RYUICHI SAKAMOTO « Travesia »
Bien sur ce n’est qu’une compilation, mais c’est tellement plus qu’une banale compile. Publié si peu de temps après sa déchirante disparition le 28 mars dernier, ce « Travesia », cette « traversée » donc me donne la chair de poule car il constitue l’ultime album de Ryuichi Sakamoto, sans doute le plus incroyable musicien venu du Japon que je suis si fier d’avoir interviewé. Avec pour « curateur » le réalisateur Alejandro Gonzales Iñarritu ce CD est comme un musée virtuel et sonique à la gloire d’un génie disparu avec des titres embrassant son glorieux demi-siècle où le natif de Nakano a su si bien mettre l’imagination au pouvoir.
C’est certain si vous ne deviez écouter qu’un seul et unique album de l’ex-YMO Ryuichi Sakamoto ( Voir sur Gonzomusic SAYONARA RYUCHI SAN et aussi YELLOW MAGIC ORCHESTRA « BGM » ) ce serait sans doute celui-ci tant ce « Travesia » – qui signifie « voyage « en espagnol- sait si bien embrasser sa tumultueuse carrière de son Empire du Soleil à notre planète. Alejandro Gonzales Iñarritu et Sakamoto avaient entamé cette belle collaboration sur son film oscarisé « The Revenant », or le compositeur se battait depuis de nombreuses années déjà contre le cancer, c’est ainsi qu’il lui a accordé toute sa confiance pour mener à bien ce magnifique et ultime projet, cette collection dont il est le commissaire d’expo riche de 20 compositions somptueuses. Et c’est ainsi qu’après le « retour vers le futur » du Yellow Magic Orchestra avec « Thousand Knives » extrait de son tout premier LP solo, on enchaine sur le superbe thème de « The Revenant » dramatique et climatique, si entêtant et empreint de cette vengeance sauvage qui anime le héros du fameux film de 2015. Puis, classique et dépouillé, interprétée au piano cette « Before Long » qui date de son LP « Neo Geo » de 1987 empreinte de cette radieuse et bouleversante mélancolie qu’il a su si bien nous transmettre dans ses magnifiques BO. Et si l’on pouvait oublier qu’il pouvait être si amoureux de la world-music, le somptueux « Nuages » composé avec son complice de Japan David Sylvian et littéralement pen lévitation par son chant tribal est là pour nous le rappeler. « Ma mère l’oye » en (vieux) français dans le texte, millésimé 1984, porté par ses chœurs enfantins et toute sa merveilleuse dichotomie se révèle si dépaysant car c’est là bien tout le pouvoir de Sakamoto de nous faire voyager à travers le temps et les continents.
Sa collaboration avec Arto Lindsay « Rose » est une évanescente poésie quasi déclinée, lorsque « Break With » de 2014 nous emporte sur son thème au piano répété entêtant. Puis comment ne pas succomber à toute la splendeur de « Blu » instrumental sur piano simple et si bouleversant interprété avec le prestigieux Tokyo Philarmonic Orchestra qui illustre si admirablement ce toucher du clavier si sensible de Sakamoto ? Extrait du bien nommé « Beauty » de 1989 « Asadoya Yunta » sublime hymne post-YMO évoque tant de souvenirs pour tous ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer…. Une larme perle et c’est sans doute le signe d’une nostalgie d’un monde disparu. Autre émotion retrouvée avec « Reversing » extrait du CD de 2022 « To the Moon And Back », martelée au piano, composition puissante comme un cri de révolte. Extrait de son « Chasm » de 2010 « Ngo/bitmix se révèle » free-jazzy en diable et débordant forcément d’émotion. Plus surprenant et toujours extraite du même CD de 2010 « +Pantonal » oscille entre beat hip-hop … et clin d’œil aux séquences de synthé distorsions de « Messe pour le temps présent » du génial Pierre Henry. Sans doute ma favorite de toute cette collection « Diabaram » est un sublime trait d’union entre l’Afrique et l’Asie, une pure fusion portée par la voix emblématique de l’ami Youssou N’Dour ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=youssou+n%27dour ). Groove tropical électro cool, comme si Kid Creole s’enrôlait dans le YMO , on ne saurait résister à l’insouciante « Same Dream, Same Destination ». Enfin ce tour inter- galactique de la galaxie Sakamoto s’achève sur un simple numéro : à la fin de sa vie comme sur son précédent « 12 » Sakamoto intitulait ses compositions d’un simple chiffre… à l’instar de cet étrange et syncopé « Composition 0919 »… qui date donc de septembre 2019 et qui clôt magnifiquement ce « Travesia », cet ultime voyage à travers l’immensité du génie de Sakamoto. Sayonara Ryuichi san…