THE THE INFECTIEUX
Voici 30 ans, dans BEST, GBD rencontrait à nouveau l’énigmatique Matt Johnson, plus connu sous son sobriquet de The The. En ce début 87, il retrouvait dans les bureaux du label Some Bizzare celui qu’il avait souhaité interviewé dés le tout premier maxi 45 tours. Dans la lignée de Soft Cell et d’Orchestral Manœuvres, The The, sorte de « one man band » futuriste, pratiquait alors une irrésistible et sarcastique New Wave. Flash-back sur la sortie de son infectieux « Infected », sans doute le premier album à oser nous alerter des dangers du virus HIV.
À la veille de la publication de ce qui deviendra son LP le plus « successful » je croise à nouveau le mentor et lider maximo de The The, Matt Johnson, lequel bien entendu ne réalise pas encore qu’il vient de signer ce qui constitue sans doute son meilleur album. Avec le recul du temps, on peut que chérir le discours cash du rocker de Londres comme son engagement pionnier contre le Sida. Après une longue carrière chaotique, au fil des ans et des rencontres, sa formation protéiforme disparaitra et renaitra à diverses reprises. Coïncidence, The The, assisté de son vieux complice Johnny Marr a justement publié hier son premier titre depuis 15 ans joyeusement intitulé « We Can’t Stop What’s Coming »
Publié dans le BEST 222 sous le titre :
MAD MATT
À l’ombre de Post Office Tower, les bureaux de Some Bizzare ont un côté squat de luxe. Jonglant avec quinze téléphones, le pétulant Stevo, manager de feu Soft Cell, reste fidèle à sa légende, même si aujourd’hui son étalon choc est plutôt The The que Marc Almond. Le Le, c’est Matt Johnson, un Todd Rundgren « Wizard a True Star » des eighties, une sorte de Silver Surfer sillonnant les galaxies de gammes sur son Emulator. J’avais déjà rencontré Matt moulé de cuir des pieds à la tête, à l’époque de « Soul Mining », son album de 83. Dans ma tête tous les signaux d’alarme s’étaient déclenchés simultanément. Alerte rouge, Matt Johnson était un Bowie flamboyant période Ziggy Stardust, un Bolan chimérique comme celui de « Hot love » ou de « Get lt On », bref une affaire à suivre de très près. Trois ans plus tard, notre surfer du microchip réapparaît et « Infected » sa nouvelle galette déchire la tête et le temps comme une nouvelle sensation.
« Matt Johnson : Ces trois dernières années ont défilé comme une décennie. J’ai été malade à cause de l’excès de travail et de certains autres abus. Maintenant je traverse une période clean, sans tabac ni drogue, rien que quelques verres. En fait, pendant trois ans je me suis pris du bon temps. Si je ne ressens pas le besoin d’écrire, je ne me force pas uniquement pour ravir ma maison de disques. Mieux vaut s’abstenir tout comme je préfère ne pas baiser que baiser juste pour baiser. Je suis peut-être à la merci de l’inspiration, mais je ne crée pas sans raison. Tant pis si ça prend trois ans ou six ans. En fait, durant ces années, j’ai beaucoup voyagé en Afrique, Égypte, Gambie, Kenya et aussi en Amérique pour tourner le vidéo album de « Infected ».
Huit clips, des interviews, du reportage, comment un type comme toi a-t-il pu convaincre le Père Noël de chez CBS de lui offrir un tel cadeau ?
Je suis un type célèbre, voilà tout. Peut-être pas en France, mais sur le reste du globe, The The était sur toutes les lèvres. « Soul Mining » a carburé à plus d’un million d’exemplaires sur le monde. Désormais, lorsque je vais voir Monsieur CBS, je vois les dollars au fond de ses yeux comme une machine à sous de Las Vegas. L’argent est un prêt, une avance sur recettes, CBS m’a servi de banquier et je lui dois 500 000 livres. ll se remboursera tout seul, sur les ventes de « lnfected ».
L’album vidéo est super, mais on devrait plutôt t’appeler Mad (fou) Johnson que Matt, vu l’image qu’il donne de toi.
Le mois où j’ai tourné tous ces clips aura sans doute été le plus intense de mon existence. Je suis très timide. Je ne fais plus de concert et je n’avais jamais clippé auparavant. J’ai donc vécu un intense choc culturel.
Je n’ai pas oublié qu’à la fin de notre entretien voilà trois ans tu déclarais : « Je veux être un vidéo artiste », tu as tenu parole.
Je sais où je vais, je tends vers le film en 35 mm. Dans les vidéo-clips, les images sont trop souvent secondaires par rapport à la musique. Dans le film, la musique intervient toujours après coup. Moi je veux combiner les deux dès le stade embryonnaire. Je veux travailler en parallèle avec le réalisateur du film et le co-producteur de l’album pour respecter le synchronisme. Pour le réalisateur, je pense à Tim Pope qui a déjà signé quelques clips de « Infected ». Pour mener à bien ce projet, j’ai besoin d’un lourd soutien logistique. Il faut donc que cet album-ci soit un succès total.
On dirait que c’est bien parti pour, « lnfected » et « Heartland » les deux premiers simples ont été tous deux bannis des ondes de la BBC.
« Heartland », c’est vrai, est un titre politique, puisqu’il traite de la colonisation de l’Angleterre par les USA. Le texte est bourré de références : événements politiques du passé, architecture, valeurs sociologiques. Lorsque je dis : « La Livre dans la poche s’est transformée en Dollar », c’est par rapport à un discours de Wilson qui disait « la Livre dans votre poche vaut bien plus aujourd’hui qu’hier ». La prospérité est passée et les missiles Cruise sont arrivés. Thatcher est une sorcière malfaisante, si elle gagne à nouveau les élections nous aurons une guerre civile sur les bras . Quant à « lnfected », l’autre 45 censuré, c’est une référence directe au SlDA .- « lorsque le désir devient une maladie au lieu d’une joie (…) contamine-moi de ton amour». La BBC trouvait la chanson séditieuse ; quelle hypocrisie ! Mes textes reflètent les préoccupations des gens dans la rue. Moi je dénonce tous ces médecins et infirmières qui rejettent les malades atteints du SIDA, c’est du racisme. Une autre chanson de l’album est aussi victime de la censure, c’est « Sweet Bird of Truth » que CBS a refusé de sortir en 45 tours à cause de leur parano des bombes. Le texte oppose simplement les soldats de fortune de l’ouest aux combattants islamiques galvanisés par leur idéal. S’ils meurent, ils deviennent des martyrs et vont au paradis. Nos soldats ne s’engagent que pour voyager et baiser des femmes, c’est inégal.
J’ai l’impression que Matt Johnson adore les histoires de cul ?
C’est vrai, je reste ouvert, car la plupart des problèmes que se posent les gens sont directement issus de leurs frustrations. Mais la censure me colle au cul, ils veulent régresser aux vieux principes de la morale victorienne. Leur liberté de pensée, façon capitaliste, est une arnaque totale. Ils font rentrer de force dans la tête des gens leurs images idéales pour créer des besoins sans fondement et rêver du monde parfait de la pub. Drôle de liberté. Moi je ne sais pas ce qu’elle signifie vraiment. Je me sens libre, car j’ai toujours fait tout ce que je voulais, c’est la liberté de l’instinct. »
The The au 10 Downing Street ? Et pourquoi pas ? S’il devenait Premier, Matt abolirait ipso facto la famille royale, la prohibition sur l’alcool et la censure sensuelle, au nom de la liberté de baiser et de picoler. J’adhère !
Publié dans le numéro 222 de BEST daté de janvier 1987
The The reunite for Record Store Day https://t.co/snd7bVcZ2x pic.twitter.com/i1qPGSdNti
— Johnny Marr (@Johnny_Marr) 21 mars 2017