RENCONTRE MAGIQUE AVEC BOBBY WOMACK

Bobby WomackEn 1986 lorsque je retrouvais chez lui à Hollywood pour BEST l’immense soul star Bobby Womack, il avait à peine 40 ans …et pourtant il avait déjà côtoyé tous les plus grands héros de la black music. Mais en même temps, ce Géant noir né à Cleveland Ohio revendiquait également son héritage rock and roll. Rencontre magique pour le LP « Womagic » avec un de mes héros de la blackitude éternelle. Robert Dwayne Womack s’est éteint en juin 2014 à seulement 70 ans à Tarzana, dans la San Fernando Valley et sa voix si basse nous manque toujours autant.

Publié dans le numéro 209 de BEST sous le titre: LE JEU DE LA VERITÉ

Sur Mulholland Drive qui domine les collines d’Hollywood, le soleil tape déjà comme un charpentier. Dissimulée par la végétation, à quelques centaines de mètres, la maison des Womack parait encore assoupie. 10 am et quelques cafés dans le nez, le chroniqueur rock, passant outre la plaque de cuivre qui précise « Il est interdit de déranger Mr and Mrs Womack sans rendez-vous préalable », déclenche le carillon. «  Heu … J’ai rendez-vous », précise t-il au gamin qui l’invite à entrer. Bobby Truth Womack a déjà six ans. Si Bobby daddy l’a baptisé ainsi c’est bien à cause de son obsession pour la Vérité. D’ailleurs l’édition, la production et le nouveau label de Bobby Womack sur MCA portent eux aussi le nom de Truth. Mini Womack est vraiment trop mignon, il revient en tirant papa par la manche de sa chemise. « Hi », Senior a la voix la plus grave que j’aie jamais entendu. Et cette voix-là vaut de l’or en barre.Bobby Womack and the Stones

En studio avec les Stones

« J’ai été assez occupé cette année », attaque Bobby tandis que Truth file en quête de café, « d’abord il y a eu mes fidèles copains les Stones qui voulaient que je vienne à Paris bosser avec eux sur le nouvel album. Mais j’ai eu une maladie de gorge et j’ai passé bien du temps à l’hôpital. Les Stones avaient déjà tous leurs titres en boite. Je les ai retrouvés à New York pour les additifs et nous avons fait des trucs géants pour le nouveau Rolling Stones. (« Dirty Work » qui sera publié le 4 mars 1986) Ces deux dernières années, on a pu constater une extraordinaire évolution qui pousse les artistes à travailler ensemble. L’idée maitresse, c’est qu’il faut jouer et s’éclater. On n’est pas là pour très longtemps, il faut en profiter. C’est pour cette raison que je vais avec les Stones. On est en studio, on joue. S’il en sort quelque chose, on en fait un disque: Sinon, il nous reste le bon temps. Un truc comme Live Aid m’a soufflé car il n’y avait plus d’ego, de star ou de couleur. Soyons unis pour la même cause, c’est aussi cela la Vérité. A ton avis, d’où vient le feeling, la soul, la foi pour chanter ? Miami Steve m’a appelé pour faire un disque contre l’apartheid avec Springsteen, . Lou Reed, Eddie Kendricks, David Ruffin, George Clinton et quelques autres. Nous avons choisi «Sun City» comme symbole. Les riches Américains vont s’éclater dans cette riche villégiature et c’est honteux. Sun City symbolise tout ce que nous haïssons dans ce régime raciste d’Afrique du Sud. Hé, ne n’ai pas oublié qu’ il y a seulement vingt ans, lorsque j’étais le guitariste de Sam Cooke, ici c’était l’Afrique du Sud. Je jouais dans des clubs où l’on mettait les blancs d’un côté et les noirs de l’autre, alors qu’ils écoutaient tous la même musique, qu’ils sentaient les mêmes choses. Un soir, Sam a décidé tout de go qu’il ne jouerait plus dans ces conditions. « Si vous voulez que je chante, asseyez-vous ensemble », leur a t-il lancé. Lorsque la musique a commencé à pulser, ils se sont tous enflammés et lorsqu’elle s’est arrêtée, ils étaient côte à côte. La musique abolit les discriminations. Lorsque les gens chantent ensemble, comment peuvent-ils penser à outre chose qu’à s’aimer? »

Un ciel de rock’ n’ roll

Bobby+Womack+Womagic+244672Bobby Truth revient avec un plateau. Ce môme est trop. Voilà deux semaines, il s’étonnait que la voix de papa soit si basse; « Pourquoi donc ne chante-t-il pas comme Prince? ». Petit bonhomme a découvert que papa fumait trop, du coup il a balancé au broyeur toutes les clopes de la maison. Dans son LP « Womagic » la chanson « Only Survivor », Bobby énonce tous ceux qui nous ont laissés pour un ciel de rock’ n’ roll.

« La chanson a été composée par mon jeune frère Cecil. Avec sa femme Linda, la propre fille de Sam Cooke, ils chantent sous le nom Womack and Womack. Cécil était un soir dans cette pièce et il observait les photos encadrées sur les murs, des portraits d’amis qui nous avaient quittés, des gens avec lesquels j’avais joué jadis. Cecil m’a dit: « C’est fascinant, tu as juste quarante ans, ce qui n’est pas vieux et pourtant tu as déjà touché à tant de styles. Man, tu as joué avec tant de gens ». Et il m’a joué au piano la mélodie de « Soul Survivor » en me disant « ceci est ta chanson ». Je ne suis pas le seul, lui ai-je répondu. Il y a les Wilson Pickett, Salomon Burke, Sam and Dave, Mary Wells, ils sont encore vivants, mais qui se préoccupe d’eux? Hé man, tu veux que je te confie mon vieux rêve? Un jour, je monterai un label, « Yesterday Records» et je signerai tous ces artistes pour prouver qu’ils ne sont pas des citrons pressés vidés. Nous leur devons une sacré dette. Sans Sly Stone, jamais il n’y aurait eu de Prince. Sans Little Richard, il n’y aurait pas eu Sly. Tout a déjà été fait dans la musique. On s’inspire tous des uns et des autres. Les noirs ont plus donné au rock’n’roll que quiconque. Chuck Berry, Fats Domino, Little Richard, ils étaient tous là. Aujourd’hui lorsqu’on dit rock, on pense instantanément blanc, hard rockeux aux cheveux gras. Moi je ne vois pas les choses ainsi. Je suis un rocker, c’est MA musique. Peu importe l’appellation, de toute façon ça change tout le temps. Prends la GoGo Music, lorsqu’on l’entend on a l’impression d’écouter exactement ce que James Brown fait depuis vingt ans. Mais on rebaptise ça GoGo pour faire plus neuf. Gogo … Go Where ? C’est okay, je ne cherche pas à démolir la GoGo. GoGo ou HoHo, dès l’instant où l’émotion passe, peu importe la définition. »

Bobby devait passer à Paris début octobre, mais le gig a été repoussé. Le chroniqueur rock et tous les autres se consoleront donc à l’écoute de « So Many Rivers», en rêvant d’une re-formation des Valentino, le groupe des frères Womack auteurs du fameux « It’s AII Over Now ». Et de toute façon, la soul aura toujours le dernier mot, n’est-ce pas ?

Publié dans le numéro 209 de BEST daté de décembre 1985BEST 209

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