JACKSON BROWNE: Episode 2… Après le déluge
Jackson Browne, le Troubadour du rock de LA nous revient enfin avec un nouvel album, le radieux: « Standing In The Breach ». Et soudain le soleil californien nous réchauffe de ses harmonies dorées. Just like the good old days…Nostalgie, nostalgie ! Le héros de « Running On Empty » refusait obstinément toute interview la première fois que nous nous sommes croisés à Diablo Canyon, mais un an plus tard en 82, de passage à Paris pour un concert au Palais des Sports- son tout premier show EVER chez nous en haut de l’affiche- l’auteur de « Take It Easy » acceptait enfin de répondre aux questions d’un journaliste Français. Voici l’épisode 2 de ce spécial Jackson Browne.
Flashback…nous sommes en septembre 1982 !
Exit les Doobies, Steely Dan a splitté, les Eagles en ont fait autant: que reste-t-il des géants de l’Ouest? La légende du rock west-coast s’éteint doucement comme le foyer d’un bivouac au petit matin. Les années 80 auront consommé la cassure d’un certain esprit de groupe-hérité des sixties. Aujourd’hui les Michael Mc Donald, les Donald Fagen ou Glenn Frey se retrouvent seuls pour affronter leur public. Jackson Browne, de son côté, a toujours su voler de ses propres ailes. Son image intacte s’auréole en plus des combats « No Nukes» et de la lutte pour le désarmement. Jackson mobilise et enflamme. Jackson brille sans glisser dans la sensiblerie souparde. La mythologie rock en quêté de héros a fini par les épuiser: aux States, le charisme se fait rare. Springsteen, à force d’incarner le futur du rock and roll, s’est retrouvé sous les spots aveuglants du présent. Et demain?
Demain est un autre futur, un autre leadership et il a le sourire de Jackson Browne … « Some of them were dreamers/Some of them were fools/ We were making plans and thinking of the future/ With the energy of the innocence/ (…) When the heart turns to each other’s heart for refuge/ The trouble here that came before the deluge» (Before the Deluge).
Né en Allemagne en 48, Jackson ne tarde guère à suivre ses parents pour la Californie. Pendant quelques années, il mène un combat singulier contre le piano familial et finit par le terrasser. Jackson se met alors à la guitare et tous deux fuguent vers New York city où ils se branchent sur la bande à Nico de la Factory Warhol. (Jackson signe ainsi la moitié des titres de son album « Chelsea Girl ») L’espace de quelques années, Jackson va ainsi composer pour Nico, les Eagles, Joe Cocker, Joan Baez. Lorsqu’il regagne la, côte ouest, il rejoint le circuit des clubs comme le Troubadour sur Santa Monica à West LA. Jackson réalise qu’il n’a plus besoin de passer à travers les autres pour s’exprimer: il assume son humanisme jusqu’au bout. David Geffen occupait alors un fauteuil de PDG chez Asylum Records; il intègre Jackson à son écurie comme on lance un pari sur l’avenir.
Au rythme d’un album tous les deux ans, Jackson Browne se dérobe face au garrot de la productivité outrancière made in U.S.A. Comme ces philosophes de l’antiquité qui savaient peser chaque mot avant de le lâcher, Jackson Browne incarne parfaitement l’image du leader rock. Ses ballades optimistes intègrent les sons du sud des Etats-Unis, ceux qui évoquent le soleil, les grandes plaines, le désert ou les plateaux à la frontière du Rio Grande. Mais Jackson est bien plus qu’un joli filet de voix: l’écho de ses chansons résonne dans la conscience d’une gauche américaine montante qui échappe au système partisan. Croisés il y a un près d’un an à Santa Barbara (voir l’épisode 1 sur https://gonzomusic.fr/jackson-browne-david-lindley-retour-a-diablo-canyon.html ), Jackson, Lindley et le reste de la bande s’étaient mobilisés pour deux benefits. Le mot d’ordre était « Stop Diablo Canyon ». Parfois, les multinationales ne manquent pas d’humour, même s’il sait être morbide. La centrale nucléaire allait être édifiée sur une faille sismique. Quelques semaines plus tard, Jackson sera arrêté avec quelques centaines de manifestants aux pieds de Diablo Canyon. De l’anti « Nukes» au désarmement, cela nous mène au Madison Square Garden au mois de juin. Une brochette de rock-stars contre des missiles « Cruise». L’art affronte la politique sur son terrain. Sur scène, Jackson rencontre Springsteen le choc de deux chansons.
Huit jours plus tard, notre héros s’embarque pour l’Angleterre où il n’a pas joué depuis cinq ans. Quant à Paris, c’est encore pire, puisque son dernier gig remonte à dix ans, lorsqu’il avait assuré la première partie de Joni Mitchell. En clair, il n’avait jamais vraiment joué un vrai set de headliner sur une scène Française. Dans un Palais des Sports sold out, Jackson découvre son public hexagonal et lui offre une performance de deux heures trente en compagnie d’une demi-douzaine de pointures géantes dont le batteur, Russ Kunkel, le bassiste, Bob Glaub, et le guitariste, Danny Kortchmar alias Kootch.
ENTRAÎNEMENT NON VIOLENT
Après le gig, c’est au Martin’s, une boîte plantée dans le bois de Boulogne, que Jackson Browne s’est enfin laissé aller à des confidences et me demande tout de go :
« La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était à Santa Barbara, n’est-ce pas?
Exact, un jour spécial pour une occasion spéciale.
David (Lindley) et moi avons joué là-bas pour réunir des fonds pour ceux qui manifestaient depuis des jours à la centrale. Diablo Canyon a été planifiée à l’encontre totale de la volonté des résidents. Au début, chez les habitants de San Luis Obispo, les avis étaient assez partagés. Certains croyaient encore que la centrale apporterait du boulot dans la région. En fait, elle n’aura créé qu’une centaine de jobs temporaires, une goutte dans l’océan du chômage. Mais le pire, c’est le site qu’ils ont choisi. A un certain point du projet, alors qu’ils avaient déjà englouti des millions de dollars, ils se sont bien rendus compte qu’elle était construite sur une faille sismique. P.G.& E. (Pacific Gas and Electric) a d’abord nié, puis, ils se sont bornés à minimiser les risques. Les gens qui vivent et travaillent dans cette communauté ont tout fait pour les dissuader car, si P.G.&E. menait à bien son projet, la catastrophe devenait inéluctable.
Donc, après ces deux gigs à Santa Barbara, tu es remonté pour manifester à San Luis Obispo?
Le pire, c’est que nous n’étions pas censé jouer pour les manifestants. Certains d’entre nous craignaient qu’on ne nous colle un chef d’accusation pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Car, si tu réunis des gens pour leur dire: « Hé bien, nous allons manifester et donc enfreindre la loi », c’est encore pire qu’un refus d’obtempérer, bloquer une route ou créer une nuisance publique qui ne te valent qu’un jour ou deux de taule avec une amende.
Mais tu t’es fait arrêter à Diablo Canyon?
Lorsque je suis arrivé sur place, tout était déjà commencé. Mais j’avais une bonne excuse puisque j’étais parti accompagner Joe Walsh au Texas et en Arizona pour donner une série de concerts de charité pour les Indiens. Le gouvernement est en train de les déposséder de leurs dernières terres, c’est intolérable. A San Luis Obispo, crois moi si tu veux, jamais je ne pensais qu’ils m’arrêteraient. Il y avait là-bas des milliers de gens qui partageaient le même idéal. Lorsque tu donnes un concert, tu ne sais jamais si les gens sont là parce qu’ils approuvent ce que tu leur racontes ou s’ils sont là uniquement à cause de toi. En montant là-bas, je me suis dit: « Ils ne sont pas là parce que j’y vais, ils ne savent même pas que je suis là ». Un rancher nous a prêté son terrain, face au réacteur, pour que nous installions le camp. Lorsque les gens débarquaient, ils montaient leur tente et se réunissaient pour recevoir « l’entraînement non violent », une sorte de résistance passive en cas d’arrestation.
En quoi cela consiste-t-il?
En six heures d’entrainement, on te prépare à ce qui peut arriver: le policier qui t’ordonne de circuler et qui finit par utiliser la force. Ces flics ont tellement l’habitude qu’on leur obéisse au doigt et à l’œil. Rapidement. Aussi, tout peut arriver: il peut t’agresser, te taper sur le crâne ou te briser le bras. Tu dois donc apprendre à affronter cette situation. Si tu les insultes ou si tu les attaques, c’est préjudiciable à l’ensemble du mouvement. Avec l’entrainement, tu apprends que ce flic n’est qu’un humain qui te ressemble. Durant l’entrainement, on s’échangeait les roles. Je suis le flic et toi le manifestant. En jouant le policier, je me suis vraiment mis dans sa peau. J’ai senti… je n’avais rien contre cette personne, mais il fallait qu’elle circule à tout prix. J’ai dû appeler un autre « flic » en renfort pour qu’iI m’aide à l’arrêter. Dans la réalité, cela se passe exactement comme cela. A ce moment, j’ai réalisé que l’attitude d’un policeman n’a rien à voir avec ce qu’il a vraiment dans la tête. Face à la centrale, j’ai eu l’occasion de discuter avec de vrais flics et certains m’ont avoué que leur femme ou leurs enfants avaient eux aussi subi l’entrainement et qu’ils manifestaient avec nous. De même, en prison, un des gardiens m’a dit au bout de quelques jours: « Les mecs, c’est vous qui avez raison, 100 % raison. Moi, je vis ici et j’espère que vous réussirez à la faire fermer. Chut! Ne le dites à personne, sinon je perds mon job ». Lorsque je suis sorti de prison, j’ai continué à assurer les benefits avec Graham (Nash) et Bonnie (Raitt).
Je les ai aussi rencontrés à Santa Barbara avec toi.
C’est vrai, ils étaient là ce soir-là, nous avons même chanté ensemble;
Ce soir-là, vous aviez chanté « Revenge Will Come ».
La chanson de Greg Copeland …
… dont tu viens de produire l’album.
Alors, tu aimes cette chanson, moi, c’est une de mes préférées. J’avais commencé à l’enregistrer pour mon propre album, mais elle était bien trop bonne. Je ne voulais pas enregistrer une ballade aussi belle alors que je ne l’ai pas écrite.
Donc, tu as demandé à Greg de l’enregistrer?
Greg doit chanter ses propres chansons. C’est son premier disque, il n’a jamais rien fait
avant.
Tu as aussi produit David Lindley et Warren Zevon et, dans tous ces albums, on a l’impression que tu t’investis complètement.
Je ne crois pas être un producteur génial, capable de réaliser en tout terrain. Pour que j’accepte, il faut vraiment que je sois persuadé que je suis le seul capable de faire un bon travail et que, sans moi, ça risquerait de sonner moins bien. Il y a très peu d’artistes qui entrent dans cette catégorie. Il existe suffisamment de réalisateurs géniaux, je ne peux pas me considérer, comme un producteur.
Tu réalises quand même tes propres albums.
Oui mais je compte aussi sur un certain nombre de gens pour m’aider: l’ingénieur, les musiciens, c’est souvent un travail d’équipe. Sur mon second LP, il n’y a même pas de crédit producteur. En fait, j’ai toujours voulu écrire sur les notes de pochette: « Produit par les interprètes ». Un jour j’ai même failli écrire: « Produit par … une petite irritation causée par un grain de sable». Tu sais comment sont fabriquées les perles?
Yeah!
Le « Produit par … » a toujours sonné extrêmement prétentieux’
200 TONNES DE T.N.T.
Et le show au Madison Square Garden?
La cause était un peu différente, puisque le concert était en faveur du désarmement, même si elles ont toutes deux une étroite relation avec l’irradiation. Tu sais, il n’y a que très peu de temps que j’ai découvert qu’il y avait encore de l’espoir face à ces folles menaces. Pour la première fois depuis des années, on dirait qu’il se forme aux US.A un consensus pro-désarmement.
Tu veux dire qu’on réagit enfin contre Reagan? ‘
Reagan! Reagan! Ce maniaque … il est dangereux parce qu’il ne comprend qu’à moitié les choses. Il Ies enrobe dans son jeu. .
Il est assez cinglé pour appuyer sur le “bouton“.
Je crois qu’il joue un jeu très dangereux. il dit : « Oh yeah, vous ne croyez pas que je sois capable d’appuyer sur le “bouton“. Eh bien essayez, pour voir ! ». Reagan joue a la poule mouillée (chicken game) (1). Tu sais, deux voitures foncent vers un précipice et le premier qui saute est le « chicken ». Ça amuse Reagan puisqu’il l’applique à notre politique dans sa notion de désarmement. Il dit aussi: « Oh yeah, ce serait super de désarmer, mais nous n’avons pas encore assez de missiles pour nous sentir en sûreté. Si nous stoppons maintenant la fabrication des bombes, ça nous retombera sur la gueule ». A quoi rime encore la notion d’avantage lorsqu’on possède déjà un tel potentiel d’apocalypse: on a calculé que l’équivalent de 200 tonnes de T.N. T. pesait sûr chaque tête d’habitant à la surface de la planète. Mais je crois surtout que seuls nos leaders s’amusent au chicken-game,l’Amérique ne veut pas d’une guerre.
Voilà pourquoi elle s’y adonne par pays interposé.
C’est vrai, c’est tragique que les US.A interviennent au Vietnam ou au Salvador. Et Allende que la C.I.A a assassiné, comme Che Guevara. Le rôle de, la C.I.A dans les états sud-américains n’est hélas un secret pour personne. Là-bas, nous nous sommes toujours retrouvés du mauvais côté, du côté des assassins. Et le pire, c’est que nous les armons.
Tu n’as jamais joué en Amérique du Sud?
Jamais plus loin qu’au sud de San Diego. Mais c’est une bonne idée, j’adore la culture sud-américaine, des gens comme Pablo Neruda qui était, d’ailleurs, un proche d’Allende.
Tu reproduis un de ses poèmes au dos de la pochette de « The Pretender ».
Justement, peut-être pourrais-je traduire quelques-unes de mes chansons en espagnol pour les jouer là-bas. A LA, j’écoute souvent de la musique mexicaine, la mariachi music. Je vais voir des copains dans une boite. Ce sont d’ailleurs eux qui jouent sur une de mes chansons « Linda Paloma ». Ils sont assez spectaculaires. Imagine, c’est un groupe de 14 personnes. Le club s’appelle la « Fonda deI sol ».
Adonde es?
Sur Wilshire Bd, derrière le Mc Arthur Park, à deux pas du Vagabond Theater. C’est un vieux club chicano.
Pour Low Riders?
Non, ça n’est ni funky, ni low rider. Ils interprètent leur musique traditionnelle dans un night club pour Mexicains. Je les connais bien. A LA, j’ai grandi dans un quartier de Mexicains américains, vers le Pasadena Freeway. Il y a des années, mon frère avait décidé d’organiser une party dans la vieille maison familiale. C’est la maison qui est photographiée sur la pochette de mon album « For Everyman ». Mon grand-père l’a construite de ses mains. Donc, mon frère voulait faire la fête, mais il s’est passé ce qui s’est toujours passé dans ce cas: ma grande sœur faisait aussi des boums et, à chaque fois, la rue était pleine de mecs qui voulaient entrer à tout prix pour picoler, te piquer ta petite amie ou une pile de disques. Heureusement, on avait un copain d’enfance du nom de Jimmy Gonzalez. Il les tenait à distance jusqu’au moment où les mecs se sont excités: ils balançaient des briques et cassaient les vitres des voitures. Ils ont même sorti les couteaux. A ce moment, Jimmy et un petit mec, un brasero …
Un brasero?
Ouais, un type qui travaille aux champs, qui assure les travaux les plus durs. Jimmy et ce petit brasero se· sont retrouvés face à une véritable troupe de vatos, comme on dit, des low riders. Des jeunes mecs de 14-15 ans en T shirts blancs, pantalons kaki. Ils sont redoutables et, pourtant, mes deux copains sont parvenus à les chasser. Jimmy leur a foncé dessus un chenet au poing. Il leur a dit: « Vous, les mecs, vous vous trompez de pigeons. Ici, ce sont mes copains et c’est ma ville, alors du vent! ». Et les autres qui lui répondaient: « Hé paddy, on n’a jamais vu ta gueule ». Paddy est une expression des 40’s: à l’époque des zoot suits, les chicanos appelaient ainsi les blancs, parce que les Irlandais se surnomment eux-mêmes paddy. Et Jimmy qui répliquait : « C’est mon territoire ici, man! ». Il a foncé le poing en avant vers le premier type planté au milieu de la rue. Depuis que j’étais tout môme, il y avait un énorme roc au coin de notre rue, le petit brasero s’en est saisi à bout de bras et l’a jeté à terre. Le rocher a éclaté en une quinzaine de pierres qu’il a ramassées dans son blouson en avançant dans la rue. Ils ont tous fui. Moi, je les admirais parce qu’ils étaient si braves.
Combien de temps as-tu passé dans cette communauté?
De l’âge de trois ans jusqu’à douze, puis nous avons déménagé pour aller à Orange County, une banlieue très Californie du Sud où chaque habitation est une reproduction rigoureuse de sa voisine. Dire que j’avais quitté une maison qui était un joyau d’architecture dans le style d’une mission mexicaine …
A Orange County, je présume que tu étais entouré de jeunes gens très clean ?
Lorsque j’ai commencé à fumer de la marie-jeanne j’ai soudain réalisé où j’avais atterri . J’ai grandi dans l’antre du monstre réac, donc très vite compris que les valeurs nos parents ne pouvaient être les nôtres. Orange County, si ta tête ne revenait pas un redneck, il sortait de sa voiture pour te casser la tête. J’avais, hélas, l’habitude ces scènes de chasses, aux beatniks. C’était exactement comme dans le Sud. Duane AIlman vivait au Texas et je souviens de lui avoir demandé.: « Quel effet ça fait à un freak comme toi de vivre dans un état du sud ?». Il m’avait répond :« Aucun. C’est seulement dangereux. Et ce qu’il m’a décrit ressemblait étrangement à Orange County.
Tu ne crois pas que le choc t’a plutôt été bénéfique?
Complètement J’ai vécu dans un Disneyworld et c’est l’idéal pour pouvoir comprendre les mensonges dans lesquels nous sommes élevés aux U.S.A Ce sentiment-là te rapprochait de tous ceux qui avaient la même sensibilité que toi. Tu t’entoures des gens qui partagent les mêmes espoirs que toi. D’ailleurs, il y en a même un ici, ce soir: Eric (Lowen guitariste décédé en 2012 : NDR), qui était à l’école avec Copeland et moi. On se connait depuis l’âge de douze ans, on partageait même nos desserts. Tu sais, je n’ai pas joué en France depuis dix ans, mais en 75, j’ai quand même vécu à Montparnasse. Phyliss, mon fils et moi sommes venus à Paris parce que sa mère à elle vivait ici. Elle nous a trouvé un appart’ pour trois mois.
UN PIÈGE
Tu bossais?
Non, je venais juste de finir une tournée. Elle avait travaillé à Paris quelques années auparavant. Phyliss était modèle, c’était une vraie parisienne, elle parlait un français parfait, ce qui est, je crois, très rare pour une Américaine. Elle avait vécu plus de dix ans ici. Mais tout ça, c’est du passé … (2).
A ton avis, qui va affronter Reagan en 84?
Je n’ai aucune confiance dans la politique électorale. Ce job est un piège. Tu ne peux pas rester honnête lorsque tu deviens Président des U.S.A L’investiture, c’est déjà comme si tu trempais tes mains dans le sang. Les seuls politiciens que l’on puisse admirer sont ceux qui ont le courage d’exprimer des valeurs qui feront peut être rater leur élection, mais ne devaient- elles pas être exprimées? La plupart des candidats la bouclent sur les questions cruciales pour ne pas perdre de voix. Ils sont bien 99 % dans ce cas.
That’s business! Accepterais-tu, un jour, d’être candidat?
Quoi!!! Moi? Non, bien sûr (rire). Tu me demandes si, moi, je voudrais être candidat? Jamais de la vie. Tu crois vraiment que je suis un de ces politiciens?
Non.
Je me suis déjà fait traiter de « diplomate » par quelques copains lorsqu’ils voulaient se payer ma tête. Mais je n’ai contre l’homme politique, en général, c’est juste la politique que je déteste. Moi, je travaille pour des idéaux. Je n’ai pas de solutions de rechange à la démocratie, mais lorsqu’elle devient oppressive, je veux rester capable de la critiquer.
Au moins accepterais-tu de jouer pour Jerry Brown (Gouverneur démocrate de Californie: NDR)?
Eh bien non. Pour une fois, je voudrais que ce soit les candidats qui viennent nous soutenir. J’espère que les politiciens ont l’intelligence de croire aux mêmes choses que nous. Je vais soutenir Jerry Brown pour, ensuite, l’entretenir de problèmes qu’il devrait déjà connaître. Ça ne sert à rien. »
Jackson parle depuis une heure. Budar, son tour manager, déboule dans le salon: un géant barbu dont la tête ne m’est pas inconnue. A Santa Barbara, le matin du second concert, sur la scène en plein soleil, il accordait lui-même le demi-queue de Jackson. ( voir https://gonzomusic.fr/jackson-browne-david-lindley-retour-a-diablo-canyon.html ), Eric – le copain d’Orange County – et Peter Golden, le manager, se préoccupent de l’estomac de leur vedette. Ils n’ont pas tort. Deux heures du mat à ma montre Casio et Jackson n’a toujours rien avalé du diner offert en son honneur. Jackson Browne ressemble étrangement à son discours. Il vous fixe droit dans les yeux comme s’il voulait vous transmettre son énergie, des vibrations que Bob Marley taxait de « vibrations positives ». Lorsqu’on choisit d’être incorruptible, il faut l’assumer jusqu’au bout. Ce soir Jackson n’a pas joué pour promouvoir un nouvel album ou un single, ( le précédent « Hold Out » datait de 80 et le suivant « Lawyers In Love » ne sortirait qu’un an plus tard en 83) mais seulement parce qu’il avaitenvie d’être là. Droit, pur, intégre et électrique, je serre la main du dernier héros Américain. Demain, il y a une autre date, une autre ville, un autre concert et demain c’est déjà aujourd’hui, la vie décidément ressemble à s‘y méprendre à la pochette de « Running on Empty ».
« People you’ve got the power over what we do/ You can sit there and wait
Or you can pull us through/ Come along, sing the song /You know you can’t go wrong/
‘Cause when that morning sun comes beating down/You’re going to wake up in your town/
But we’ll be scheduled to appear/ A thousand miles away from here » (« The Load Out »)
(1) Pour ceux qui ont vu le film, l’image est tirée de « A l’Est d’Eden» avec James Dean.
(2) Phyllis, la première femme de Jackson s’est suicidée le 25 mars 76. C’est l’une des tragédies de sa vie.
Publié dans BEST 170 de septembre 1982
Voir sur Gonzomusic le premier épisode JACKSON BROWNE & DAVID LINDLEY: Retour à Diablo Canyon…