ALL THINGS MUST PASS : THE RISE AND FALL OF TOWER RECORDS
Sur le légendaire Sunset Boulevard à LA, au milieu des 70’s, Tower Records, écrit avec ses lettres rouges sur fond jaune et ses méga-pochettes de LP en façade, était « the place to be » pour tout amoureux du rock. Un documentaire plein de nostalgie retrace l’incroyable épopée du plus grand- mais hélas disparu- disquaire de toute la galaxie. Springsteen, Dave Grohl et Elton entre autres peuvent en témoigner dans cet ALL THINGS MUST PASS : THE RISE AND FALL OF TOWER RECORDS.
C’était juste à la fin des années 80, j’avais raconté à Serge Gainsbourg que je rentrais de LA et que j’avais vu là bas au Tower Records des piles de son intégrale « De Gainsbourg à Gainsbarre » qui venait tout juste d’être publiée. Et Serge n’était pas peu fier de la nouvelle que je lui apportais. Il était aussi heureux que si je lui avais annoncé que son roman Evguénie Sokolov avait été sélectionné pour une réédition à La Pléiade ! Car Tower Records ce n’était pas rien. Peut-être le plus célèbre magasin de disques du monde, mais en tous cas le plus vaste, Tower s’étendra même à l’international jusqu’à devenir la réponse américaine à la menace anglaise des HMV’s et autres Virgin Mégastores. Pour ma part, jamais je n’oublierai le premier choc de ma découverte de Tower Records en juillet 1974. D’abord, il y avait la localisation : au cœur d’Hollywood, sur le Strip, l’espace le plus précieux et légendaire du boulevard du Crépuscule, situé à deux pas du Whisky A Gogo, du Rainbow et du Roxy. Avec son vaste parking où résonnaient les sonos des ados garés là et sa déco constituée des derniers albums importants du moment en format king size sur toute la longueur du bâtiment, on accédait à Tower après avoir gravi les quelques marches d’un petit escalier. Et là c’était juste le paradis sur terre : des piles du LA Weekly, le magazine gratuit des sorties de LA, des kilomètres de rayons de disques à perte de vue, des pyramides de vinyles au prix promo si attractif de $3:99, des cabines d’écoutes, quelques T Shirts…tout ce qu’un amateur de rock pouvait rêver se tenait bien là devant vous et il fallait se pincer pour croire qu’on ne rêvait pas. Chaque visite chez Tower Records générait le même sentiment, celui de se retrouver de l’autre côté du miroir sonique. Bien sur, le titre ALL THINGS MUST PASS : THE RISE AND FALL OF TOWER RECORDS, le documentaire de Colin Hanks est doublement rock. Première référence au triple album légendaire de George Harrison publié après le split des Beatles. Quant à la partie « The Rise and Fall », elle est empruntée au sublime « Ziggy Stardust » de Bowie.
» Parfois on baisait même dans ces cabines. »
Le doc commence 14 années avant ma première visite au Tower de LA, à Sacramento, la capitale de l’État. Dans le même bâtiment que les Tower cinémas, se tenait un drugstore, au sens américain du terme, où l’on trouvait à peu près de tout, de la pharmacie au Zippo, en passant par un incroyable bric à brac. Un jour, le fils du patron a l’idée du siècle : pourquoi ne pas récupérer les singles de tous les juke-boxes de la ville après usage et les revendre à prix cassé. Russ Solomon ouvre ainsi un rayon disques dans le drug-store de papa et les 45 tours sont vendus au prix de 1 cent au lieu des 3 que coutaient les neufs. Très vite, les singles d’occase servent de produits d’appel aux disques neufs. Et c’est le raz de marée …au point que Solomon quitte bientôt la boutique de papa pour s’installer dans un entrepôt de la ville : ce sera Tower Records Mart, le tout premier d’une longue série. Le logo en rouge et jaune est créé à l’arrache, en piquant les codes de couleurs de la Shell; il s’étale fièrement au fronton de ce bâtiment qui ne tarde guère à devenir le point de ralliement de tous les kids de Sacramento et de la région qui conduisent tous leur bagnole dés l’âge de 16 ans. Tower Records est le tout premier spot uniquement consacré au vinyle et les gamins s’y retrouvent parmi les rayons comme s’il s’agissait d’un club où chacun veut convaincre l’autre de s’ouvrir à son groupe favori. Et durant les 60’s, ils ne manquaient pas. « Les filles se remaquillaient dans les cabines d’écoutes » raconte une ex- vendeuse, avant d’avouer « parfois on baisait même dans ces cabines. » Tous ceux qui y bossaient étaient jeunes et amoureux de la musique, c’est ce qui transparait à travers les témoignages des hommes et des femmes qui ont fondé Tower derrière Russ Solomon. L’irrésistible ascension du disquaire commence véritablement avec l’arrivée des LP vendus dix fois plus cher qu’un simple 45 tours. Sans oublier la « British Invasion » avec les Beatles puis les Stones en têtes de pont. Quand un album décollait, il pouvait s’en vendre jusqu’à 1000 exemplaires en un seul week-end, un chiffre qui peut bien faire rêver les artistes de 2016 ! Enfin, comme la poudre rencontre les allumettes, les radios se développent au même moment, boostant encore l’impact de la musique. En 1968, Solomon ouvre sa seconde boutique à San Francisco, encore plus grande encore plus ambitieuse qui se veut être en toute simplicité« le plus grand disquaire de tous les temps ». Même recette, même logo, même succès et en plus de chez Tower Records, on apercevait également la fameuse Coit Tower contribuant à la légende que le Tower de San Francisco serait le tout premier du genre ! « Tous les gens que l’on rencontre dans un magasin de disques sont susceptibles de devenir des copains pour au moins 20 minutes…ou plus si affinités » raconte Bruce Springsteen, tandis que Dave Grohl nous confie que « J’ai réussi à décrocher un job chez Tower Records, cela tombait bien, car c’était surement le seul employeur capable d’engager un mec comme moi avec une telle putain de coiffure ! » Des gens cools, de la musique cool, dans une ambiance cool… que demander de plus à la vie.
Too much, too soon !
Deux ans plus tard, en 1970, Solomon lorgne du côté de Los Angeles où il décide d’implanter son prochain Tower Records. Et pas n’importe où, en plein cœur d’Hollywood là où se trouvent tous les clubs rock de la ville. Il jette son dévolu sur un bel emplacement sur Sunset Boulevard, occupé par le « Mad Man » Earl Martz qui vend et installe des autoradios et autres 8-Tracks dans les véhicules. Russ lui fait une proposition qu’il n’a pas su refuser et à nouveau Tower Record repousse les frontières du « plus grand » en ouvrant le plus vaste disquaire du monde…again ! Elton John, qui était un habitué du Tower sur Sunset où il se pointait souvent dés l’ouverture à 9 H, raconte ses nombreuses visites et son amour pour ce lieu incroyable. On le voit d’ailleurs arpenter les rayons sur des images d’archives où il est encore jeune et swinguant. Pour mémoire, le chanteur de « Rocket Man » aura été le plus gros client de ce Tower Records où il finissait par avoir ses vendeurs attitrés. Les maisons de disques ont aussi, à leur manière, contribué à l’essor de Tower Records, organisant des « in store » avec leurs artistes, assurant la promo en finançant les billboards modèles géants des pochettes de LP qui décoraient la façade. Sex, drugs, rock and roll…ont toujours fait bon ménage, mais chez Tower c’était une religion, quand on avait trop fait la fête à un concert la veille, on passait vite fait à la boutique avant de s’éclipser, victime de la fameuse « grippe diplomatique » (cocktail flu). Russ réputé pour couper les cravates des gens qui le visitaient était un anticonformiste, ce qui ne l’empêchait guère d’être également un businessman avisé…du moins jusqu’à un certain point. Dans les années 90, Tower Record essaime sur toute la planète, New York, Londres et surtout le Japon où chaque grande ville dispose désormais de son Tower Records. Too much, too soon, comme le titrait si bien le second 33 tours des New York Dolls, en se développant, le géant Tower a oublié que ses fondations restaient fragiles. L’arrivée du DVD a dopé le marché, comme celui des labels, mais pour mieux les faire plonger dans la crise dix ans plus tard. Cependant, après le « rise » il y a le « fall », la chute, et l’empire de Russ Solomon ne survivra pas au nouveau millénaire : la « tour » a fini par s’effondrer. À travers ce documentaire, on peut aussi observer que cette morale s’applique plus généralement à l’univers de la musique, aux maisons de disques, comme aux magazines rock de la presse spécialisée, qui ont subi les mêmes contrecoups de la crise, les mettant à genoux, à l’instar du géant Tower Records. Car même les colosses, hélas, finissent par disparaître, les dinosaures en savent quelque chose.