HUGH MASEKELA « Masekela 66-76 »
Hugh Masekela, trompettiste et chanteur légendaire d’Afrique du Sud nous a quittés le 23 janvier dernier, mais son dernier ouvrage lui survivra à jamais. Ce « Masekela 66-76 », retravaillé par Hugh lui-même, avec l’aide de son complice de toujours, le producteur Stewart Levine, regroupe sous la forme d’un triple CD de près de 50 titres, la décennie la plus cruciale du plus fameux musicien de l’Afrique extrême, les premières années de son exil de militant anti-apartheid, une précieuse collection où township jazz, pop music et mbaqanga se mêlent en cocktail musical explosif.
21 mars 1960, après les évènements de Sharpeville, en Afrique du Sud, rien ne pourra désormais être comme auparavant. Ce jour-là, au township (ghetto sud-africain créé par les lois de l’apartheid), une manifestation pacifique de 5000 à 7000 personnes va tourner au bain de sang. La police de Botha tire à balles réelles sur les manifestants désarmés, qui défilent devant le commissariat local. En quelques instants sanglants, 69 cadavres d’hommes, mais aussi de femmes et d’enfants, jonchent le sol. 180 manifestants sont gravement blessés, la plupart par des tirs qui les ont atteints dans le dos, lorsqu’ils tentaient de fuir, laissant de très nombreuses victimes paralysées à vie. L’horreur ! Hugh Masekela, qui avait formé les Jazz Epistles avec l’immense pianiste Dollar Brand ( alias Abdullah ibrahim) et trois autres musiciens, bouleversé, opte alors pour la route de l’exil, pour lutter contre l’apartheid, mais de l’extérieur, un choix qui lui sera longtemps reproché par nombre de musiciens, notamment adhérents au SAMU ( le South African Musicians Union) qui eux ont choisi de rester au pays pour continuer à combattre le pouvoir raciste blanc de l’intérieur. En Angleterre, puis aux USA, Masekela sera bientôt épaulé par ses collègues Yehudi Menuhin et Harry Bellafonte, qui l’aident à s’installer en occident et à propager toute l’originalité de son township jive, cet incroyable et vibrant jazz des ghettos sud-africains.
Hugh Masekela fait résonner le cœur de l’Afrique du Sud
À l’instar du blues, qui permettait aux esclaves noirs du sud des États-Unis de supporter douleurs et humiliations, dans leurs champs de coton, le mbaqanga, cet irrésistible rythme zoulou, qui irradie toute la musique de Masekela, offrait courage et réconfort aux mineurs noirs qui plongeaient dans la chaleur insoutenable des mines d’or ou de diamants pour enrichir le capitalisme blanc. Ce cocktail puissant, mélange de tradition et de modernité, de pure émotion ébène et de révolte, vibre dans les 47 titres magnifiquement re-masterisés compilés dans ce triple CD. On y retrouve bien entendu, le tout premier hit instrumental de Hugh, l’insouciant « Grazing in the Grass » de 1968. Mais ce succès est l’arbre qui cache la forêt, en anglais, en zoulou ou souvent en histoires sans paroles, Hugh Masekela fait résonner le cœur de l’Afrique du Sud, parvenant à sensibiliser le reste du monde à l’intolérable situation des noirs, majoritaires et pourtant citoyens de seconde zone, humiliés, parqués dans les prisons à ciel ouvert que sont les townships par le régime raciste de Pretoria. Portés par la trompette de Masekela, ces titres aussi émotionnels que chaleureux incarnent toute la beauté et l’espoir de cette Afrique extrême, un cool groove irrésistible qui ne peut laisser quiconque indifférent.