Bi-2 LIVE AU THEATRE DE VERDURE DE NICE

Bi-2C’était il y a tout juste trois jours les « russes » de Bi-2  investissaient le Théâtre de Verdure de Nice, pour un concert exceptionnel. Bon, à dire vrai ils sont en fait Bélarusses et originaires de la ville de Babruysk à 170 km de Minsk. Ultra populaires, la formation de Aleksandr « Shura » Uman et Yegor « Lyova » Bortnik désormais paria dans leur popre pays ET en Russie pour avoir osé dénoncer la guerre en Ukraine dès l’invasion de février 2022… mais héros désormais de toute la diaspora russophone autour du globe pour leur courage politique, un vibrant plaidoyer rock signé de l’ami Salim Zein. 

Bi-2Par Salim ZEIN

 

11 heures du matin, aux pieds de la Promenade des Anglais, flânant, et le modeste Théâtre de Verdure avec ses marches disposées en demi-cercle façon amphithéâtre, cerclé de noires barrières de métal largement ouvertes, et, si ce n’était les techniciens causant en russe, pas une affiche, incognito, rien ne me laissait supposer jusqu’au début de la soirée que le plus universel des groupes russes en activité allait s’y produire. J’ai coutume de décrire cette institution vivante qu’est Bi-2 (prononcer Bi-Dva, le chiffre deux en russe) comme un croisement entre U-2 (ô analogie), Muse et Coldplay avec ceci de différent en ce sens qu’ils transcendent l’idiome même du rock en quelque chose d’unique, d’à la fois personnel et universel, qui touche le cœur de plusieurs centaines de millions de personnes. Jouant un rock aussi alternatif qu’inclassable, Bi-2 n’est pas un groupe russe au sens propre, car la notion de « russité » au même titre que le Royaume-Uni ou les Etats-Unis portent l’anglais, ne se limite pas au seul territoire géographique de la grande Russie, mais prend ses racines dans la sphère géopolitique toujours bien vivace que constitue la zone d’influence de l’ex-Union Soviétique. Depuis 1991 et l’éclatement de l’Empire, emboitant le pas esquissé jadis par Pierre Le Grand, ces Russes-là, et tant d’autres, ont repris leur place de citoyens du monde.

 

Bi-2Désormais persona non grata à Moscou depuis qu’ils ont dénoncé, en février 2022, l’agression de l’Ukraine, Bi-2 jouit de sa popularité extraordinaire et faisant fi, sillonne les scènes du monde entier dans des salles ou des stadiums pleins à craquer d’un public couvrant toutes les générations. D’Almaty à Tel Aviv, d’Atlanta à San Diego, de Genève à Paris, l’actuelle tournée 2023 de plus de 60 dates en cours atteste de cette liberté.  Décrire leur public sans être caricatural, c’est possible… effectivement ce soir, j’ai autour de moi une assemblée exclusivement russophone, ou plus communément que l’on désigne « Russe » même si l’on y compte, bien sûr, des Ukrainiens, des Biélorusses, des Kazakhs, et bien d’autres, tous pensent russe, parlent russe, vivent russe, vibrent russe, tout à la fois locuteurs et slaves dans toute leur expression. Ça veut dire quoi au juste « russe » ? De ce que j’en ai ressenti et vu, je dirai… respectueux, passionnés, vibrants, enjoués, bon enfant et aussi… très féminin, certaines élégantes étant d’ailleurs vêtues comme pour aller au bal, leur réputation n’était pas feinte.

 

Bi-2Ponctuels, les Bi-2 entrent en scène peu avant 21h00, dans un halo d’éclairages alternant rouges et noirs de la nuit, couleurs du dernier album « Hallelujah », entre sang, sensualité, noirceur et intimité, teinté de l’air du temps, la guerre, le doute, le temps arrêté et la musique comme pour espérer, la fête peut commencer. Sextet bâti autour du tandem d’origine Biélorusse, visages du groupe, Lyova et Shura, quatre solides musiciens de haute volée, Boris, Andrey, Maksim et Yanik, vont révéler toute leur maestria au cours du show. Lyova, en rouge, c’est le chanteur, félin, théâtral, tantôt charmeur, tantôt grave, éminemment charismatique et son contrepoint, c’est Shura, guitariste, solide et plus introspectif, alternant sourires malicieux et postures iconiques, vêtu de cuir noir, racine et sillon du groupe. Très vite, je suis impressionné par la maîtrise du groupe qui donne une dimension complètement différente aux chansons telles qu’enregistrées en studio. Dès les premières notes, là où la production me paraissait timide, presque anonyme, l’écrin du Théâtre de Verdure devient caisse de résonance et une onde à la fois grave en enivrante emplit l’espace, un groove s’installe, sans chichis… Lyova s’empare du micro, de la scène et du public qu’il emporte à chacun de ses mots que tous connaissent par cœur.  Avec sa grâce de danseur et ses grands yeux bleus magnétiques, Lyova fait d’un mot un hymne et se déhanche, faisant tanguer la foule tel un navire, venant donner le change à l’atmosphère grave, introspective, un écran vidéo projetant des images d’un intérieur aux teintes de charbon et de sang, rappelant le Vaughan Oliver des premiers Pixies. Tantôt joueur, charmeur… conquérant, tantôt roublard, puisant sans vergogne dans un catalogue de plus de 20 ans de carrière, le groupe étreint le public avec lui, déroulant son répertoire avec une maîtrise impressionnante… Le show n’est pas millimétré, il laisse de l’espace aux émotions en une partition délicate, les hits passés sont des flashbacks renvoyant aux temps heureux d’avant, et les morceau actuels sont un pied-de-nez aux poncifs, révélant un public russe séditieux et éveillé.

 

Bi-2Les titres s’enchainent mêlant des sons aux accents slaves, à des airs folk rock, tempérés de guitares d’acier ou de séquences hypnotiques, sublimés par la maîtrise vocale de Leva, au chant impeccable, comme un poisson dans l’eau sur cette scène qu’il étreint. Les paroles, à la fois littéraires, caustiques et pleines de double-sens, résonnent comme autant de miroirs à facettes venant déjouer censeurs et sceptiques, telles que dans « Компромисс » (Compromise). La personnalité qui surprend le plus, à mon sens, est celle de Shura, mélange de Zatoïchi et de Peter Hook, porteur des fondamentaux, des références, à l’instar de son armure de cuir, en samouraï, dossard aux couleurs de Joy Division, pas si éloignés dans l’esprit originel…. Flanqué de sa belle James Trussart chromée, en guise d’épée, il pose un peu et s’impose, par petites touches, tel un Neil Young monolithique… Et vint la surprise, au moment de l’interprétation d’un de mes titres favoris du groupe « Мой рок-н-ролл » (My Rock’n’Roll), ballade intimiste, de réaliser que cette voix de basse, murmurante et chaleureuse, telle qu’entendue sur la version originale, est en fait la sienne. C’est son moment à lui, pour donner sa façon si personnelle, pudique et bourrue, sa patte, toute en retenue, jouant son blues slave, son rock’n’roll, poignant, repris en choeur par la foule, puis retenant le silence autour de sa voix dépouillée, pour mieux savourer l’intimité de ce moment d’entre-nous. La bravoure du groupe, comme sa musicalité ne rime pas pour autant avec individualité et donne la part belle aussi aux autres membres, quand Boris Lifshitz, géant aux allures de Serj Tankian chevelu, assis derrière son kit de batterie qui parait minuscule entame un solo de batterie, exercice tout droit sorti des seventies, et là on se dit « mais non, ils ne vont pas oser ? » Ordonnant de ses baguettes le métronome d’une synchro optimale entre lights, effets pyrotechniques, samples et images vidéos synchros, la sempiternelle démo technique se mue en un moment de communion embrasant la foule, Boris nous embarquant dans sa cadence, intense. On se surprend à battre des mains, et on en redemande !

 

Bi-2Un peu plus tard, le toujours très élégant multi-instrumentiste Yanik Nikolenko, derrière ses claviers, nous gratifie d’un chorus flûté, interprété à la traversière s’il vous plait, moment de grâce où la musique l’emporte sur la technique, en un fil, un diapason, une portée… Son humilité charme toute l’assemblée et nous rappelle combien l’amour de musique est le cœur de Bi-2. Le groupe poursuit sa route, dans ce show généreux, plus de deux heures où la fièvre retentit, comme ce titre, dont le nom m’échappe, avec un rapper rageur qui jaillit de l’écran vidéo, réplique cinglante, scandée, au chant mélodique de Lyova, rappelant l’urgence qui tend la situation déchirée actuelle, face à la guerre, choisir de ne pas choisir, jouer pour toutes et tous, rassembler les slaves, libérer, étreindre, ne jamais éteindre, dépeindre des émotions non feintes, des teintes, tantôt écarlates, tantôt tues, dans ce monde déshumanisé où l’on se tue pour des causes qui ne sont pas les siennes. Face à l’hideux livre de l’actualité, chaque soir Bi-2 réécrit des pages d’histoires communes pour retisser ce lien indéfectible… Rien de tragique pourtant dans ce qu’ils donnent, point de pathos, quand Lyova plonge dans la foule, bravant les rivières de sourires qui s’épanouissent, transformant la scène en une garden party, moment de joie, de liesse et de retrouvailles, où l’on est plus qu’un. D’ailleurs, dans leur concert il n’y a plus de russes, plus d’ukrainiens, plus de biélorusses, plus d’individualités, pas de passeport, la musique de Bi-2 est un transport qui s’affranchit des frontières et rend au peuple slave l’espoir volé, les couleurs des jours heureux et ceint la nuit d’une aurore boréale qui brillera longtemps dans les yeux de de leur public.

 Le 17 septembre prochain, les Bi-2 seront au Zénith de Paris, ne les manquez pas, c’est un grand groupe, une invitation à entrer dans l’âme Slave, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus touchant, pour reprendre espoir et convoler….  Ensemble

  

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