L’ENVOL DES NEGRESSES VERTES
Voici 30 ans dans BEST, BB était l’inventeur, au sens découvreur de trésor du terme, le premier peut être à oser parier sur les fulgurants Négresses Vertes, formation rock aussi furieusement keupon indépendante que généreusement allumée à la world-music façon gitans. L’immense Helno était encore vivant, « Zobi la mouche » venait de sortir et Bruno le qualifiait de « disque de l’année ». Flashback prophétique !
Si j’avais eu très tôt le privilège de filmer Helno l’allumé, c’était au Printemps de Bourges…mais avec les Berrurier Noir, avec lesquels il vocalisait alors, avant de quitter le collectif keupon pour former les Négresses Vertes avec Mathias, Stephane, Iza , Paulo et les autres. Comme le précise la légende, le groupe endosse son patronyme après qu’un videur de club les ait ejecté en les tançant d’un « dehors les négresses vertes » à cause de leurs cheveux teints en vert. Too much, too soon, hélas Helno meurt d’overdose d’héro en 93. Je retrouverai les Négresses un an plus tard à Bagnère de Bigorne, dans le vieil hôtel fantôme où ils enregistrent leur « Zig-Zague » ensoleillé, puis à nouveau au défunt Studio +30 aux Buttes-Chaumont où ils contribuent de leurs arrangements allumés à la version fantasque de « La gadoue » pour l’album de Jane Birkin, « Versions Jane » de chansons de Serge qu’elle n’avait jamais chanté auparavant… mais c’est déjà une autre histoire que je vous Gonzo-conterait un de ces quatre, promis. Splittés au tournant de l’an 2000, les Négresses se sont heureusement reformés en 2015 et semblent toujours à ce jour en joyeuse activité, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. En attendant…retour aux sources de ces fulgurants Négresses grâce à Bruno Blum.
Publié dans le BEST 251 sous le titre :
THE GREEN NEGRESSES
Par Bruno BLUM
À New York, personne n‘allait voir Hendrix. Encore un noir qui jouait du blues. À New York, personne n’allait voir les Stray Cats : encore des blancs qui jouaient du rock & roll. Jouer du blues, drôle d’idée pour un noir qui veut à tout prix que les blancs l’écoutent…Hendrix ou les Cats et les autres sont venus à Londres, et de brimés, ils sont devenus stars locales, puis trés vite, de grandes stars qui sont rentrées au pays vite, vite mettre la grande claque à leurs compatriotes penauds (qu’on croyait tous sourds). Les Francais ne sont pas plus sourds que les New-Yorkais. Pourtant…Les Négresses Vertes ont débarqué à Londres. Les Négresses Vertes ont commencé à raser la ville. Je reviens du Ronnie Scott’s, la boite où, justement, Hendrix joua son chant du cygne, ses toutes dernières notes lors d’un boeuf mémorable sur « Mother Earth » avec Eric Burdon, et ce, trois heures avant sa mort. Le Ronnie Scott’s bourré à craquer ce soir-là a vu, et entendu, un groupe qui a L’AIR français pour la première fois de sa vie (pourtant bien remplie) !
Une bonne moitié des Négresses est parisienne, variété titi, et Mathias Canavase met d’abord l‘ambiance avec un solo d’accordéon. Les Anglais hurlent de bonheur. Quel exotisme ! Jouer de I’accordéon, drôle d’idée pour des Parisiens qui veulent que la France les écoute…Quand le deuxième morceau commence, que la fusion Camargue- Belleville prend les angliches aux tripes, quand la guitare sèche du beau gitan attaque les gammes andalouses, quand Helno, ex-chanteur chez les Bérurier Noir (« il est parti parce qu’il préférait les Négresses, té ») attaque « Zobi La Mouche » sur une mélodie de raï enveloppée d’un look Fernand Raynaud puces de Montreuil…J’ai pris la France en pleine gueule.
Stéphane, le pied-noir manouche chanteur-guitariste, sa femme choriste Isabelle et Zézé le batteur sublime qui transforme la valse, le raï, la bourrée, le flamenco andalou, la rumba et le cha cha cha en musique moderne, urbaine, viennent tous les trois du Grau du Roi, un patelin d’où est originaire la famille gitane des Baliardo, qui nous a déjà donné Tonino, soliste des Gypsy Kings et…Manitas de Plata, là-bas vers Aigues-Mortes et Les Saintes-Maries De La Mer. Sortes de Pogues gaulois, de Gypsy Kings punk, les Négresses ont déferlé sur I’Écosse médusée, qui en redemande, tout en parlant d’Édith Piaf, de Nougaro le Toulousain et de Serge Gainsbourg.« On fait ça pour la beauté du geste » s’expliquent-ils, « pour être vengés de toute la musique de grosse consommation que nous font bouffer les Américains. »
Et avec trois guitares, un trombone, ils sont fichus de rendre une valse plus rock que toute la discographie de Madonna. Une valse, celle de l’aveugle dont le chien le guide de crotte en crotte… ou bien leur chanson sur le bicentenaire, « 200 ans d’Hypocrisie » où les bourgeois ont remplacé les aristos… le choc scénique des Négresses est tel que les agents des grandes boites de Londres se bousculent à la fin du concert pour leur arracher une soirée, impossible à caser dans leur planning surchargé. Tous branchés rock, ces Gavroches des faubourgs revendiquent pourtant leurs racines avec une certaine superbe, un défi touchant. « la France d’aujourd’hui c’est le chinois qui vend du pain, le beur qui tient une épicerie. C’est le raï, c’est le mélange du sud et du nord, et nous on est ça, on marche sur un fil tendu entre Paris et la Camargue ». Plus rock que le rock, nos pieds nickelés du folk kepon s‘engouffrent déjà, après un an et demi d’existence, dans la brèche d’authenticité ménagée par leurs copains Gypsy Kings tout en représentant à la fois une nouvelle génération, celle qui en a soupé de Depeche Mode et qui veut du vrai: de l’acoustique, pas de l’électronique, de la musique, pas des clips. En puisant habilement dans l‘immense richesse des diverses racines musicales des cultures françaises d’aujourd’hui, ils présentent un spectacle plus original que tout autre mélange bancal. « Si tu t’éloignes de ta culture, tu joues n’importe quoi, tu fais n‘importe quoi », m’annonce l’accordéoniste, fan de Dutronc et des Who. Et leur talent n’éclate en ce moment même pas seulement en Angleterre. « On a été jouer en Suisse, on a rempli des salles de deux mille places! Ce qu’on fait, pour eux ça vient juste de I’autre coté de Ia frontière, mais ils trouvent ça hyper-exotique ».
Leur force c’est la vision contemporaine actuelle qui leur permet de coller du swing dans les rythmes franco-latins et de l’humour des Buttes-Chaumont dans leur blues métropolitain. Ce soir-là les Anglais ne comprenaient pas plus les paroles que nous celles de « Djobi-Djoba », mais ils ont pris le feeling dans les portugaises sans chercher de dictionnaire. Le premier 45 des Négresses Vertes, « Zobi la Mouche » vient d’être remixé par William Orbit et Andy Wright (qui s‘est occupé du dernier S’Express) ce qui accentue encore le rythme, et propulse le gang sur la planète maxi-45. Le disque de l’année.
Publié dans le BEST 251 daté de juin 1989