JEAN FRANÇOIS BIZOT PAR MARIEL PRIMOIS

Jean François BizotSur la couverture de ce petit ouvrage, le regard de Jean François Bizot semble se fondre dans le brouillard. Sous-titré « Le vif-argent », cette référence au mercure aussi brillant que versatile dépeint parfaitement la personnalité complexe du fondateur d’Actuel et de Nova. Dans ce livre, Mariel Primois-Bizot, qui a partagé les quinze dernières années de sa vie, nous retrace un Bizot aventurier, amoureux des arts et de la littérature, curieux de tout et de rien qui ressemble étrangement au Jean François que j’ai connu en rejoignant la rédaction d’Actuel en 81 puis en participant à la naissance de Radio Nova aux cotés des regrettés Lentin, Massadian et Andrew Orr.

Jean François Bizot« Un répertoire parfaitement agencé, trié quasi alphabétiquement , où puiser à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, car pour y figurer il fallait être joignable et disponible autour de minuit à une époque où le smartphone n’existait pas… » écrit l’autrice et pour moi c’est exactement comme un retour vers le futur, les souvenirs reviennent à ma mémoire… et je me rappelle soudain exactement pourquoi j’avais acheté mon tout premier répondeur téléphonique… à l’époque, j’étais déjà journaliste à BEST et animateur sur la pirate Radio Ivre, mais je sortais avec cette fille Christine, qui était la secrétaire de rédaction d’Actuel… ce qui signifiait qu’en période de bouclage du mag Jean François ne se gênait pas pour appeler mon téléphone au milieu de la nuit, pour la joindre. Lassé de me faire sonner les cloches, au sens propre par Bizot, j’avais donc acquis un des premiers répondeurs automatiques mis sur le marché, pour ainsi tenter de préserver mon sommeil. L’autre solution pour apprivoiser JF aura été de rejoindre la famille Actuel, en écrivant justement sur la musique. Car le pouvoir de la presse était tout autre à l’époque qu’aujourd’hui. BEST et Rock & Folk tiraient chacun à presque 200.000 exemplaires, lorsqu’Actuel flirtait carrément avec les 400.000. Aussi lorsque Jean François mettait Nina Hagen, Joe Jackson, Serge Gainsbourg ou les Talking Heads en couverture, cela signifiait que la France entière, la France rock et allumée, bien entendu pas la France beauf, écoutait cette nouvelle musique en chœur.

IActuelnfiltré dans les répétions du « Serious Moonlight Tour » de Bowie à NY ou chez Kevin Rowland à Birmingham en plein cœur du succés planétaire de son « Too-Rye-Ay » avec Dexys Midnight Runners, avec la bienveillante complicité de Jean Pierre Lentin j’avais signé de nombreux papiers dans Actuel. De même, j’avais fini par quitter Radio Ivre beaucoup trop colorée reggae music et donc plus assez rock à mon gout. Justement JF et Lentin lançaient Radio Nova où je recyclais chaque semaine mes interviews rock à la fois pour BEST et pour Actuel. « Vous vouliez savoir qui était Jean François ? Commencez par visiter sa discothèque. », écrit à juste titre Mariel Primois détaillant un peu plus tard sa recette un peu particulière de l’exploration musicale, que j’avais moi-même appliquée à l’époque Actuel : soit trouver le disquaire le plus obscur du Bronx, aller jusqu’au dernier bac de l’arrière-boutique pour dénicher un single forcément inconnu rapporté à Paris… qui devenait ainsi un des « disques du mois » du fameux mag de la rue du Fg Saint Antoine CQFD ! Jean François Bizot était pour moi un Henry de Monfreid sonic, un explorateur du son tellement doué pour vous faire partager ses passions comme Fela ou Ray Lema à travers ce qu’il qualifiait de « sono mondiale ». Je me souviens de ses slogans rebelles d’Actuel tel que « Nous voulons de beaux appartements ».

Jean François BizotIl savait aussi se montrer si touchant, comme ce jour où il m’expédie en reportage pour expérimenter les nuits décadentes de Lyon, cette ville qu’il connaissait si bien puisque sa famille en était issue. Rhone-Poulenc par son père et les fameux soyeux par sa mère, Jean François aurait pu se contenter de faire fructifier l’industrie familiale, il a choisi d’investir sa fortune dans l’aventure et la culture en fondant les deux versions d’Actuel et de Radio Nova. Mais il existait aussi un côté obscur de la Force chez le Jedi Bizot, notamment son obsession pour la réécriture des articles d’Actuel, comme sa propension aux réunions de rédaction qui se prolongeaient ad vitam aeternam.  Sans parler des nuits de bouclage du mag jusqu’au petit matin, où tu devais récupérer ton article passé entre les fourches caudines de la réécriture des sbires historiques de JF, soit Patrick Rambaud, Frédéric Joignot ou encore Michel Antoine Burnier… pour tenter de redonner un semblant de cohérence journalistique à ton papier, avant qu’il ne soit envoyé à l’imprimerie et que tu ne te brouilles définitivement avec les artistes interviewés. Ce n’était pas juste une question d’égo, mais plus de réalisme pour éviter de faire dire à un chanteur, ce qu’il ne m’avait jamais déclaré à mon micro. Deux ans plus tard, lassé par ces nuits blanches, en 83 je quitte à la fois Actuel et Nova pour assurer une émission quotidienne sur Radio France International et poursuivre mes reportages rock pour BEST puis pour rejoindre la rédaction du JT de TF1, deux ans plus tard, mais sans jamais perdre toute la tendresse que je pouvais avoir pour Jean François à chaque fois que nous nous croisions dans les concerts. Hélas, la vie n’aura pas toujours été clémente pour les anciens d’Actuel. Un a un se sont éteints bien trop tôt le brillant Jacques Massadian, le passionné Jean Pierre Lentin, le taiseux Michel Antoine Burnier ou encore Claudine Maugendre, géniale responsable du service photo et l’œil affuté d’Actuel. Pour sa part, Jean François Bizot nous a quittés en 2007 à seulement 63 printemps, laissant un vide absolument incommensurable.  Ce petit livre aussi intime qu’indispensable perpétue donc sa brillante mémoire et continue à faire vivre son précieux héritage culturel, hélas mis à mal par le banquier de gauche qui a transformé radio Nova en radio woke. Jean François n’aurait vraiment pas aimé !

 

Le vif argentJean François Bizot

Par Mariel Primois-Bizot

Éditions Exils

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