SIMON BOCCANEGRA À L’OPÉRA
« Simon Boccanegra » de Giuseppe Verdi à l’Opéra National de Paris marque le retour particulièrement attendu de Ludovic Tezier, où dans un décor de vaisseau fantôme, Calixto Bieito, le plus shakespearien des metteurs en scène d’opéra, offre humanisme et vérité à cette œuvre hantée de scintillantes images maritimes qui évoquent le Gènes de ce corsaire devenu le premier Doge roturier le la fameuse cité-État, une épique aventure qui a littéralement transporté le mélomane JCM.
Par Jean-Christophe MARY
Au XIVe siècle, Gênes est déchirée par les luttes entre patriciens et plébéiens. Nommé Doge à la succession de Fiesco, patricien détesté, le corsaire Simon Boccanegra espère retrouver Maria, la fille de celui-ci, qu’il a aimée autrefois. Fiesco, sachant que Maria est morte, décrète qu’il leur accordera son pardon le jour où Simon lui restituera sa petite-fille, Amelia, fruit des amours coupables de Simon et Maria. Simon découvre le corps sans vie de cette dernière. Six ans après sa création, l’œuvre de Giuseppe Verdi dans la production de Calixto Bieito fait son grand retour à l’Opéra National de Paris. Toujours avec l’immense Ludovic Texier dans le rôle-titre.
S’il n’est pas le plus connu des opéras de Verdi, Simon Boccanegra était l’un de ses préférés, au point de le remanier en profondeur 24 ans après sa création à Venise en 1857. Quel destin que celui de Simon Boccanegra ! Cet ancien corsaire élu doge de Gênes, voudrait rétablir la concorde au sein de son Conseil, divisé entre patriciens et plébéiens, et la paix avec Venise, l’éternelle rivale. Mais cet humaniste est aussi rongé par la perte de sa fille, enlevée lorsqu’elle était enfant. Dans ce drame politique et intime, sans doute le compositeur trouvait-il des échos à sa propre vie, lui qui avait contribué à l’unification italienne et perdu ses deux premiers enfants. Musicalement, Verdi a créé un personnage d’une grande richesse psychologique. Une richesse accentuée par la mise en scène de Calixto Bieito qui nous projette dans les pensées de Simon, sans oublier une évocation de la mer – seul endroit où l’ancien corsaire a été vraiment heureux – via la coque d’un immense navire. Cent cinquante ans après sa création à la Fénice de Venise, l’opéra de Paris nous offre une relecture de ce grand opéra en un prologue et trois actes que Verdi remania en 1881 avec le librettiste Arrigo Boito. C’est cette seconde version qui offre au personnage de Simon Boccanegra, sorte de Garibaldi associé au « Risorgimento » (période de réunification de l’Italie au XIX e siècle) toute sa dimension humaine. Le véritable Simon Boccanegra, élu Doge de Gênes en 1339, fût le premier à occuper cette fonction. Dans cet opéra porté par une matière musicale hautement évocatrice de l’univers marin, Verdi fait raisonner l’attachement de Simon à la mer. En adaptant, la pièce du dramaturge espagnol Antonio Garcia Gutierrez, le compositeur souligne ici les éléments propres au théâtre qu’il affectionne : un amour interdit par les conventions politiques et morales, l’affrontement des classes et des générations. Dans les opéras de Verdi, qui fût Sénateur, son œuvre est souvent associée à la politique de son temps. Si l’on ne peut affirmer que le compositeur cherche expressément à mettre en musique les troubles sociaux et événements historiques dont il est témoin, un parfum patriotique infuse constamment ses œuvres.
Il est de même concernant les rapports père fille qui forment le nœud dramaturgique de ses opéras ( Simon Boccanegra, Rigoletto) où la correspondance avec compositeur qui perdit sa fille Virginia à un an ( mais aussi son fils Ilicio l’année suivante et un an après sa jeune épouse) est ici plus qu’évidente. Après Lear et Carmen, Simon Boccanegra est la troisième production du metteur en scène espagnol pour l’Opéra National de Paris. La mise en espace conçue est particulièrement impressionnante. Dès le premier acte, le rideau se lève sur un imposant dispositif scénique avec en décor unique, la proue d’un énorme cuirasser partiellement démantelé, où trônent portiques et escaliers qui mènent au pont avant. Ce vaisseau fantôme pivote tout au long des trois actes. L’effet est saisissant, et l’idée brillante, puisque ce spectaculaire destroyer, échoué face la mer, constitue à la fois le refuge de Boccanegra, et le symbole de sa puissance contestée comme du chagrin qui le ronge. Des projections photos-vidéos en gros plans des personnages principaux plongent le public au cœur de la psychè des personnages. Voilà pour le décor. Mais le fil rouge de cette imposante mise en scène est le fantôme de la défunte Maria (interprété par une comédienne), qui incarne le grand amour interdit de Simon Boccanegra, tel un spectre qui rôde et hante les méandres de son cerveau. Côté solistes, cette nouvelle production d’exception réunit sur un même plateau une flopée de pointures lyriques parmi lesquelles le baryton Ludovic Tézier (Simon Boccanegra), la soprano australienne Nicole Car (Amelia Grimaldi/ Maria Boccanegra ) et une distribution qui promets des moments savoureux et intenses avec notamment la belle voix basse du finlandais Mika Kares ( Jacopo Fiesco) aux graves profonds et élégants et les belles intonations du baryton Etienne Dupuis (Paolo Albiani) pour ne citer qu’eux.
Si on ajoute à cela la musique imposante et majestueuse de Giuseppe Verdi, les costumes signés Ingo Krügler, les lumières de Michael Bauer, la vidéo de Sarah Derendinger, la direction des chœurs sous l’autorité d’Alessandro Di Stephano et une direction d’orchestre confiée à Thomas Hengelbrock, ces huit nouvelles représentations raisonnent déjà aux airs de triomphe.
Du 12 mars au 03 avril 2024
Renseignements et réservations : www.operadeparis.fr