XALAM : « Apartheid »
En 1986, pour le numéro 214 de BEST, je chroniquai mon LP africain- on ne disait pas encore « world »- favori du moment. Normal, à l’écoute de ce joyau aux irrésistibles percussions, le Xalam était sans doute la meilleure surprise issue du continent black depuis longtemps. Hélas, quelques mois plus tard, le trop brusque décès de son chanteur-batteur Prosper Niang sera comme un séisme pour le Xalam. Trente ans plus tard, heureusement sa voix et son feeling résonnent à jamais dans ce puissant « Apartheid » qui n’a pas pris l’ombre d’une ride.
Certes, nous avions découvert King Suny Adé, magistralement produit par Martin « marteau » Meissonnier. Il y avait également eu les festifs Ambassadeurs Internationaux de Salif Keita, sans oublier les frères « éléphants » sénégalais de Touré Kunda. Cependant, le son de l’Afrique avait bien du mal à faire son chemin dans l’hexagone. Pourtant en 84, émerge le Xalam grâce à la bande originale du film « Marche à l’ombre » de Michel Blanc avec Gérard Lanvin. Le groupe fait également une apparition remarquée dans le film. Deux ans plus tard, sort ce prodigieux « Apartheid ». Et c’est à ce moment qu’il faut rendre à nouveau hommage au courage artistique de Christian Lebrun, le rédacteur en chef de BEST, qui ne craignait jamais de prendre ses lecteurs à rebrousse-poil pour défendre un son neuf. C’est ainsi que Christian m’avait laissé faire un premier papier sur les Touré Kunda dans les pages « Le rock d’ici » : des noirs dans une rubrique où il n’y avait jamais eu que des blancs ! Que ce soit sur Prince qu’il me laissait chroniquer malgré les courriers de lecteurs aussi hardeux que sectaires qui lui reprochaient dixit « de laisser faire ce Gérard BAR-DAVID, un suppôt du disco qu’il fallait virer aussi vite que possible », ou sur le Xalam justement, avant le Savuka de Johnny Clegg, le cœur de Christian Lebrun a toujours battu du côté du progrès, de l’exploration sonique et du courage politique. C’est ainsi qu’une fois de plus, il m’a fait confiance en me laissant chroniquer ce premier LP du Xalam disponible en France. En rencontrant ce groupe incroyable qui vivait dans une grande maison en proche banlieue est, j’avais immédiatement été séduit par le feeling illimité qui émanait de Prosper Niang. Car même si ce groupe fonctionnait comme une incontestable démocratie, il était évident que Prosper en était le porte-parole naturel. Que cela soit artistiquement ou humainement, l’assurance si calme de ce grand musicien forçait le respect. Au fil des concerts et des rencontres, Prosper est devenu mon ami. Alors, c’est tout naturellement qu’il comptait parmi les invités de la fête que j’avais donnée chez moi pour célébrer mes 30 ans et la naissance de mon fils. Philippe Constantin, lui aussi parti bien trop tôt était présent cette nuit sur ma terrasse face aux toits de Paris. Je me souviens du rire si chantant de Prosper Niang ce soir-là. Après toutes ces années, il résonne toujours dans mon cœur. Hélas, peu de temps après, j’apprenais le décès de Prosper. Rupture d’anévrisme ou infarctus, son corps a été rapatrié à Dakar où il a été enterré face à l’océan. Je lui dédie les quelques mots de cette vieille chronique. Je sais que là où il est cela le fera sourire.
Publié dans le numéro 214 du mensuel BEST
Et si la source africaine s’était tarie? Pendant près d’un an, c’est la question qui jonglait dans ma tête… Ni sons, ni fusions, les sorties afro manquaient sacrément d’imagination et d’adrénaline. C’était compter sans la chamade du Xalam, ses percus et ses cuivres enflammés qu’on attendait en piaffant depuis leur dernière apparition dans le » Marche à l’Ombre» de Michel Blanc. « Apartheid » a tardé, c’est vrai, mais l’attente n’était pas vaine. Dès les premières mesures de » Doley », la déflagration fun vous emporte loin de la ville. La force du Xalam oscille entre les deux pôles batterie/percus et les cuivres. Avec » Doley » le Xalam joue et gagne au jeu subtil de l’efficacité. Ce titre a toute l’étincelle qui manque à Earth, Wind and Fire et à bon nombre de funky yankees. Sans jamais fouler ses traces, le Xalam gagne (enfin) le terrain des pistes de danse. Chaleur et bonheur ont le son de la nouvelle Afrique: » Africa ». Peu importe qu’on y soit allé ou pas, Xalam nous emporte, les ailes du rythme décidément sont les plus fortes. Et quel rythme! Le Xalam est un emprunteur forcené. Soul, jazz, funk, rock et quelques vieilles mémoires de Mère Afrique pour confectionner le cocktail qui fait rire ou pleurer. On connait déjà trop bien la triste rengaine de l’apartheid, si l’on faisait mine de l’oublier, les accords du titre phare de l’album déchirent l’air comme cet instant privilégié qui précède tous les cyclones. Si le Xalam n’est pas un pur produit de mon imagination, le racisme constitutionnel n’en a plus pour longtemps: nous sommes tous métis au creux de nos oreilles.