SPECTORAMA par François Julien

Phil SpectorC’est une biographie, mais pas que. C’est une play-list, mais pas que. C’est un précis sur l’histoire du rock, mais pas que. En choisissant de littéralement se glisser dans la peau d’une des plus grandes figures, aussi surdouée que controversée de la musique, François Julien savait qu’il allait forcément devoir affronter toute la polémique du personnage. Et quel personnage, puisqu’il s’agit ici de Phil Spector, à la fois génial et maudit producteur des Ronettes, Ike and Tina Turner, des Beatles, Lennon, Harrison, les Ramones et quelques autres que ce « Spectorama » projette comme un sombre polar jusqu’à son épilogue pour le moins dystopique…

Phil SpectorCe bio-roman est aussi une track-list où chaque chapitre ramène à un prénom et à une chanson, la plupart produites par Spector. La première en ouverture étant « I Used To Be a King » de Graham Nash et la dernière la version « Concert For Bangladesh » du « Just Like a Woman » de Bob Dylan en passant  par « To Know Him Is To Love Him » des Teddy Bears, « Spanish Harlem » Ben E King, « Be My Baby » des Ronettes, « My Sweet Lord », George Harrison, « Chinese Rock » the Ramones… voilà bien des années François Julien avait publié un livre précieux sur les séries télévisées « La loi des séries », cette fois son « Spectorama » se dévore comme un film noir au gré des incroyables aventures de Phil Spector qui décroche à 19 piges son premier hit en l’intitulant de l’épitaphe de la pierre tombale de son père suicidé une décennie auparavant « To Know Him Is To Love Him ». Tout un programme ! Comme la langue d’Ésope, Phil Spector était à la fois le meilleur et le pire. Le meilleur lorsqu’il édifie son fameux Wall of Sound en doublant systématiquement tous les instruments dans le studio. Le pire avec son mépris absolument total de la gente féminine, inversement proportionnel à son amour immodéré des armes à feu… qui finit par le mener jusqu’au pénitencier, après le meurtre de la comédienne Lana Clarkson, dans son château de Dracula hollywoodien le 3 février 2003. Le livre déborde d’anecdotes vécues à travers le regard de Spector, à l’instar de son fameux tournage muet de « Easy Rider » où il incarne un mutique dealer de coke face à Peter Fonda et Dennis Hopper. Ou ce souvenir cruel de son épouse Ronnie, qu’il renvoie dans un avion trois jours avant avec ses Ronettes, pour être bien sûr qu’il sera le seul aux cotés des Fab Four à leur descente d’avion à JFK airport en aout 1965. Sans compter ses récurrents pétages de plombs avec des armes à feu, qu’il ne pouvait s’empêcher de pointer sous le nez des artistes. Ronnie Spector, au premier chef, mais aussi Debbie Harry, John Lennon sans oublier mes potes Dee Dee et Joey Ramone.

Phil SpectorEn 20011 j’avais interviewé Darlene Love, la chanteuse des Crystals pour Rolling Stone et elle me racontait :

« Je crois  bien être la seule femme dans sa vie qui ait jamais osé le défier » martelle la chanteuse, « Mais toutes les autres, que ce soit Ronnie ou ses nombreuses girl-friends, même sa mère, c’était autre chose. Sa pauvre mère, il faut voir comment il la traitait lorsqu’elle passait le voir en studio. J’étais obligée de le réprimander comme un gamin, je m’énervais, je lui disais « Phil, tu cesses immédiatement ! On ne traite pas sa mère comme ça ! Tu devrais avoir honte de toi. Tu as vraiment un problème ! Es-tu cinglé ? Ne parle pas comme ça à ta mère ! Et cette fille, Lana, s’il l’a tuée c’est qu’elle avait osé le défier, elle voulait juste s’en aller alors qu’il refusait. Et elle a commencé à partir et c’est à ce moment qu’il lui a tiré dessus. Toutes les autres femmes avec lesquelles il avait une relation lui obéissait au doigt et à l’œil. Phil a commencé très tôt son cirque avec les armes à feu.

Moi quand j’arrivais en session et qu’on me disait : Phil a encore sorti son flingue, je faisais « ah vraiment ! »… je remontais direct en voiture et je rentrais chez moi. George, son chauffeur était toujours armé. C’est lui qui détenait les flingues, mais Phil les récupérait. Il me téléphonait énervé pour demander : pourquoi tu n’es pas là ? Et je lui répondais, Phil tu étais armé ! Et dans ce cas moi je ne suis pas dans les parages. George m’attendait devant le studio et me disait : « C’est bon Darlene, tu peux y aller il m’a rendu le flingue. » J’ai toujours dit à Phil qu’un de ces jours il finirait par blesser quelqu’un. Pour moi être armé en studio n’avait aucun sens. Moi je refusais d’être dans les parages d’un dingue armé. C’était un truc de pouvoir. Je ne sais même pas s’il détenait un permis de port d’armes. Mais personne n’appelait jamais la police pour se plaindre. Il se sentait au-dessus des lois. »

Phil Spector Darlene Love

Phil Spector Darlene Love

Pourtant avec certains de ses amis, Phil pouvait se montrer parfois particulièrement généreux et attentionné. Marv Bornstein, vice-President d’A&M records de 68 au rachat par Polygram, Universal à la fin des 90’s entretenait une franche amitié avec Spector, partageant cette même culture juive russe dans une complicité Fairfax version delicatessen. Marv l’avait rencontré en 1965, lorsqu’il avait débarqué dans l’usine de pressage où il assurait déjà le « contrôle qualité » pour voir s’il pouvait presser son catalogue Philles. Ils s’étaient retrouvés un an plus tard avec une centaine d’amis devant les portes closes du cimetière de l’Eden Memorial Park à l’enterrement de Lenny Bruce. Un des types présents vivait à coté, ils étaient tous allé chez lui. Phil avait alors fait un vibrant discours chargé d’émotion, comme bien des années plus tard il s’exprimera pour rendre un vibrant hommage à Ike Turner au cours de ses funérailles. Marv se souvient aussi des lettres de soutien qu’il faisait circuler pour défendre John et Yoko lorsque le FBI de Nixon cherchait à les déporter hors du territoire US pour leur activisme. « Nous sommes vraiment devenus amis au moment où il est venu chez A&M signer son catalogue en 69. Il m’invitait aux matchs des Lakers et venait souvent déjeuner au bureau avec moi. Pour fêter mes dix ans de mariage, il est venu accompagné de Ronnie, nous rejoindre dans un restau sur Sunset. Il n’était absolument pas meshuggeneh (cinglé) comme on dit en yiddish. Pourtant lorsqu’il venait me voir, j’avais souvent un coup de fil du juridique pour me dire : « Phil n’est toujours pas venu signer son contrat ». Il ne signait jamais ses contrats, entretenant ainsi l’illusion qu’il conservait sa liberté.  Mais il savait se montrer généreux. Un jour où nous discutions sur le parking d’A&M, on a croisé ce type Rose qui bossait au publishing. Il lui a dit : « Phil, j’adore ta veste ! ». Il l’a ôté, a vidé ses poches et lui a offert direct. Un jour où nous étions partis en vacances avec ma femme et mon fils, notre maison de Laurel canyon a été cambriolée. Dès notre retour, un type a débarqué pour nous monter un système d’alarme sophistiqué, un cadeau de Spector. Il en avait installé partout chez lui, alors il devait avoir des prix ! Il était si parano, il ne laissait jamais une bande trainer en studio, chaque soir il embarquait ses masters dans sa voiture sous la garde de George, un ex-flic, son chauffeur/garde du corps qui était armé. Et aussi, Phil exagérait toujours. Il avait un bureau sur Sunset et prétendait posséder tout l’immeuble alors qu’il n’était que locataire. Mais il était surtout extrêmement talentueux. Il voulait avoir un certain son et savait l’obtenir. Bon, je ne dis pas qu’il payait rubis sur l’ongle, mais nul n’est parfait. »

Pour revenir à ce spectaculaire « Spectorama », au-delà de ses nombreuses et croustillantes anecdotes, et surtout de son analyse musicale aussi experte que parfaitement documentée, il se distingue aussi largement de la fiche Wikipedia officielle du dément producteur perruqué par son surprenant final alternatif. Mais je ne vous en dis pas plus, il vous suffit d’acheter le livre !

 

François Julien« Spectorama » par François JULIEN

Collection Encre Rock

Éditions Erick Bonnier

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