I WANT MY MTV !

Voici 42 ans dans BEST GBD assistait en live à New York City à la naissance d’une inédite petite lucarne bleue, qui allait à jamais bouleverser notre manière de vivre la musique. « I want my MTV » n’avait pas fini de vocaliser Mark Knopfler, dont le méga-hit tornade de Dire Straits, « Money For Nothing », balayait tout sur son passage. Mais c’est aussi un bien triste birthday, puisque la chaine musicale terrassée par les Tik Tok et autres réseaux sociaux, tout comme par son dévoiement aux téléréalités de daube, s’apprête à mettre la clef sous la porte, marquant ainsi la fin d’une incroyable épopée sonic. Raison de plus pour le suivre dans son rocking trip aussi prophétique que nostalgique !

« Ces gens-là ont des dollars au fond des yeux ; ne nous leurrons pas, MTV n’est pas une gigantesque entreprise de mécénat rock » écrivais-je déjà à l’époque. Et oui, ne nous leurrons pas MTV avait bien des dollars au fond des yeux. Mais pas que… pour en avoir le cœur net, j’avais tenu à rencontrer un de ses géniteurs. Fondateur de la toute nouvelle chaine, dans son building de métal et de verre ( « Steel and Glass ») comme le chantait si bien Lennon, situé, cela ne s’invente pas, Avenue of the Americas, dans le Warner Media Building, j’avais justement j’avais traqué  le visionnaire Roy Trakin… qui nous promettait déjà l’Apple watch des décennies avant sa sortie. C’est sans doute un de mes article le plus « Back from the future » de ma carrière !  Diffusé avec un différé de 12 heures car sinon les programmes de MTV auraient mobilisé beaucoup trop de moyens et donc couté trop cher pour l’époque, ce qu’un simple smart-phone fait aujourd’hui pour pas un rond … c’est vertigineux ! MTV posait également un problème de racisme artistique puisque sous ses aspects futuristes, la chaine couvre le monopole d’un rock blanc contre les noirs. En effet seule une poignée de blacks font exception à toute cette blancheur et apparaissent à l’antenne commePrince (Warner Bras records?}, Michael Jackson ou Stevie Wonder. Plus tard, en se développant MTV se déclinera en moult chaines thématiques, mais c’est aussi cet éclatement qui causera sa perte.

D’ailleurs, rétroactivement, je trouve que j’étais assez clairvoyant sur les limites du système MTV, même s’il était à la fois la meilleure et le pire des choses qui puise arriver à la musique. C’était sans compter la triste déferlante des apprentis chanteurs élevés comme des poulets en batterie par les émissions de téléréalité… dans laquelle MTV a aussi définitivement sombré avant la déferlante des réseaux sociaux qui ont fini par tuer le game. La preuve : MTV tel le samouraï japonais désespéré s’apprête à se faire sepuku.

Car après 40 ans d’existence, MTV ferme ses chaînes musicales dont cinq de ses stations au Royaume-Uni à la fin de l’année, même sa chaîne principale, MTV HD continuera de diffuser ses téléréalité de daube telles que l’infâme « Geordie Shore » ou le tout aussi gerbant « Naked Dating ». On ne peut pas dire que cette fin sent vraiment la rose ! L’ex VJ de MTV, Simone Angel a confié à la BBC qu’elle était « vraiment triste, un peu incrédule, et consciente que cela se profilait depuis longtemps ». Elle a également évoqué les premières années de MTV plaisantant sur le fait que c’était une époque « dingue». « C’était comme être en voyage scolaire sans aucun professeur. Nous nous sommes tellement amusés. De surcroit, la chaîne et ses filiales ont joué un rôle important dans la vie des gens dans les années 90 et quelque part on peut dire que MTV était vraiment le précurseur d’Internet. Nous étions la chaîne de télévision la plus diffusée au monde à l’époque avec entre 100 et 150 millions de téléspectateurs ». RIP music television, heureusement « Money For Nothing » reste bien lui immortel !

 

Publié dans le numéro 180 de BEST sous le titre de :

 

 

LA BOÎTE DE PANDORE

 

« Ferme les yeux et répète après moi : j’écoute MTV en stéréo, j’écoute MTV en stéréo… pas besoin d’aller chercher un médium pour se brancher sur MTV en stéréo. Décroche ton téléphone et appelle ton agence locale de câbles pour te relier à Music Television, MTV. » Clips à la chaine, rock and roll en images et en stéréo, mon premier contact avec MTV, c’est le flash de la fascination. 24 h sur 24, MTV diff use par câbles des clips, des gigs et des interviews rock. Comme si, soudain, votre BEST se mettait à causer en stéréo, comme si votre tuner FM projetait sur écran couleur toutes les images qui accompagnent les hits. Ouais, MTV, c’est super ; si j’avais ça à Paris, je ne quitterais plus mon Sony Trinitron des yeux. Eh oui, c’est le grand risque de la vidéo, un freezer social, un pousse pantoufles qui ne colle pas vraiment à l’image énergique du rock. A force d’ingurgiter des heures de MTV, je me rends compte qu’ils passent toujours les mêmes clips et qu’à 70 % ils ne sont pas si différents de ceux que programment nos rockers télévisuels. Okay, en France, il faut juste faire l’effort de les compiler sur cassettes. Pourtant, un peu partout, les lauriers pleuvent sur MTV. That’s business, tout le monde se frotte les mains, les maisons de disques -qui produisent tous les clips- , les disquaires, les artistes… MTV, c’est vrai, a favorisé la percée de certains groupes comme les Stray Cats ou Men At Work. Les rockers anglais lui doivent leur percée sur le marché US ; U2, Dexys, Duran Duran, Culture Club, Human League, Musical Youth, ont gagné grâce à la programmation MTV en squeezant le protectionnisme des radios américaines. « Les vidéos sont essentielles — spécialement pour les artistes européens. J’avoue que je dois bien mon succès américain à MTV. » Pas fou Adam Ant, il sait bien que, sans MTV, ses anteries diverses croupiraient encore dans les hangars de son label. « Si nous avons triomphé aux States, c’est incroyable, mais nous le devons exclusivement à MTV et aux radios de fac, et je leur tire mon chapeau. » La brosse à reluire était tenue par Brian Setzer.

MTV, le génie dans la bouteille ; c’est vrai, mes copains d’Haysi Fantayzee m’ont déjà chanté la chanson. Lorsqu’enfin je suis parvenu à m’extraire de mon hypnose télé-stéréo, la curiosité m’a jeté dans un cab : direction Avenue Of The Americas. Le siège de MTV est niché dans les cimes d’un géant de verre et de métal. Roy Trakin, un des responsables de la station, m’attendait dans son bureau. 8° étage, je m’égare dans les couloirs: pas l’ombre d’un logo MTV à l’horizon. Normal, la raison sociale officielle de MTV, c’est Warner Amex Satellite Entertainment Company. La première téléclip est donc née d’un pacte Warner Bros/American Express. En clair, il ne s’agit pas de branchés bidouilleurs mais de multinationales aux reins solides, des commerçants informatisés, dopés exclusivement au profit. Ces gens-là ont des dollars au fond des yeux ; ne nous leurrons pas, MTV n’est pas une gigantesque entreprise de mécénat rock.

 

CRÉNEAU

 

Roy a au moins cinq téléphones dans la cage de son bureau : le gag c’est lorsqu’ils sonnent tous ensemble. Une poignée de main et Roy manipule sa télé et son magnétoscope, et la bande-annonce est montée avec rythme et efficacité. En dix minutes, un échantillonnage complet des programmes défile sur l’écran. Parlons un peu des critères de programmation des vidéos et de la censure.

« Roy Trakin : C’est vrai, il existe une censura Par exemple, nous évitons en général de montrer trop de cul car nous ne sommes pas libres de notre distribution. Le système par câbles nécessite des opérateurs locaux, un peu l’équivalent des loueurs de films vidéos. Une franchise leur est accordée par les municipalités et nous devons nous plier à leurs contraintes si nous voulons être diffusés. Nous sommes donc directement responsabilisés par les images que nous leur envoyons. Lorsqu’on parle de MTV cela ne concerne pas uniquement Los Angeles et New York, mais aussi cette immense étendue de terre entre les deux côtes, en majorité conservatrice. Si nous éliminons les clips les plus salaces, c’est que nous sommes perpétuellement inondés de plaintes des cable-operators. Il faut que tu comprennes qu’il existe deux niveaux de distribution par câbles. Si tu décides de t’abonner au câble, tu recevras obligatoirement un certain nombre de programmes, comme la News Channel CNN. MTV appartient à cette catégorie. Une fois le câble installé; tu peux t’abonner à certains programmes spécifiques, par exemple, si tu veux du cul, il existe une chaîne, Playboy. Tu peux aussi choisir une chaine de films. Mais MTV dépend directement de chaque distributeur local sensible aux différents critères moraux de sa communauté. De toute façon, la censure dont tu parles touche moins d’une douzaine de clips « Neighbours » des Stones où une femme se fait tabasser, « Pretty Woman » de Van Halen à cause de son nain sadique, « Sex Dwarf » de Soft Cell pour les mêmes raisons et une poignée d’autres.

 

Tu ne crois pas que vous avez une énorme responsabilité ? En tant que débouché naturel pour les maisons de disques qui paient les clips, la censure se fait au préalable : il est évident qu’ils n’ont pas intérêt à réaliser un clip violent ou salace en sachant qu’il ne sera jamais diffusé.

 

Bien entendu, voilà pourquoi MTV programme tout ce qui est acceptable dans le créneau rock que nous avons choisi; sauf s’ils sont trop violents ou trop cul.

 

Mais le rock n’est-il pas une longue histoire de révolte et de cul ?

 

Heu… très certainement, il existe un élément de révolte propre au rock and roll. Mais si tu regardes MTV, y a beaucoup de clips très forts et tout un tas de sous-entendus sexuels ou politiques. On voit des paquets de nanas en maillot de bain/talons aiguilles, on voit beaucoup de violence simulée.

 

Comme vous fonctionnez 24 h sur 24, ne pourriez-vous pas prendre certains risques aux heures creuses ?

 

Mais nous en prenons, qu’est-ce que tu crois ? Certains programmes de nouveautés diffusent les clips de groupes non signés, au MTV Basement Tape, n’importe quel groupe peut présenter ses vidéos auto-produites. Les téléspectateurs votent par téléphone pour défendre leurs préférés et le groupe vainqueur gagne un contrat dans une grosse boite de disques

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SATELLITE

 

MTV se finance par la pub, n’est-ce pas ?

 

Principalement oui. Nous avons en moyenne six minutes de pub par heure de programme et les cable-operators ont deux minutes supplémentaires pour les annonces locales. Mais nous avons beaucoup de frais de diffusion. En plus, chaque clip programmé nous coûte entre 500 et 1000 dollars car nous opérons toujours quelques retouches de couleurs ou quelques modifications de la bande stéréo.

 

Les concerts que vous diffusez sont tournés par vos équipes ?

 

Parfois oui, parfois non. Nous co-produisons souvent avec des boites indépendantes. Nous programmons aussi un maximum d’interviews réalisées par nos VJ’s (Vidéo Jockeys). Ils assurent la liaison entre les différents clips. Nous avons aussi un service de news capable d’assurer les flashes d’info et les annonces de concerts.

 

Comme un magazine de rock en images ?

 

Oui, ou encore une radio FM télévisée. Nous sommes le pas suivant dans l’évolution d’abord, y a eu la AM, puis la FM, et enfin voici la télé stéréo rock. Le câble n’est qu’une transition, bientôt, tu iras à la plage avec MTV sous le bras. Lorsque nous aurons notre canai sur satellite, tu pourras regarder MTV sur ton bracelet-montre et l’écouter sur un casque walkman. Pour l’instant, il reste d’autres étapes à franchir. Par exemple, nous ne sommes pas encore live. Tous les programmes sont enregistrés sur vidéo-cassettes et diffusés en léger différé de douze heures. Les VJ’s sont enregistrés et le montage avec les clips a lieu dans notre centre opérationnel de Long Istand. Le live coûte bien trop cher, nous avons, certes, quelques moyens, mais nous ne sommes pas encore CBS ».

Roy est charmant, Music Television est une séduisante boîte à images. Mais certains problèmes restent totalement occultés. MTV, sous ses aspects futuristes, couvre le racisme du rock blanc contre les noirs. Les seuls blacks qui apparaissent à l’antenne sont Prince (Warner Bras records?} et Michael Jackson ou Stevie Wonder parce qu’on ne peut guère y échapper: MTV reproduit le même cloisonnement que les radios US. Tant pis pour elle, la concurrence se réveille : fini le monopole MTV. Music Video, une jeune station par câbles basée à Atlanta (Georgia), vient de décrocher son canal satellisé. Or, la petite Music Vidéo programme de tout à la fois : noir, blanc, country, new-wave… Si MTV veut assurer son audience, elle sera forcée de s’ouvrir auxrythmes black. Pendant ce temps, en Angleterre, dix jours après le feu vert de Thatcher pour l’ouverture de 12 stations par câbles, EMl a lancé son projet de télé-rock baptisé Music Box. EMI est d’ailleurs associée à Warner Amex, alias MTV. Quant à l’hexagone, vu la lenteur du câblage français, on risque d’attendre longtemps un projet similaire. Chez nous, le câble balbutie à Lyon et dans quelques villes; à ce train-là, mieux vaut rêver au satellite qui nous retransmettra Music Box ou sa channel-sister. Mieux vaut MTV que rien du tout.

 

Publié dans le numéro 180 de BEST daté de juillet 1983