IGNATUS EST LOIN D’ETRE UN HIBERNATUS

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e.pok en live

Avec son pop-group les Objets, Jérome Ignatus se distinguait déjà dés le tournant des années 90. 25 ans plus tard, le chanteur-auteur-compositeur n’a pas fini de nous surprendre avec ses fusions inédites. e.pok, son nouveau projet est un spectacle ambitieux, que nous avons eu e privilège de pouvoir expérimenter, où se mêlent vidéo-art, électro-acoustique, imagination et pop à la Française.

Plus de vingt années après le split des Objets, son groupe emblématique, Jérome Ignatus n’a toujours pas laché l’affaire et c’est tant mieux. Ses albums en solitaires avaient déjà su nous alpaguer, mais cette fois c’est sur scéne dans un spectacle surprenant où les artistes se mettent au niveau du public que ce Doc à la manière de Retour vers le futur a su nous séduire. Il est vrai que Jérome est à sa manière une sorte d’OVNI de la chanson, comme peuvent l’être à leur manière Manset, Kent, Arthur H, Dick Annegarn ou le regretté Bobby Lapointe. Jérome ne se contente pas de mettre l’imagination au pouvoir de sa musique, il sait aussi porter un regard incroyablement critique sur son travail. Car cette fois, il a décidé de mettre son art sous le signe de la cohérence, son nouveau maitre mot qu’il développe au cours de cet entretien rare. Rencontre avec un ex-Objet parfaitement recyclé.IGNATUS

« On se connaît depuis longtemps Jérome…les Objets c’était en 91/ 92 ?

Oui le premier album est sorti en 91 et le second en 94. Le groupe s’est séparé en 95, un an après la sortie du deuxième album.

Après le split, tu continues seul, tout en gardant cet esprit un peu décalé qui faisait déjà tout le charme des Objets.

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Ignatus et les frères Makoya

C’est marrant, car je réfléchissais à ça récemment en rédigeant ma bio, je me suis rendu compte que j’ai toujours essayé d’être décalé. Mais ma principale racine reste la chanson, même si j’ai également écouté énormément de rock, de jazz, de musiques du monde, de toutes sortes d’autres musiques. Et dans tous mes projets, j’ai essayé de marier la chanson avec d’autres choses. Pour la sortir du carcan très chanson-chanson dans la quelle elle s’est enfermée. Donc avec les Objets, on a essayé de marier la chanson française et la pop anglaise. Une tentative d’union entre Gainsbourg et les Smiths. Après, moi avec Ignatus je suis allé vers la musique électronique. J’ai été beaucoup marqué par DJ Shadow, par tout ce qu’amenaient aussi le hip hop et la musique électro. Donc, j’ai décidé de mêler cela à la chanson avec l’utilisation des boucles, des samples. Entre temps, je me suis lancé dans un projet avec deux musiciens Africains, donc là aussi le mélange de la tradition Africaine et de la chanson. Et là sur ce nouveau projet e.pok , l’objectif c’est plutôt de marier la chanson et la musique électro-acoustique. Donc une musique qui n’est plus basée sur des suites d’accords, sur des rythmiques, mais sur des résonances, des fréquences, des choses moins structurées. C’est un peu ce qu’on essaye de faire sur e.pok. Donc il y a des chansons qui sont encore assez proches du format chanson et d’autres qui sont totalement destructurées, où je détermine le moment où je chante, puisqu’il n’y a plus de rythmique. Et c’est comme une chanson improvisée, assez libre où l’on remet en cause les schémas de construction traditionnelle. Par exemple, normalement quand tu fais une chanson tu fais une fois à la suite des accords et paf, tu commences le chant de suite. Et là, Nicolas Losson, le musicien électro-acoustique me demandait de faire quatre fois l’intro. Ce qui pour moi était délirant ! Mais comme les autres musiciens et lui rajoutaient des choses, c’était juste un autre rapport au temps et cela permet de jouer autrement et avec plus de temps, plus des ambiances des couleurs plus que du texte tout de suite.

Tu as en fait appris à dépouiller, à en faire le moins pour arriver au plus ?pochette-car-vignette

Quand on est musicien et qu’on fait des maquettes, quand on est seul, on fait une piste puis on va en rajouter et en rajouter. On va mettre des cordes, maintenant avec les ordinateurs on peut imiter tous les instruments ; donc on peut se transformer en arrangeur et en mettre des tonnes  en se disant : comme cela ça va impressionner, on ne va pas s’ennuyer. Et en travaillant avec Nicolas pour le mixage j’ai compris que le moins était en fait le mieux. Plus tu enlèves, plus cela donne de la force au morceau. Et pour e.pok, l’objectif effectivement c’était d’enlever. Alors c’est paradoxal car on est 5 sur scène, dont 4 musiciens plus un artiste vidéo, mais sans rajouter des tonnes et des tonnes d’arrangements de batteries, d’effets et tout cela. Donc c’est une méthode qui s’applique non seulement sur le travail en studio, mais aussi sur le travail en concert.

Justement, en concert, tu as choisi de jouer dans des lieux un peu étranges ou surprenants. Et qui ont surtout une acoustique particulière car l’acoustique devient alors un élément de la musique.

IMG_4709 (1)Oui c’est vraiment un spectacle que l’on peut jouer n’importe où, dans une clairière comme dans une église. ET aussi dans une salle de concerts, bien sur mais c’est plus intéressant que cela se passe ailleurs. C’est un spectacle qui m’est venu à l’esprit lorsque l’on m’a offert de jouer dans une Abbaye, celle de Noirlac près de Bourges. J’ai eu l’idée, en fait, de créer le spectacle et le concept à partir de ce lieu, ce qui m’a permis d’avoir une direction forte sur le choix des morceaux, sur le choix des arrangements. Quand j’écrivais une nouvelle chanson, je me demandais alors si elle pouvait avoir sa place dans ce cadre là. Et si elle ne trouvait pas sa place, elle dégageait. Mais si elle la trouvait, elle restait. Ce qui m’a donné plus de cohérence. Car je pense que j’en manquais dans les spectacles précédents et sur les albums précédents. L’idée était de donner une cohérence à tous les morceaux pour qu’ils forment un tout cohérent avec cette idée de résonance, d’un autre rapport avec le temps , avec l‘espace sonore et avec le lieu.

Tu as toujours aimé t’imposer des règles comme durant ces spectacles « Sous la contrainte » où tu interprétais des chansons…mais à l’envers » (sic !).

Moi je pars beaucoup du texte car j’écris beaucoup. Alors, soit j’ai des idées précises, des choses que j’ai envie de dire, sous un certain angle. Mais très souvent, j’écris en m’imposant des contraintes. Et je me suis aussi rendu compte que je m’étais aussi imposé des contraintes musicales dans la composition. Quand j’ai réalisé touts ça, j’ai eu l’idée de monter un spectacle autour de ça avec un rétro-projecteur derrière moi. Il est transparent pour donner un petit coté low-tech vintage. Pour jouer les vieux professeurs conférenciers un peu délirants. Et c’est vrai qu’à un moment, il y a une partition et je chante et je joue sur la partition à l’envers. Le si reste le si, mais le sol devient ré. Et inversement. Toutes les notes sont inversées. Par exemple, j’avais pris la grille d’un morceau des Beatles et je l’avais reprise à l’envers, donc la suite d’accords mais dans l’autre sens et j’avais refais une mélodie par dessus.ign barbe1

Et donc cela donne une toute autre chanson.

Une toute autre chanson.

Méconnaissable ?

Méconnaissable. Si on ne connaît pas la contrainte, on ne devine pas. Et puis à coté, il y a les contraintes de l’écriture. Par exemple j’ai fait une chanson où il n’y a qu’une seule voyelle, le e. Elle s’appelle « Mer Egée 37° ». Une seule voyelle entraine un univers sonore très restreint, donc il n’y a que cinq ou six sonorités.

Et pour ce dernier projet e.pok, la contrainte consiste à se produire n’importe où, en se jouant du lieu où tu chantes, et en étant accompagné d’un gang de plasticien, électro-acousticien…ce n’est pas un peu trop cérébral ?

Oui c’est une crainte que j’avais, j’avais conscience de ça ; que cela soit un truc un peu intello. Mais, d’un autre coté, regarde Céline c’est intello et j’aime bien. (rire). Donc moi je voulais surtout aller vers quelque chose de beau, je voulais arrêter de faire « le déconneur » et comme j’aime beaucoup la poésie, je voulais aller le plus loin possible dans cette direction. Il ne faut pas avoir peur de ce qui peut paraître ridicule. Quand on est poète, qu’on a cette ambition esthétique, mais si on se plante là on devient ridicule.

Mais tu ne peux pas en juger par avance, il te faut affronter le verdict du public d’abord.

Et oui. C’est pour cela que je me suis entouré de gens exigeants et professionnels car je savais qu’ils me pousseraient à aller plus loin. A aller au plus haut car ils ne se contenteraient pas d’un truc à moitié fait. C’est sûr, j’avais la trouille. On a énormément bossé. J’ai du écrire beaucoup de chansons. Moi je proposais d’abord mes chansons aux autres membres du groupe et ils gardaient celles qu’ils trouvaient les mieux. Ensuite on a bossé en amont pour les arranger. Le vidéaste a fait vraiment un boulot génial, j’étais très très content. Car, à un moment du projet, j’ai senti qu’il faudrait aussi lier l’image. En tout cas je savais que j’en avais plutôt marre de la chanson démago d’aujourd’hui, les chansons dites festives où on donne aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre. Des trucs un peu rassurants, où l’on parle de l’enfance, où l’on évoque des souvenirs et tout le monde trouve ça super. Donc je voulais aller ailleurs. Depuis un an j’ai repris des cours de chant.

Paradoxal pour un garçon qui chante depuis plus de 25 ans.

Du coup je rechante tous les jours. Je commence ma journée en faisant du chant. Et cela m’a aidé car l’aspect corporel est important dans e.pok, je suis très près des gens, il n’y a pas de scène, nous sommes au même niveau avec le public. Donc la présence physique, comment le chant est porté par le corps tout est important. Et, du coup, cela se prépare. J’étais devenu un fou chantant et je jouais beaucoup avec des artifices. Là, il y a moins d’artifices, je suis condamné à être bon, à être vraiment dans les chansons et dans l’intensité du concert pour que cela se passe bien. Ce n’est pas par hasard quand on lit les bios des grands chanteurs, guitaristes, musiciens, c’étaient tous de très gros bosseurs . Souvent aux journalistes, ils ne le montraient pas, il ne le disaient pas, parce que cela ne faisait pas rock and roll, ca ne faisait pas glamour. Mais Yves Montand à 60 ans, il répétait encore « Les feuilles mortes ». Et je sais que le Led Zep, Jimmy Page réécoutait tous les concerts. Pendant que les autres faisaient la fête et se défonçaient. Lui il allait dans sa piaule et se re-faisait tout le show.

ign barbe2Un titre se distingue néanmoins dans le contexte de crise actuelle, c’est « Un travail »

« Un travail » était au départ un texte très libre, qui n’est pas rimé du tout. J’aime sortir de la rime, aller plus vers un parlé-chanté. Je suis parti d’une boucle de guitare « préparée » où je plaçais des vis sur les cordes pour les faire résonner. Et j’avais un riff qui était bien alors je l’ai mais en boucle. Je voulais un truc très hypnotique pour cette chanson.

Elle a un coté très David Byrne

Je suis un grand fan de David Byrne ; j’ai fait sa première partie à l’Olympia en 2001. C’était fantastique de le voir sur scène. Et en plus, quel mec adorable.

Et il y a la puissance du thème de cette chanson, omniprésent dans notre société actuelle.

C’est une chanson qui m’a été inspirée par un ami qui est devenu alcoolique et qui même en ralentissant l’alcool, s’est révélé incapable de reprendre un travail de huit heures par jour dans des conditions normales avec tout ce que cela sous entend de présence d’esprit, de tension, de réactivité. Son esprit n’était tous simplement plus assez vif. »

Site web: http://www.projetepok.com/

 

Concerts e.pok à venir…

Samedi 12 septembre, 21h

à la Galerie Christian Berst à l’occasion de l’évènement «Passage Pas Sage»

Passage des Gravilliers 75003 Paris

(gratuit, dans la limite des places disponibles)

Mercredi 16,  jeudi 17 et vendredi 18 septembre, 20h30

à L’Atelier de la Duée, 22 passage des Saint-Simoniens, Paris XXe. 10 €.

Places limitées, réservation obligatoire  sur le site web

 

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