RORY GALLAGHER « Deuce 50th Anniversary »
Pour célébrer dignement le 50ème anniversaire de ce « Deuce » de Rory Gallagher, le label Polydor réédite cet album crucial dans sa version originale, largement boosté par 28 versions alternatives inédites et des enregistrements live à la BBC qui font couler à flots un blues impétueux et c’est très largement plus fort que l‘irish coffee !
Par Jean-Christophe MARY
Parmi les guitar-heroes des 60’s et des 70’s, Rory Gallagher était un instrumentiste au jeu absolument unique. De 1966 à 1995, il a construit un fougueux répertoire blues rock fermement ancré dans le hard rock, le folk et le rhythm’n’blues. Comparé à ses collègues instrumentistes britanniques de l’époque, les Jeff Beck, Eric Clapton, Alvin Lee, John Mayall et autres Peter Green, l’irlandais aura développé un univers rock blues roots beaucoup plus marqué, bien plus racé. Sorti en novembre 1971, soit six mois seulement après la parution de son premier album solo, intotulé « Rory Gallagher », « Deuce » est une prolongation du travail accompli au sein de son power trio Taste (1966-1970). Ce deuxième opus ouvre la voie à ce que cette fine lame de la six cordes accomplira au cours des années suivantes. Bien décidé à marquer les esprits, Rory Gallagher mets au point un carburant de blues rock, et de rhythm’n’blues chauffé à blanc au hard rock naissant, un mix puissant qui deviendra alors sa marque de fabrique. L’album démarre par « Used to Be », un titre entre R&B et blues granuleux tout en rupture de rythme, de roulements de fûts à gogo alimenté par un jeu de guitare vicieusement débridé. À écouter ce premier titre, on imagine le guitariste rayonnant de bonheur, en train d’envoyer ses riffs carrés au son immédiatement identifiable, avec ce balancement du corps, la tête renversée en arrière et guitare pointée au ciel.
On retiendra dans sa voix gutturale, le côté plaintif et sensible de « There’s a Light ». Rory Gallagher y affirme sa maîtrise de la guitare à travers un solo granuleux qui s’étire tout en longueur, un passage totalement envoûtant. Idem pour « Whole Lot Of People » où le compositeur nous emmène dans son univers blues rock enivrant avec ce solo sous haute tension électrique qui ne semble jamais s’arrêter. Porté par une pulse basse batterie qui groove intensément, « In Your Town » rappelle que sa dextérité au bottleneck était absolument stupéfiante. La voix gutturale n’a pas la même puissance que celle d’un Robert Plant ou d’Ian Gillan, mais elle apporte une identité singulière aux compositions. Témoin, ce blues langoureux « Should’ve Learnt My Lesson ». L’album comporte aussi des titres plus légers. « I’m Not Awake Yet » est porté par le jeu complexe de Gallagher et la basse bondissante de Gerry McAvoy et sonne novateur par sa mélodie catchy tout en montagne russe. Le très country « Don’t Know Where I’m Going » exécuté à la guitare folk et à l’harmonica fait penser à Bob Dylan ou Ronnie Lane. L’album s’achève de manière magistrale sur « Crest of a Wave ». Avec cette basse étourdissante, cette batterie qui érige un mur de son turbulent et cette guitare dynamique et agressive ce titre d’anthologie annonce le meilleur à venir, les années 1972-1973 avec le fameux « Live In Europe » (1972), « Blueprint » (1973) et « Tattoo » (1973), tiercé gagnant sur lequel Rory Gallagher aura assis sa réputation. L’album est réédité en version 2CD, 4CD ou vinyle 3 LP avec un livret de 64 pages préfacé par Johnny Marr. Un album in-dis-pen-sable pour tous les fans de rock 70’s.