LO PROFILE Épisode 1

Frédéric LoQuand on tend son micro à Frédéric Lo, on a la sensation d’être un peu entre « Le Sixième Sens »- vous savez « I see dead people »- et le personnage de Wednesday Addams… mais sans les nattes, car entre ses brillantes collaborations avec les regrettés Alain Bashung et Daniel Darc , le sauvetage du soldat Doherty et son propre dernier opus le forcément bluesy « L’outrebleu » paru au printemps dernier, il joue et gagne à la mélancolie. Auteur compositeur interprète arrangeur producteur, le discret artiste a accepté de se livrer en éclairant cette part d’ombre qui l’a tant inspiré.

Épisode 1 :  de Cateuil à Portsall en passant par Peter Doherty, Rodin, l’outrenoir de Soulage et l’Amoco Cadiz.

Frédéric LoC’est un jour de grande canicule que je retrouve Fréderic Lo ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=frederic+lo )  près de chez lui à Paris, sur les bords du canal Saint Martin. Mais avant d’évoquer son quatrième album solo « L’outrebleu », petit flash-back sur son improbable et pourtant si fructueuse collaboration avec le Libertin Pete Doherty.

« En fait, j’ai rencontré Doherty en allant dans cet incroyable maison de Cateuil, à Étretat, pour qu’il participe à mon album-hommage à Daniel Darc. Je l’avais enregistré en version guitare et la voix de Peter là-bas à Cateuil, où j’avais amené un petit home studio. Et quand on a continué à travailler ensemble, pour faire ce qui allait devenir « The Fantasy Life… », j’avais déjà composé quelques chansons à Paris. Et après je les soumettais à Peter et ainsi il écrivait ses textes dans la maison. Et on faisait nos demos, comme ça, j’enregistrais au fur et à mesure les morceaux. Après, toute la production je l’ai faite seul à Paris, notamment sur toutes les voix des demos. Puis on a refait des voix définitives là-bas à Étretat, à Cateuil où là j’ai amené un peu plus de matériel. On a mixé à Paris et j’ai panaché à la fois conservant quelques voix des demos et quelques voix de la fin. Après on a enregistré ce film pour Arte, filmé justement dans Cateuil, souvent les gens pensent qu’on est en train d’enregistrer l’album, mais en fait on n’enregistre pas l’album, c’est juste un concert dans ce lieu emblématique ; l’album avait déjà été bouclé à ce moment-là.

 

Pete-Doherty-et-Frederic-Lo-Une question saugrenue, as-tu l’impression d’avoir sauvé le soldat Doherty comme tu as sauvé les soldats Bashung et Darc ?

 

Écoute, c’est toujours délicat ce genre de question…

 

Psychologiquement, tu ne peux pas nier que ça l’ait vachement boosté… il y a un avant et un après Frédéric Lo dans sa carrière…

 

C’était un moment un peu particulier, il devait faire une tournée de reformation des Libertines et tout a été annulé à cause du Covid. Il se retrouvait à la fin d’un cycle, il avait quarante ans ; il atterrit à Étretat parce que sa femme qui n’était pas encore sa femme est française et sa mère est originaire de là-bas. Donc il pensait un peu que c’était fini, qu’il avait mangé son pain blanc. Donc oui c’est sûr que ça lui a mis …

 

un sacré coup de boost !

 

Oui. Mais moi aussi, cela m’en a mis un. C’est à double sens. Souvent on fait le parallèle avec Daniel ( Darc) , il y a des parallèles que je trouve exacts et puis d’autres moins, c’est vrai qu’ils étaient à un moment un peu difficile à passer  de leur existence ; quand tu as eu une vie de bric et de broc et surtout à cent à l’heure, il n’est pas aisé de passer ce cap des 40 ans.

 

Pete-Doherty-et-Frederic-LoC’est le moment où tu te poses des questions et c’est le moment où toi justement tu te trouves là, mais ce n’est pas prémédité, je le sais bien pour avoir aussi bien connu Daniel.

 

Non, ce n’est pas prémédité.

 

Ce sont les hasards de la vie. On va avoir l’outrecuidance de parler de « L’outre-bleu » si tu le veux bien…

 

(rire)

 

Alors déjà est-ce que le néologisme est venu avant l’album ?

 

Oui.

 

Je le sentais !

 

C’est marrant, car vas tu vas voir à quel point c’est étrange ; c’est que j’avais ce titre en tête depuis un bon moment.  

 

En même temps, bleu c’est un peu toi, sans faire de jeux de mots à la Daho, mais « La Marne bleu » ce n’est pas le titre de ton premier album ?

 

Si, c’est vrai.

 

Donc, c’est une couleur qui te parle, tu en a toujours joué dans cette ambivalence entre bleu et blues ?

 

Oui, c’est vrai. Après en musique le bleu est souvent évoqué comme l’heure bleue … almost blue… tout ça…

 

Donc tu as trouvé ce titre…

Frederic Lo by Nicolas Despis

Oui, j’ai trouvé ce titre, mais le truc qui est dingue c’est que j’avais quasiment fini « L’outrebleu » mais j’avais envie d’écrire une dernière chanson un peu moins mélancolique. Je cherchais un thème de chanson et j’ai fait un concert. J’ai été invité à Rodez où j’ai joué pour « La nuit des musées » dans un endroit merveilleux qui est le musée Fenaille, un ancien cloître qui a appartenu au 19ème siècle à un industriel qui était le mécène de Rodin.  Dans ce musée il y a des stèles que Soulage adorait qui sont peut-être les plus vieilles statues stèles du monde…

 

Tu veux dire que cela a inspiré Soulage ?

 

Cela a inspiré Soulage…

 

… et c’est donc là qu’il a trouvé « L’outrenoir » ?

 

En fait, il a bossé avec le manque de matériaux. Le lendemain du concert, j’ai eu droit à une visite privée, magnifique, du musée Soulage et là soudain  tu t’expliques l’outrebleu. Je cherchais un thème de chanson et d’un coup je réalise qu’en fait, j’ai pris « L’outrebleu » sans penser que Soulage est de Rodez et moi je suis né à Rodez. Et en fait c’est fou cette histoire de Rodez car je suis né pendant des vacances, parce que mon père ne voulait pas rester à Paris. Mon père c’était un peu les mecs à l’ancienne, s’il décidait qu’il ne voulait pas rester à Paris tout le monde bougeait. Et par conséquent ma mère a accouché là-bas, donc en fait à chaque fois que je rencontrais un Aveyronnais, il me disait : ah, tu es de Rodez ! Je devais expliquer que je n’ai fait qu’y naitre. Mais malgré tout, rien que le fait d’y naitre, cela crée un lien immense avec ce pays.

 

De toute façon, sur tous tes papiers il y a écrit Rodez

 

C’est ça. Donc, au début je pensais à ce thème un peu facile qui est de trouver une chanson qui permette un peu de raconter sa vie. Il y a une chanson de Morrissey qui s’appelle « Sing Your Life », même s’il est devenu un peu con avec l’âge, je trouve que c’est toujours un auteur exceptionnel. Et là-dessus j’ai eu cette idée de faire cette chanson « Chanter où dort la tendresse » car comme tu l’as dit au début c’est un album assez introspectif et c’est comme si c’était moi qui chantait une berceuse au poupon que j’étais. J’ai donc écrit ce texte dans le train de Rodez où tu mets huit heures pour y aller et en même temps c’est le genre de ville qui n’a pas changé depuis 1950… à part justement le musée Soulage, voilà c’est l’histoire de cette chanson.

 

Certaines chansons de l’album sont super mélancoliques.

 

Déjà ça a été un choc quand j’ai perdu ma mère, trois mois après ma sœur

 

Oui je sais, j’ai été bouleversé par la disparition de Brigitte.

 

Vraiment j’ai eu l’impression de perdre les deux premières femmes de ma vie Comme j’étais sous le choc émotif assez fort, j’ai d’abord été voir mon docteur car je n’arrivais plus à dormir, ce qui ne m’arrive jamais.  Mais j’ai dù retourner le revoir deux mois plus tard, car je n’arrivais toujours pas à dormir et que je me sentais hyper mal. Comme il me connait bien il me dit : oui vous êtes toujours sous le choc émotionnel et comme vous n’arrêtez pas de travailler vous êtes à la limite du burn-out. Donc j’ai commencé une thérapie et j’ai mélangé l’écriture automatique avec des choses plus construites. Mais j’ai voulu que chaque chanson , même si on ne le sait pas, soit aussi une chanson d’amour .

 

En jouant justement sur l’ambigüité…Frédéric Lo

 

On peut effectivement penser qu’il s’agit de chansons de rupture, c’est aussi ce que j’aime dans la musique, lorsque tu ne sais pas toujours forcément de quoi ça parle ..

 

En fait, dans ton esprit, une chanson qui résiste à l’épreuve du temps c’est une chanson qui se renouvelle d’elle-même et où à chaque fois tu découvres un son auquel tu n’avais pas prêté attention, soit tu t’accroches à un mot auquel tu n’as pas prêté attention. Bon, en même temps tu n’es pas parti pour faire un album de disco-music !

 

Ça c’est sûr ! il y a toujours une ambiguïté sur la tristesse dans une œuvre, je peux comprendre qu’on ne soit pas obligé d’aimer, mais l’argument que cela soit trop triste pour moi cela n’est jamais un argument.

 

On peut parler de « Berlin » de Lou Reed en matière de tristesse !

 

Lou Reed c’est  tout ce que j’ai toujours aimé, bien sûr ! Moi j’ai fait ce que j’avais à faire à ce moment-là, tu vois. Après, l’avantage aujourd’hui, c’est que je peux faire ce que je veux, quand je veux, je n’ai pas de compte à rendre…

 

En prenant le temps que tu veux et sans dépenser 1 million de dollars… Mais donc combien de temps as-tu bossé sur cet album ?

 

 

C’est toujours difficile d’évaluer le temps parce que en fait …

 

… oui ce n’est pas du plein temps …

 

Frédéric LoCela prend toujours beaucoup de temps un album. J’ai des mélodies que j’avais déjà composées pendant le confinement, mais après j’étais dans le bain avec Peter. Après j’ai fait l’album en hommage à Daniel. En fait, il y a deux chansons qui sont déjà sur le thème de la mort, sans que ma mère et ma sœur n’aient encore disparu.

 

Tu as eu comme une prémonition ?

 

Le premier morceau « Ne plus penser à vous » c’est sur des amis morts, sur Daniel, sur Marc Antoine et aussi sur un ami qui s’est suicidé à vingt-trois ans, ces amis qui ne sont plus là mais qui sont toujours dans ta tête.

 

Comme moi en allant à des concerts machinalement je cherche la silhouette de Christian Lebrun ( Rédacteur en Chef historique de BEST : NDR) qui se détachait toujours dans une foule et que j’avais l’habitude de le retrouver comme ça… alors qu’il est parti depuis 1989… et oui je pense toujours à lui ? Il est mort de quoi Marc Antoine ( qui était son manager comme celui d’Amadou et Mariam) ?

 

Marc Antoine Moreau by Youri Lenquette

Marc Antoine Moreau by Youri Lenquette

Du paludisme. Alors qu’il était à l’hôpital, il en est parti car soi-disant le traitement y était mauvais.  La chanson « You Look Fresher Now » est justement consacrée à Marc Antoine Moreau.

 

C’est la chanson où tu racontes que tu penses à lui à son anniversaire le 11 novembre ?

 

C’est ça. Quand il fait un vol Los Angeles-Londres, il n’avait pas dormi depuis une semaine, il est en classe affaire et il veut se change avant d’arriverr, donc il va aux toilettes et il y passe un peu de temps. Il change de chemise, se lave un peu, prend le temps de se raser. Lorsqu’il sort des toilettes il y a carrément la queue car c’était juste avant d’atterrir à Heathrow. Et là il y a un gars qui le regarde en souriant ,un peu narquois qui lui lance « You look fresher now ! », et le gars, c’était David  Bowie.

 

Cela fait une magnifique histoire, en effet.

 

Donc ces deux chansons-là je les avais déjà.

 

Et le reste s’est peu à peu greffé… tu as aussi convié une chanteuse ?

 

Gaelle Kérrien. Elle, c’est marrant parce que depuis « Hallelujah » j’ai fait pas mal de concerts en solo. Et avec la tournée avec Peter, il m’est aussi arrivé de jouer des morceaux, en solo parce que lui souvent au bout de 35 minutes il partait…

 

Et donc tu meublais !

Frederic Lo by Nicolas Despis

Frederic Lo by Nicolas Despis

 

Peter il y a des moments où il est comme ça, voilà. Donc je remonte sur scène et j’explique que Peter était parti et que je ne savais pas s’il allait revenir mais que, s’ils le voulaient ,je pouvais leur jouer quelques chansons et donc je jouais trois quatre chansons…

 

… dont les nouvelles que tu testais en fait ?

 

Et Peter entendait ça et il trouvait ça génial et donc après il revenait et on terminait le set ensemble. Cela donnait comme un sketch ou un happening ; et moi j’ai pu tester plein de chansons différentes comme ça.  Et ensuite j’ai continué à faire des concerts seul. Un jour juste après le décès de ma mère, je suis au fin fond de la Bretagne où je joue à Brest et à Portsall. C’est vraiment le bout, du bout c’est là où Jane Birkin avait sa maison, un endroit merveilleux, c’est aussi là où l’Amoco Cadiz s’est échoué. Je joue d’abord à Brest chez un grand disquaire qui s’appelle Dialogues et là le gars qui m’a invité m fait jouer deux soirs à Portsall. Je faisais à la fois la promo de mon album-hommage mais je mélangeais aussi des titres à moi, ce que je fais maintenant sur scène, des titres faits pour Daniel, d’autres faits avec Peter. En fait je fais un peu ce que je veux

 

Normal,depuis le temps tu commences à avoir un vrai catalogue ?

 

Exact. Et donc ce gars adorable me présente sa femme Gaëlle et là je percute, elle jouait dans un groupe qui s’appelait Bess.  Et elle voulait que je les produise après avoir écouté « Crèvecœur » car ils adoraient l’album. Mais il est aussi le parrain du fils de Yann Tiersen. Quant à elle, son père faisait des arrangements de chansons cathos à l’église. Donc, elle chante depuis qu’elle est gamine. Après elle a viré rock, avant de faire trois tournées mondiales avec Yann Tiersen. Elle chante extrêmement bien. Et elle est d’une gentillesse folle, ce qui ne gâche rien.

 

À SUIVRE

 

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