SAYONARA RYUCHI SAN
Deux mois seulement après son frère d’armes du YMO Yukihiro Takahashi , il s’est éteint terrassé par le cancer voici trois jours, mais la triste news vient tout juste de tomber : l’immense Ryuichi Sakamoto, fondateur du YMO, auteur-compositeur-interprète, génie de la musique électronique et comédien nous a quittés à seulement 71 ans. Fan du Yellow Magic Orchestra je l’avais interviewé à Paris en 1992 après la publication de son album « Heartbeat », un entretien candide débordant d’humour et de malice que je suis fier de partager ici avec vous. Immense tristesse. Sayonara Ryuichi san…
Alors que Sakamoto avait sorti « 12 » son ultime CD en janvier dernier et qu’il s’apprêtait à publier le 5 mai prochain un CD instrumental minimaliste supervisé par le réalisateur Alejandro Gonzalez Iñarritu dont il avait signé la bande originale du film « The Revenant », l’immense compositeur japonais luttait déjà contre la maladie, un combat contre le cancer qu’il savait inégal et hélas inéluctable. C’est ainsi que le 28 mars, soit deux mois exactement après la disparition de Yukihiro Takahashi (Voir sur Gonzomusic Sayonara Yukihiro Takahashi san from YMO ) , décède à son tour Ryuichi Sakamoto, mais parce que conformément aux souhaits de l’artiste un service funéraire a été organisé en présence des membres de sa famille proche avant de rendre la nouvelle publique.
Alors bien sur je ne vais pas vous faire la necro de Sakamoto, d’autres le feront bien mieux que moi. Mais en dehors de son imagination extraordinaire au sein de Yellow Magic Orchestra ( Voir sur Gonzomusic YELLOW MAGIC ORCHESTRA « BGM » ), sa créativité en tant qu’artiste solo, il faut bien entendu citer ses célèbres compositions pour le cinéma et au premier chef « Furyo » et « Le dernier Empereur ». C’est dire si j’étais heureux de filmer un tel artiste en 1992 pour la télévision qui débarquait à Paris pour évoquer son nouvel album intitulé « Heartbeat ». Or il fallait au moins un lieu hors du commun pour rencontrer Ryuichi Sakamoto, un lieu en adéquation avec un tel personnage, touche à tout artistique surdoué, doté d’une rare délicatesse. La scène se déroule donc au bar du sous-sol du célèbre hôtel l’Hôtel, qu’affectionnait tant Serge Gainsbourg et Sarah Bernhardt, l’ancien hôtel particulier d’Oscar Wilde avec son incroyable escalier en colimaçon. Souriant dès qu’il s’installe, Ryuichi Sakamoto, plaisante avec le mini micro- cravate soulignant qu’en général c’est au japon que tout était miniaturisé. Il fait même mime de l’avaler. Souriant, il tire sur une cigarette en répondant à mes questions.
« Bonjour Ryuichi San, bienvenu à Paris. Alors d’où arrives-tu ?
J’arrive de Londres, mais je suis désormais installé à New York.
Depuis combien de temps vis-tu à NY ?
En fait depuis deux ans. Je suis parti vivre là-bas, juste après le dernier concert que j’avais donné à Paris à la Cigale.
Qu’est-ce qui t’a poussé à déménager pour NY ?
En fait j’ai souvent travaillé à NY depuis le début des années 80. Mais pourquoi y vivre ? Pour différentes raisons. D’abord la vie n’y est pas chère ( cela a bien changé en 30 ans : NDR) , mais comparé à Tokyo tout parait bien moins onéreux même Londres et Paris. Mais la principale raison est essentiellement artistique : à NY tu peux avoir accès à tant de musiciens différents issus de cultures différentes. Des Africains, des Indiens, des Coréens, Chinois, Européens et même Japonais, c’est ce qui m’a surtout motivé.
New York est un petit monde à lui seul ?
Exactement. Ce qui est drôle c’est que j’ai emménagé à New York, juste le lendemain donc de ce concert à la Cigale et franchement ce n’était pas vraiment bien programmé. J’avoue que c’était un peu crétin car je me suis baladé avec 20 valises et aussi un chat, ce qui est dur à gérer pour un seul type. A mon arrivée de l’aéroport JFK à la maison dans une rue inconnue j’ai débarqué dans une grosse Chevrolet pleine à ras bord, c’était un peu dingue.
Le chat t’a suivi du japon puis en tournés puis à Paris avant de débarquer à NY ?
Non, il est heureusement venu directement de Tokyo. Et désormais il a un copain, un chat américain que nous avons adopté six mois après notre installation. Mais ils ont du mal à communiquer et se bastonnent parfois. Peut être un problème de langue ? ( et Ryuichi de mimer les deux chats en train de s’expliquer)
Tu as toujours été entouré de chats ?
Oui depuis l’age de trois ans. J’ai toujours eu des chats. J’avoue je suis un grand amoureux des chats.
Comme bon nombre de gens créatifs, les peintres, les écrivains…
C’est exact. Mais il y a les chiens aussi, il ne faut pas les oublier.
Vu le nombre d’activités que tu assures tu es extrêmement occupé, comment parviens-tu à tout concilier en une seule vie d’être musicien solo, musicien de groupe, compositeur, compositeur de musique de film, producteur…. Et j’en oublie…
Je suis assez doué pour sans cesse compartimenter mon cerveau pour chaque différent projet, c’est ce qui me permet de tout gérer en simultanée. Bien sûr j’ai un peu peur que cela sonne un peu trop « japonais » car on reproche souvent aux japonais de travailler trop. Mais surtout la musique n’est pas seulement mon boulot, c’est une passion avant tout. Je ne suis ni businessman ni ingénieur, mais je suis un musicien et créer de la musique c’est juste un plaisir. Et c’est de continuer à en faire qui m’excite et me motive pour aller de l’avant. C’est la musique qui fait que je reste jeune. J’ai lu la biographie de Picasso qui a toujours su conserver cette flamme de la jeunesse en lui, cet esprit enfantin jusqu’au jour de sa mort. Et je veux être comme lui.
Tu sais que nous sommes ici dans l’hôtel particulier d’Oscar Wilde, là où il a écrit son « Dorian Gray » ? C’est un peu la même idée pour rester jeune à jamais ? Te sens-tu comme un Dorian Gray de la musique ?
Je n’en sais rien. Il va falloir que je lise le roman. Je ne suis pas familier avec l’œuvre de Wilde mais ma vie n’est pas aussi dramatique que le roman d’Oscar Wilde.
Parlons de ton dernier projet « Heartbeat » fidèle à tes albums précédents où tu mêles divers éléments de world music pour créer quelque chose de neuf. Mais pourquoi ce choix du « battement de cœur » ?
Lorsque tu te balades sur Broadway où n’importe où à NY en fait tu entends partout cette sonorité dans la rue, dans les voitures, dans les ghetto blasters que portent avec eux les jeunes blacks. Alors naturellement tu entends tous ces battements, comme tu les entends aussi dans les clubs ou dans les casques stéréos des gens dans la rue. Et j’aime ces rythmes comme les gamins aiment les rythmes. Or ces rythmes me semblent très similaires aux battements de cœur. Or ce sont ces mêmes battements de cœurs que nous entendons lorsque nous sommes dans le ventre de nos mères durant neuf mois. Et c’est le meilleur des environnements, d’où ce désir de retrouver ces rythmes cardiaques dans la musique. C’est comme un retour à cet état de fœtus. Pourquoi, simplement parce que le monde extérieur n’est pas aussi confortable, pas aussi rassurant. Or notre environnement se dégrade, il y a la pollution, les guerres, des crises économiques, des sans-abris, la drogue, la violence, ce monde est terriblement inconfortable. Et si ton environnement est inconfortable, tu veux t’en aller ailleurs, dans un endroit bien meilleur. D’où ce désir de retrouver la sensation de sécurité du cocon maternel. C’est tout le concept de l’album. C’est pour cette raison qu’il s’ouvre sr la chanson « Heartbeat » et qu’il s’achève sur « Tanai Kaiki » qui signifie « retour au ventre maternel »
Je pensais que tu avais aussi choisi ces battements de cœur car c’est la seule langue internationale.
C’est également vrai. Cependant toutes les chansons de l’album ne tournent pas autour de ce seul concept. J’ai aussi intégré différents éléments de cultures différentes françaises, arabes, sénégalaises, anglaises… Car on y trouve aussi bien du rap français que du rap russe, des chants arabes, des chants espagnols, de la musique américaine et japonaise bien sûr. Car j’aime tous ces différents types de musique depuis mon adolescence. L’autre raison c’est que je suis Japonais et que je n’ai pas de profondes racines musicales. Lorsque j’ai grandi à Tokyo je n’écoutais jamais de musique japonaise traditionnelle, je n’ai jamais aimé la tradition même si cela peut sembler étrange et mes racines musicale sont plus du côté de la musique occidentale plus particulièrement les impressionnistes français tels que Ravel et Debussy, donc pour moi c’est très naturel d’utiliser différents éléments issus de différentes cultures combinées entre elles pour créer ma musique. Ce n’est guère diffèrent de ce que faisait Claude Debussy qui était à la fois très français mais qui utilisait des éléments de la musique indonésienne ou espagnole.
Au-delà du mélange de cultures présent dans ton album, tu es aussi chanteur or … on t’entend à peine chanter sur cet album.
Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment. Effectivement je suis aussi chanteur, mais parfois je n’ai pas envie de chanter certaines de ses chansons. Parfois je sais que je dois faire appel à d’autres chanteurs. Des chanteurs que j’apprécie ou que je pense mieux adapté à chanter telle ou telle chanson.
Ce qui signifie que lorsque tu composes une chanson tu sais presque immédiatement si c’est toi qui va la chanter ou si ce sera plutôt Youssou N’Dour ? En fait c’est un peu comme si tu réalisais un film en choisissant tes acteurs ?
Lorsque j’écris, que je compose, tu as raison je sais immédiatement que je dois chanter telle chanson mais pas telle autre qui doit être pour Youssou ou pour tel rappeur français, je sais si je veux du rap russe sur telle autre. En général je les ais immédiatement mais parfois cela me prend un peu plus de temps avant de le déterminer. Oui tu as raison c’est comme mette en scène un film.
Donc, tu te considères plus comme un metteur en scène, un compositeur qu’un interprète ?
Non je suis un chanteur, la plupart du temps mais regardes Burt Bacharach, il chante parfois mais pas tout le temps. Il a aussi ses interprètes. Mais parfois les compositeurs ont aussi envie de chanter. Et j’aime les compositeurs qui chantent.
D’où t’est venue cette idée d’utiliser le chanteur de FFF ?
J’avais déjà écrit la chanson et je cherchais un groupe capable de rapper en français. À NY j’ai demandé à plein de gens mais je ne trouvais personne. Le tout premier des séances d’enregistrement au studio j’ai rencontré Bill Laswell. Or dans le studio juste à côté du mien il produisait un album de FFF. Et j’ai demandé à Bill : « Tu crois qu’il peut rapper en français ? ». Et la réponse était : « Oui bien entendu ! ». Et donc je l’ai fait venir dans mon studio.
Parlons aussi de Sakomoto le fameux compositeur de BO de fims ? Tu écris aussi l’hymne des prochains JO je crois ?
C’est vrai je fais des albums de pp music mais aussi des BO. J’en ai fait huit à ce jour, et c’est un tout autre travail. La différence majeure entre les deux c’est que pour les albums pop je suis le seul à décider de tout alors qu’au cinéma il existe de nombreuses conditions à respecter. Il y a le réalisateur, le producteur et de gros studios, le budget et la pression de la dead line. Sans compter les contraintes visuelles du film lui-même. Donc je dois ajuster ma musique par rapport au film. C’est un challenge.
Quel est ton projet à venir ?
Mon dernier projet pour le cinéma est un film anglais un remake de « Les hauts de Hurlevent » avec Juliette Binoche qui tient le premier rôle. Et la musique que j’ai composée est vraiment une musique d’histoire d’amour avec une forte influence irlandaise la patrie de l’autrice Emily Brontë. Mais c’est surtout de la musique symphonique avec le Royal Philarmonic Orchestra et je suis fier du résultat. Mais mon score favori celui dont je suis le plus fier c’est « The Sheltering Sky » sorti en 1990.
Et Sakamoto le comédien que devient-il ?
Je ne suis pas vraiment un acteur, même si j’ai joué dans deux films « Furyo » et « Le dernier Empereur ». Ce ne sont que deux films. On me propose souvent de tourner pour le cinéma mais je ne comprends pas toujours pourquoi car je ne suis pas un bon acteur. De surcroit il est incontestable que j’ai l’air très japonais et il n’y a pas tant que ça de rôles de japonais à tenir (rire) et je n’ai plus aucune envie de tenir le rôle du méchant soldat japonais. Donc franchement il n’y a pas beaucoup de films où je peux jouer, cependant Oshima m’a proposé de jouer dans son prochain film.
Lorsque tu dis que tu ne veux pas jouer le méchant japonais toute ta vie cela me rappelle que tu as toujours été particulièrement critique vis-à-vis de la société japonaise avec Yellow Magic Orchestra notamment cette chanson où tu te moques des touristes japonais an Amérique… pourquoi être aussi critique ?
Toi tu n’es jamais critique vis-à-vis des Français ou du gouvernement Français ? On est tous critiques de notre propre culture. Mais le truc le plus important c’est que le Japon est un bien étrange pays et les Japonais sont aussi étranges. Pour être honnête ce que je souhaite avant tout c’est être moi-même et n’appartenir à aucune société, à aucune nation en particulier. J’aurais pu naitre en France ou en Afrique. C’est un désir en moi qui me tient depuis l’enfance. J’ignore d’où cela me vient.
Peut-être ne viens-tu pas du Japon mais d’une autre planète ?
(Rire) Je n’en sais rien. Je me souviens j’étais encore au lycée et je parlais à ma mère. Je lui disais : j’aurais tant voulu être né à Hong Kong. Pourquoi ? Car à Hong Kong j’aurais parlé anglais et chinois car le japonais n’est pas une langue très utile. J’aurais préféré être comme Rimbaud qui a su complètement changer sa destinée.»
Bonjour ! Pensez vous qu’il serait possible de déposer la vidéo de l’interview sur Youtube ? Je pense que cela intéresserait beaucoup de personnes, il existe une belle communauté autours de Ryuichi Sakamoto, merci ^^