Bruce Springsteen

Bruce Springsteen

“Letter To You”, c’est à la fois le nouvel album du Boos et le superbe film qui l’accompagne, diffusé sur Apple TV et réalisé par Thom Zimny, qui documente le Boss et son univers depuis des années, qui a cette fois choisi des images en noir et blanc, accentuant le coté intemporel, d’autant que toutes les séquences nostalgiques d’archives sont en couleurs, un parti pris vraiment intéressant. Paysages d’hiver enneigés, on découvre le visage du Boss au milieu de nulle part. Nous sommes au Thrill Hill Recording studio, bâti dans sa Colts Neck Farm, dans le New Jersey, juste à côté d’Asbury Park… where else ? C’est le grand retour du fidèle E Street Band, après six ans d’absence depuis « High Hopes », pour 5 jours d’enregistrement live, en novembre 2019 pour la première fois depuis, excusez du peu, « Born In the USA ». La genèse de l’album remonte à ses concerts de Broadway, lorsqu’un fan italien lui a offert une guitare acoustique, à l’entrée des artistes. « Je me suis dit : "Bon sang, merci", se souvient Springsteen. "Et j'ai jeté un rapide coup d'œil dessus et ça ressemblait à une belle guitare, alors j'ai sauté dans la voiture avec." La guitare, fabriquée par une boite dont il n'a jamais entendu parler, est restée dans son salon pendant des mois, jusqu'à ce que Springsteen la récupère vers le mois d'avril de l'année dernière. Sans crier gare, "toutes les chansons de l'album en sont sorties", dit-il, émerveillé. "En moins de 10 jours peut-être. J'ai juste erré dans la maison dans différentes pièces, et j'ai écrit une chanson chaque jour. J'ai écrit une chanson dans la chambre. J'ai écrit une chanson dans notre bar. J'ai écrit une chanson dans le salon." Le disque est également inspiré par la disparition de George Theiss, mort d’un cancer à 68 ans, guitariste et chanteur de the Castiles, le premier groupe qu’a rejoint Springsteen. George sortait avec Ginny, la sœur de Springsteen, et lui a appris ses tous premiers accords. The Castiles ont existé durant trois années explosives de 65 à 68. Après la mort de George, Bruce demeure l’ultime membre vivant du groupe. « Cela m’a fait beaucoup réfléchir et c’est de ces pensées que sont nées les chansons de cet album. Puis, évoquant le E Street Band : « Cela fait 45 ans que ces hommes qui m’entourent et moi menons cette discussion (…) Si j’ai commencé à jouer de la guitare, c’est que je cherchais quelqu’un avec qui je pourrais discuter et échanger. Et je crois que cela a fonctionné au-delà de mes rêves les plus fous. Tout ce que je sais c’est qu’après tout ce temps, j’ai toujours en moi ce besoin intense de communiquer, un besoin présent le matin, lorsque je me réveille, un besoin qui me suit toute la journée et qui est toujours présent chaque nuit, qui est là lorsque je vais me coucher. Durant ces 50 dernières années, jamais il n’a cessé de me hanter. Quelle en était la cause, était-ce la solitude, la faim, l’ego, l’ambition, le désir, le besoin d’être ressenti et entendu, le besoin d’être reconnu ou tout cela à la fois ? Tout ce que je sais c’est la plus cruciale des motivations de ma vie, aussi fiable que le battement de mon propre cœur c’est ce besoin de vous parler. » D’où la lettre que nous écrit notre cher Boss…et alors qu’ils se réunissent pour enregistrer, la neige commence à tomber sur son cher New Jersey. Symbole de pureté. Bruce entouré du E Street Band attaque la chanson-titre à la guitare acoustique et c’est juste somptueux. Dans le film, il compare l’incroyable cohésion de ce groupe à un moteur de voiture de compétition parfaitement réglé. Puis il les nomme l’un après l’autre, comme ses chevaliers de la Table Ronde : Steve Van Zandt , Max Weinberg, Roy Bittan, Gary Tallent, Patti Scialfa, Nils Lofgren, Charlie Giordano, Soozie Tyrell, Jake Clemons ( le neveu de l’immense Clarence) sans oublier justement les deux membres disparus, Danny Federici et Clarence Clemons. Balade électrique, puissante lettre d’amour à ses fans, mais aussi à son cher E Street Band, dont l’alchimie n’a jamais failli tout au long de ces décennies, « Letter To You », la chanson-titre, explose avec la puissance de « Racing In The Street », portée par son emblématique solo au piano électrique, une des signatures du groupe. Bruce y chante divinement bien et avec une totale puissance émotionnelle portée par une incroyable cohésion. Retour à la nostalgie autobiographique des Castiles avec « The Last Man Standing » c’est à dire lui-même, l’unique survivant de ce groupe qui lui a tant appris et sans doute une des plus puissantes de ce nouvel album, une ode à la jeunesse et aux rêves préservés, portée par sa radieuse intro acoustique et son irrésistible solo de saxe doré feeling à la « Janey Don’t you Loose Heart ». Puis Brucie explique qu’il a toujours pratiqué des prières de trois minutes sur 45 tours avant de démarrer l’intro au piano de la radieuse et totale E Street band « The Power of Prayer », dans l’écho de « Darkness at The Edge of Town », superbe. Et toujours ce saxe si addictif… « Le E Street band m’oblige à rêver, à réfléchir et à écrire en grand » poursuit Springsteen, avant d’attaquer une délicate balade intitulée « The House of a Thousand Guitars ». Vous l’aurez compris, cette « maison des mille guitares » nous y sommes, c’est ce studio que nous découvrons sur ces images, mais c’est aussi un musée, où Bruce conserve toutes ses guitares y compris la toute première, une Kent, parmi tant et tant d’autres qui lui ont inspiré cette composition nostalgique portée par les chœurs de Patti aux accents grandioses de « The River ». Puis le Boss annonce que demain ils vont faire des chansons vielles de 50 ans, dont une enregistrée en acoustique pour la demo de John Hammond … qui lui a permis de signer chez Columbia donc pré-« Greetings From Asbury Park » . Chair de poule intégrale, Bruce attaque seul le premier couplet de « If I Was the Priest » « If Jesus was a sheriff and if I was the Priest…texte hallucinant et gorgée du blues le plus chaleureux…montée en crescendo, pour un des sommets de l’album et extraordinaire pépite retrouvée en écho du jeune Bruce de 22 balais qui l’avait composé. La bien nommée « Ghosts » est bien entendu hantée par les figures de ses amis disparus, ceux qu’il revoit dans ses rêves tels Clarence « King of the World » Clemons, comme il aimait tant le proclamer sur scène, avant de présenter le saxo aussi génial que débonnaire décédé en 2011, et Danny Federici, mort en 2008, qui jouait si bien de son glockenspiel comme de l’accordéon . « « Ghosts » évoque l’esprit même de la musique » assure Springsteen, ajoutant « c’est quelque chose que nous partageons tous et qui réside dans notre âme collective, au sein du E Street Band, porté par nos cœurs ». « I heard the sound of your guitar », entonne Bruce porté par des riffs musclées, pour nous entrainer sur l’un des titres les plus nerveux de l’album et ses chœurs en apothéose. De même, l’évanescente « I’ll See You In My Dreams » carbure aussi à la nostalgie de ses compagnons de route partis bien trop tôt. Autre joyau de 72 avec « Song for Orphans », sur le thème de celui qui parvient à succomber ses peurs, ses doutes pour décider de changer nos vies à tout juste 20 ans. Harmonica et guitares intro avec la puissance d’une « Darkness At the Edge of Town” c’est une superbe et émotionnelle « time capsule » neo-Dylanesque à la « Like A Rolling Stone » qui fait battre nos cœurs juste un peu plus fort. Enfin, dernier radieux flash-back des 70’s avec « Janey Needs A Shooter » au refrain si classique E Street band et au feeling de « Prove It All Night ». Avec ce nouvel album publié à quelques jours des élections présidentielles, Bruce Springsteen aurait pu composer un brulot anti Trump, comme il l’avait fait jadis avec Reagan ou Bush, il a préféré au contraire traiter l’agent orange par le dédain, optant pour nous offrir les 12 compositions intemporelles de « Letter To You » comme autant de ballons d’oxygène rock pour survivre à cette époque troublée.

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