément thésauriser un max d’or noir à force d’écumer les louches officines des marchands de collector’s aux quatre coins de la Planète : raretés, pressages originaux, simples épuisés…je ne vous raconte pas le trésor ! Alors, plutôt que de parler du nouveau Paul Young- que vous achèterez de toutes façons parce qu’il est sacrément bien foutu- suivons plutôt l’intéressé dans son musée imaginaire des héros de la soul music. Top 10 du N°1 , vagues à l’âme qui vont droit au cœur , Paul retire ses Ray Ban Wayfarers pour embrasser ses héros du regard amoureux d’un soul-lover, en véritable connaisseur. Epoques et styles confondus, voici son hit-parade :
« 1 : Aretha Franklin « I Say A Little Prayer»
La première, et de loin, ma chanson favorite de tous les temps. Une chanson superbe pour la chanteuse la plus accomplie de toute la pop-music. J’ai eu un mal fou à dénicher ce 45 tours car lorsqu’il est sorti, j’étais très jeune. J’ai du fouiller des dizaines de soldeurs de disques sans succès avant d’avoir le rare privilège’ de le dénicher. Je suis un collectionneur forcené. A Londres, j’écume sans cesse le circuit des boutiquiers échangistes du vinyle. Je parie que Paris possède aussi le même circuit, car vous autres les Français, partagez cette tradition du Rhythm and Blues. Si l’on recherche vraiment un disque, on y met peut-être beaucoup de temps- et d’énergie, mais on finit toujours par le trouver. «I Say a Little Prayer» m’a remboursé au centuple tous mes efforts: la voix d’Aretha y est totalement flamboyante. Les arrangements sont aussi simples que somptueux, le feeling me submerge et ça ressemble étrangement à une extase. J’ai souvent besoin d’entendre les cœurs battre dans les chansons que j’aime. Si je m’enflamme autant pour la soul- music, c’est qu’elle colle aux rythmes du corps. Elle bouge avec moi comme une seconde peau, c’est une énergie libératrice.
2 : LITTLE RICHARD « Good Golly Miss Molly»
Ce n’est pas exactement de la soul, mais je craque sur ce titre de Little Richard. Je lis d’ailleurs un bouquin sur lui en ce moment où l’on analyse son succès de la manière suivante: « Un court circuit sur ligne haute tension qui crée un électrochoc positif ». Ça a l’air technique, mais c’est tout simple, la musique de Little Richard a des vertus curatives. « Good Gal/y Miss Molly» est encore une rareté que je ne possédais pas. Le pressage original est introuvable et Little Richard a encore brouillé les pistes en ré-enregistrant X fois ce même morceau. La plus forte de toutes, la plus émotionnelle, c’est la première bouture du titre. Ca m’a pris du temps, mais je l’ai dénichée il y a un peu moins d’un an et c’est le truc le plus excitant que j’aie jamais entendue. C’est plus fort que moi, je suis un forcené de l’authentique. J’ai besoin d’émotion brute, ce coté vierge de la toute première fois. Si jamais je découvre que le disque que je possède n’est pas la toute première version originale d’un titre, je m’accroche comme un fou pour exhumer la pièce rare. pour moi c’est une manière de mesurer l’évolution du cœur. J’écoute les différents enregistrements et je le sens battre différemment.
3 : SLY AND THE FAMILY STONE : « It’s a Family Affair »
Au-delà de l’imagination, ce disque regroupe tout ce dont on peut rêver. Si la production est un peu faible, les idées par contre, éclatent comme un feu d’artifice. C’est lumineux. Il y a plus de quinze ans, seul un allumé comme Sly Stone pouvait inventer un tel son. Ce type est le Jules Verne de la soul music, à l’époque il utilisait déjà une boite à rythmes. «It’s a Family Affair » me fait craquer sur ses délires expérimentaux. Si proche ou au contraire si lointaine, la voix de Sly reflète toujours une rare pureté. Quand j’écoute le jeu du bassiste et qu’il traverse le temps avec autant d’aisance, je me dis que ce type ne pouvait être qu’un extra-terrestre. SIy, comme son complice George Clinton, était indubitablement un pionnier.
4 : PARLIAMENT «Chocolate City»
On n’a pas l’habitude de la soul déjantée, la soul expérimentale et psychédélique, la soul acide de George Clinton. Aujourd’hui je ne nie pas mon désir d’en injecter dans ma musique. Si je ne l’ai pas fait auparavant c’est que je ne me sentais pas prêt. Ce genre de folie exige une extrême cohésion entre ceux qui l’exécutent. Le groupe qui tourne désormais avec moi depuis que nous avons enregistré les titres du « Secret of Association » me parait parfait pour ce genre d’expériences. C’est un groupe de soul brûlante. J’ai trois choristes avec moi: Jimmy Chambers, la voix aigüe, George Chandler, plutôt medium, et Tony Jackson qui a une superbe voix basse, Ces gens-là maitrisent parfaitement le jeu de l’« âme ». Je sais qu’avec eux, nous saurons nous dépasser pour créer une soul plus cassée qui saura vous étonner, comme la musique de Clinton. Je trouve beaucoup de choses rares chez les collectionneurs, mais je n’y ai pas rencontré mes choristes. Laurie Latham, mon producteur les a engagés pour l’album. Ils travaillent ensemble depuis longtemps. Je les adore. Ils ont un côté très Four Tops tous les trois à cause de ce jeu de scène synchrone où ils chantent comme s’ils dialoguaient. C’est super de voir des chanteurs qui savent tout autant s’exprimer avec leurs corps qu’avec leurs voix. En tous cas, si j’aime autant ce « Chocolate City» c’est aussi pour son texte. Clinton projette l’image d’une Amérique vraiment chocolat où la Maison Blanche est peinte en noir. James Brown y est Secrétaire d’Etat au Trésor, Richard Pryor tient le portefeuil/e de l’Education, Stevie celui des Beaux-Arts et Aretha Franklin y est bien entendu la First Lady. La voie lactée devient chocolatée. Cet USA cacao, c’est aussi une histoire d’effets vertigineux, un funk lancinant charmeur à fleur de peau, une soul en arc-en-ciel.
5 : SAM COOKE « A Change Is Gonna Come»
Sam était absolument superbe dans les rythmes rapides, mais on a moins l’habitude de l’entendre pousser des ballades tendres aux arrangements aériens avec violon et orchestre. «A Change Is Gonna Come », c’est sa voix avec toute l’émotion de la surprise. Je parlais tout à l’heure des battements du cœur, avec Sam on découvre que cet organe peut aussi pleurer. En fait ma toute première musique c’était le blues. Lorsque j’entends une chanson triste, je fonds sur-le-champ car je m’identifie totalement à elle. Je crois que tout le monde a besoin de chansons mélancoliques dans la vie, la preuve c’est qu’elles dépassent souvent les titres aux tempos violents dans les hit-parades. Les slows sont plus faciles à endosser comme une autre peau. On n’a pas besoin de sombrer dans le cafard pour aimer les chansons tristes. Au contraire, elles servent souvent de repoussoir au stress. Lorsque je chante des ballades, à la toute dernière note c’est comme si l’ennui s’était vidé de ma tête: il ne reste qu’un ciel bleu. Dans ces moments-là, je sais que je suis heureux.
6: OTIS REDDING « Love Man»
J’adore ce titre car il se distingue du style habituel d’Otis. Il n’est sans doute pas aussi célèbre que « Respect» ou « Can’t Get No Satisfaction », mais il met en valeur sa face cachée, µn sens de l’humour inhabituel. Au beau milieu de «Love Man » il décrit le style de femmes qui le fait bander en donnant même ses mensurations exactes (tour de poitrine, de taille, etc.) comme une playmate de Playboy. Je présume que celles qui se sont reconnues ont pris contact avec Otis. En tous cas, c’est la meilleure idée de petite annonce de toute la soul music.
7 : JOE TEX « Show Me »
Pour continuer sur une note optimiste. Je me souviens que la toute première fois que j’ai entendu cette chanson c’était dans la version de Tom Jones, bien avant que je ne découvre Joe Tex. Maman Young écoutait sans arrêt Tom Jones à la maison, alors j’en profitais aussi. Certes au début, Tom Jones pour un blanc, était un chanteur soul volcanique, mais Joe Tex en VO c’est incomparable. J’ai toujours ce son de tambours de« Show Me» qui résonne dans ma tête. D’ailleurs sur l’album des Q-Tips (littéralement les Cotons- Tiges), mon premier groupe, nous chantions un titre de Joe Tex, « SYSLJFM (The Letter Song)». Je n’ai jamais su si Joe l’avait entendue. C’est une idée qui m’a souvent obsédé, je ne saurai jamais si Tex a aimé ou non notre version. C’est drôle, aujourd’hui en Angleterre les trendies découvrent l’album vieux de cinq ans des Q-Tips en faisant comme s’ils l’avaient toujours écouté. A l’époque, tous ces nuls nous ignoraient. Le comble, c’est lorsqu’ils balancent avec un air entendu « Oh ce que fait Paul maintenant est loin d’être aussi bon que ce qu’il’ faisait du temps des Q-Tips ». blague ! J’étais heureux avec les Q-Tips, mais ·avec mon nouveau groupe je redécouvre l’esprit de fête et de fun.
8 : BOBBY WOMACK « Just My Imagination»
Tiré de son album « The Poet », c’est le titre le plus récent de toute ma sélection. Bobby Womack est à mon sens le plus grand chanteur vivant aujourd’hui, mon préféré entre tous. Ses albums du début sont superbes mais, au fil du temps sa musique se bonifie comme un vieil alcool entêtant. Plus il vieillit plus j’ai l’impression qu’il se rapproche de mes oreilles pour me parler. Sut ce morceau, il y a aussi cette pedal steel guitar, un instrument traditionnellement country and western qu’on n’a pas ‘habitude d’entendre chez les soulmen. Sur mon titre« Everything Must Change », je me suis offert un clin d’œil à Bobby Womack en forme de pedal steel guitar pour marquer l’association étroite qui existe entre la soul et le Country/Western. Ce n’est jamais très évident, sauf pour des gens comme Ray Charles et Bobby Womack justement. D’ailleurs j’ai écrit « Everything Must Change» avec l’obsession de Bobby Womack: je pensais sans cesse à lui Certes, le titre est un peu triste, mais il contient une bonne dose d’espoir. Je refuse la mélancolie outrancière. Il faut toujours laisser une ouverture.
9 : MARVIN GAYE « Abraham, Martin and John»
Depuis ma reprise de « Wherever I Lay my Hat», nul n’ignore ma passion pour ce diable noir. Marvin savait être plus touchant que qui que ce soit. Dans ce titre dédié à Abraham Lincoln, Martin Luther King et John F. Kennedy, il chante: Has anybody there seen Abraham/Can you tell me where he’s gone?/He freed a lot of people/I just looked around and he was gone … ». C’est si simple, si fort et si beau, un message direct à tous ceux qui rêvent ce monde avec un peu plus de sentiments. Au niveau du choc émotionnel et du spleen, on est très proche de la voix de Sam Cooke, des voix sucrées sur un cœur qui bat dans tous les sens. Pour moi, Sam et Marvin possèdent tous deux ce qui se rapproche le plus de la voix idéale à la frontière de la folie. Une frontière que Marvin a souvent dépassée. C’est fascinant parfois de sentir qu’on est sur le point de perdre les pédales. On contemple sa propre folie dans un miroir. J’ai déjà vécu ça, mais pour le moment je contrôle parfaitement tout ce qui m’arrive. Pourtant l’an passé j’ai senti la caresse du voile noir de la folie. J’ai été malade et durant ce temps, je songeais sans cesse à Marvin. Avec « Sexual Healing », il m’a prouvé qu’il n’existait aucun fossé entre l’âme profonde et la technologie. Le son de l’album était résolument moderne et pourtant sa flamme brillait avec autant d’intensité. C’est comme les maxis remix que les artistes nous balancent comme des envies de pisser. Marvin n’a sorti qu’un seul maxi dans. sa vie, mais c’est un véritable trésor. Parfois tu crées une chanson et elle est parfaite ainsi, à quoi bon la rallonger? Moi, je ne me sens absolument pas coincé par l’allégeance au 12 inch remixes. Je n’en publie que si j’en sens vraiment la nécessité comme pour« Tear Your Playhouse Down ». C’est un parfait exercice de style pour mon producteur. Mais je dois reconnaitre que ses versions maxi sonnent toujours mieux que les versions d’origine. D’ailleurs sur mes albums on met toujours des versions raccourcies du maxi au lieu de se contenter de coller les 45 tours.
10 : JUNIOR WALKER « Roadrunner »
« Roadrunner » me rappelle énormément de souvenirs. Lorsqu’il est sorti, j’étais très jeune et je commençais juste à découvrir les clubs pour ados. Plus que n’importe quel saxophoniste, Junior Walker sait insuffler à son instrument un timbre si proche de la voix humaine que cela en est troublant. Junior sonne comme s’il avait commencé à souffler dans le ventre de sa mère. Son sax donne l’impression d’être une partie intégrante de son corps, il est vrai. Je comprends tout à fait Mick Jones, le type de Foreigner qui a employé Junior pour son tube« Urgent ». Même s’il est plus rock que moi, nous partageons les mêmes références. Si un jour je voulais incendier un de mes titres par un solo de sax, je suis certain que moi aussi je choisirais Junior Walker. »
Un soulman se juge avant tout sur sa prestation scénique. Rassurez-vous, Paul Young est un showman accompli. S’il a passé haut la main les examens écrits de son doctorat es soul, ses oraux sont aussi parfaits. C’est vrai, j’ai fini par fondre pour le joufflu-qui-n’en-est-pas-un et lorsqu’il chante: « Everytime you go away you take a little piece of me with you », je n’ai aucune peine à le croire. Docteur Soul, Mister Young je te confie mon âme. Prends-en bien soin.
Publié dans le numéro 203 de BEST daté de juin 1985