SIX PENNY MILLIONNAIRE À LA VOULTE-SUR-RHÔNE
C’était le samedi 16 août dernier, lorsque l’ex guitariste de No One Is Innocent, François “Shanka” Maigret a largement prouvé au public de La Voulte-sur-Rhône que non seulement il méritait largement ses galons de commissaire du rock, mais également qu’avec sa toute nouvelle formation Six Penny Millionnaire, et son cocktail de blues swamp rock allumé, il savait manifestement déclencher un jackpot émotionnel immédiatement bankable et thésaurisé par le très zen ami Salim Zein.
Par Salim ZEIN
Chaleur, hasard, algorithme. Il est 17 h 30, l’air plombe tout et ma vie entière est sur “pause”. Par réflexe, je fais défiler les stories. Les réseaux servent au moins à ça : avoir des nouvelles de gens qu’on ne voit jamais et de guitaristes qu’on admire en silence. Et là, François “Shanka” Maigret : « Je joue ce soir avec mon nouveau projet Six Penny Millionnaire à La Voulte-sur-Rhône. » Google Maps : 43 km. La date : 16 août. Donc ce soir. J’enfile un tee-shirt estampillé « Heavy Metal », clin d’œil obligé, clé de voiture, direction l’inconnu.
La Voulte-sur-Rhône, 20 h passées. Un festival que j’ignorais, un bourg ardéchois encore tiède de la fournaise du jour, et sur scène deux hommes. L’un debout, l’autre assis. Pas d’esbroufe, pas de décor : la guitare au centre et le battement du cœur dans les mains. Je m’y attendais sans oser y croire : la baffe. Le futur du blues français (et un peu plus). On dit “roots” par facilité, mais c’est du rock roots européen : pulsation tenace, riffs taillés au couteau, voix qui ramasse la poussière des routes pour la recoller à l’âme. Depuis que les monstres sacrés ont déserté ou viré légende, il reste une place — pas pour le dessert, pour le désir. Ce soir, elle a été prise. François Maigret, l’architecte. On connaît le guitariste pour ses mille vies et collaborations. Ici, il construit : un son plein, nerveux, qui respire et mord ; des saturations comme des paysages ; ce sens rare du break juste. Pensé, ciselé, jamais démonstratif. La guitare n’écrase pas : elle raconte.
Julien Tota, l’alter ego. « Un mec à sa mesure », exactement. Tota n’accompagne pas : il aimante. Rythmiques implacables, nuances qui font monter la température sans la cramer, présence tranquille. À deux, ils ouvrent un espace où tout circule : groove, tension, relâchement, réplique. La paire fonctionne parce que chacun laisse au morceau sa nécessité. Le set, la malice et le métal. Dès l’attaque, bon pressentiment : va-t-il céder à la facilité ou emprunter des chemins plus rugueux, plus rock’n’roll ? Il fera tout ça et plus encore. Avec humour, Shanka glisse qu’il n’a pour l’instant qu’avec pour seul bagage « Grime Pusher » , leur EP cinq titres : « Y’a pas de quoi tenir 45 minutes » nous lance t’il. Alors il pioche dans son juke-box personnel et ré-interprète des titres qui l’inspirent. Moment fort : une reprise au bottleneck d’un morceau de Pantera, le tempo furieux métamorphosé en cavalcade de glissements métalliques. Tota renvoie la balle, métronomique et souple, jonglant entre frappes, boucles et ostinatos bluesy infernaux. Shanka régale, totalement social, sachant dialoguer avec le public et son partenaire. Clin d’œil Dr. Dresur un groove irrésistible ; puis il saisit une visseuse électrique pour faire hurler la guitare dans le micro saturé — un geste artisanal qui convoque, en version analogique, des textures qu’on croirait sorties de Ministry (période Al Jourgensen). Pas de citation gratuite : travail du métal, sueur, artisanat ; la musique sent l’atelier et la limaille. Ce que ça fait, aujourd’hui. Ça réveille. La plaine, les voisins, et cette petite chambre secrète où dorment nos raisons d’aimer la musique. On entend des fantômes — blues, swamp, rock alternatif — mais rien d’archéologique : c’est là, maintenant, avec cette rage claire d’inventer à partir de l’os.
Conclusion (et promesse). Venu par hasard, je repars avec une promesse tenue. Si demain on cherche où bat le cœur du blues d’ici, on pourra répondre sans rougir : au bord du Rhône, un soir d’août, à deux. Six Penny Millionnaire n’a pas servi le dessert ; ils ont envoyé le plat principal et laissé l’appétit grand ouvert.
All pix & video by Salim Zein