LES MISERABLES AU CHATELET
Attention chef d’œuvre scénique ! Quarante-cinq ans après les débuts de l’aventure en 1980, Les Misérables sont enfin de retour au Théâtre du Châtelet pour 52 représentations exceptionnelles. Et cette toute nouvelle production scénique de l’œuvre populaire d’Alain Boublil et de Claude-Michel Schönberg, signée Ladislas Chollat est une vraie réussite, s’il faut en croire les sens particulièrement exercés de JCM.
Par Jean-Christophe MARY
Depuis sa création en 1980 et avec ses 130 millions de spectateurs, les Misérables d’Alain Boublil pour le livret et Claude-Michel Schönberg pour la musique est la comédie musicale la plus jouée au monde. Un immense succès public qui au départ était pourtant loin d’être gagné. Après des débuts confidentiels au Palais des sports (1980), l’œuvre originale des Misérables avait été repris à Mogador (1991) dans une adaptation anglaise avant de refaire un comeback toujours en version anglaise sur la scène du Théâtre du Châtelet (2010). Et aujourd’hui, cette toute nouvelle adaptation fait un retour fracassant au Châtelet… en français. On vous explique. Pour ce come-back, l’auteur Alain Boublil très soucieux de peaufiner le livret a dû réécrire un cinquième du texte avec en tête l’idée de coller au plus proche de l’œuvre de Victor Hugo et de la langue d’aujourd’hui. Si Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg ont pris quelques libertés avec le roman de Victor Hugo, ils l’ont fait avec subtilité et sans jamais trahir le propos. D’ailleurs tirer la substantifique moelle de ce monument de la littérature (1500 pages !) n’a pas dû être chose facile. Mais le résultat est là, émouvant et brillant. Le nouveau livret concentre l’histoire en 2h30 avec tout le romantisme, l’émotion que procure cette grande fresque sociale. Dans cette galerie de personnages contrariés en permanence par la brutalité et les injustices sociales, on retrouve autour de l’ancien bagnard Jean Valjean, Fantine, sa fille Cosette, l’étudiant révolutionnaire idéaliste Marius, le brutal inspecteur Javert, le cynique couple Thénardier et leur malheureuse fille Éponine. Chacun des personnages incarne « une forme d’universalité » marqué par le désespoir, la révolte, le deuil, mais aussi l’amour et la Rédemption. « Tous, dans leurs catégories, sont des modèles de l’espèce humaine » et ensemble, ils font avancer cette épopée critique et engagée, d’une humanité poignante.
Dès le premier acte le rideau se lève sur un imposant dispositif scénique fait de panneaux modulables et d’une succession de dessins à l’encre projetés sur des écrans représentants les 35 tableaux du spectacle : un bagne, une auberge, un hospice, un café, les rues de Paris avec ses mendiants et ses prostituées, le tout éclairé par des torches et des braséros. Pour mettre en lumière le roman de Victor Hugo qui fût publié pour la première fois 1862, le metteur en scène Ladislas Chollat et la scénographe Emmanuelle Roy ont conçu un dispositif scénique vidéo d’une grande richesse et d’une grande finesse poétique. Les tonalités brune et taupe du décor laissent transparaitre des faisceaux de lumière qui évoquent des apparitions divines. Sur le plateau, les couleurs vives sont apportées par les costumes usés, rapiécés, déchirés, mangés par la transpiration et déteints par le soleil. Le décor s’inspire d’une gravure de Gustave Doré, illustrant L’Enfer de Dante et évoque la rédemption de Jean Valjean, son chemin de croix pour quitter l’ombre et s’élever vers la lumière. Une pente vertigineuse y mène les deux personnages de l’enfer au paradis représenté par un ciel étoilé tandis que les images vidéo projettent des dessins à l’encre en mouvement créant des tableaux au rendu très spectaculaire. Les Misérables ce sont des histoires d’amitié et d’amour portées par des personnages aux vies brisées, aux vies volées. C’est la prise de conscience que la vie tient à très peu de choses, surtout pour ceux qui ont peu ou rien comme Fantine qui avait rêvé d’une autre vie, Eponine dont l’histoire est un rêve plein de douceur dont elle n’aura jamais eu sa part ou encore Marius qui rêvait lui de justice sociale avec ses camarades du café de l’ABC et se retrouvera seul face à des tables vides. Cette partition qui au départ est à une ode à la liberté, à l’émancipation, à la justice est en permanence contrariée par une réalité sociale dont les personnages n’arrivent jamais à s’extraire.
Quoi qu’ils fassent, qui qu’ils tentent, ils seront rattrapés par leur cruelle destinée. Le seul qui y parviendra, c’est le forçat Jean Valjean qui passera sa vie à racheter ses fautes. Cette belle production, teintée de chansons tubesques mets en scène de façon spectaculaire, une quarantaine de comédiens, chanteurs et danseurs, tous plus fascinants les uns que les autres dans ces tableaux réglés au millimètre. Chacun est à sa place et dans son rôle, les personnages parlent de façon plus concrète, d’une manière plus authentique. Si les Thénardier sont aussi cyniques que vulgaires, Javert est autoritaire, Jean Valjean est héroïque, sans que cela ne tombe jamais dans la caricature. La partition musicale entrecoupée de sublimes chanson d’amour, est servie ici par des pointures du genre : le ténor Benoît Rameau est un robuste Jean Valjean aux aiguës puissants, tandis que le baryton Sébastien Duchange campe lui un inspecteur Javert autoritaire et implacable, à la voix grave et profonde. Claire Pérot-qui incarnait avec une force étonnante le personnage de Sally Bowles dans la version française de Cabaret- interprète une Fantine sincère avec un timbre de voix un peu juvénile. Vulgaires à souhait, les Thénardier incarnés par David Alexis et Christine Bonnard font ici feu de tout bois animés par un cynisme et une lucidité crasse. Stanley Kassa éblouissant en Simba du Roi Lion excelle ici dans le rôle d’Enjolras, une prestation pleine de vitalité. On salue également les belles performances de Juliette Artigala, dans le rôle de Cosette adulte, Jacques Preiss troublant de sincérité en Marius sans oublier le petit Gavroche, incarné ici avec brio. La mise en scène est surprenante de bout en bout et réserve jusqu’au final de belles surprises comme celle où l’on voit l’Orchestre du Théâtre du Châtelet apparaitre en pleine lumière sur le fond de scène, orchestre dirigé avec précision par la charismatique cheffe Alexandra Cravero. Décors impressionnants, costumes colorés de Jean-Daniel Vuillermoz, lumières d’Alban Sauvé et tableaux plus spectaculaires les uns que les autres, Ladislas Chollat signe là une mise en scène d’un très haut niveau. Le spectacle idéal pour les fêtes de fin d’année.
Du 23 novembre au 01 janvier 2024.
Théâtre du Châtelet. 2, rue Edouard Colonne 1er. Tél. 01 40 28 28 40 de 20 à 119 €.