FALSTAFF À L’OPÉRA
Lorsque « Falstaff » l’ultime chef d’œuvre de Verdi et Boito débarque enfin à nouveau à l’Opéra Bastille on est soudain submergés par une production loufoque pleine de cruauté, de vérité et d’humanité mélangées dans une mise en scène signée Dominique Pitoiset. Et l’on peut dire, sans risquer de se fourvoyer que ce « Falstaff » représente un sacré taff pour JCM !
Par Jean-Christophe MARY
Vingt-cinq ans après sa création, le tout dernier opéra de Giuseppe Verdi fait son grand retour à l’Opéra National de Paris avec l’immense Ambrogio Maestri dans le rôle-titre. Après « Don Giovanni » en 1999, « Falstaff » est la seconde production du metteur en scène français, actuellement directeur général de l’Opéra de Dijon, pour l’Opéra National de Paris. « Si Falstaff était un animal, ce serait un paon. Devant les commères de Windsor, le voilà qui fait le beau, persuadé, malgré sa bedaine et son âge, qu’il les ensorcèle. Le paillard va jusqu’à envoyer la même lettre d’amour à Mrs Alice Ford et à son amie Meg. Mais gare à la vengeance des femmes, qui n’auront de cesse de le piéger jusqu’à ce qu’il se repente ». « Le monde entier est une farce », telle est la morale de cette comédie aigre-douce inspirée de Shakespeare. En léguant ce dernier chef-d’œuvre à 80 ans, Verdi témoignait de son extraordinaire vitalité et d’une modernité étonnante dans la structure musicale. Enlevée et efficace, la mise en scène de Dominique Pitoiset s’éloigne du cadre élisabéthain pour inscrire Falstaff dans un univers bourgeois du début du XXe siècle, proche de la création de l’œuvre. Ce faisant, il révèle ce qui touchait sans doute le compositeur dans ce personnage complexe mais fascinant : sa profonde humanité. Un peu d’histoire…Cent trente ans après sa création à la Scala de Milan, l’Opéra de Paris nous offre une relecture de cette comédie lyrique en trois actes que Verdi créa en 1893 avec le librettiste Arrigo Boito.
Après le succès d’ « Otello » (1887), Arrigo Boito parvient à convaincre Verdi de se remettre au travail pour une nouvelle collaboration au moment même où le maestro est envahi par le spleen de la vieillesse. Le projet d’un ouvrage sur un sujet comique redonna envie à Verdi de composer, même s’il gardait le douloureux souvenir de l’échec qu’avait rencontré au début de sa carrière son unique opera buffa « Un giorno di regno » (1840). L’attrait de Verdi pour les comédies de Shakespeare a aussi joué un rôle dans la genèse de ce dernier ouvrage qui vient clore par un éclat de rire un ensemble essentiellement tourné vers le tragique. Cependant Falstaff, opéra testamentaire, est plus qu’un simple retour à l’opera buffa. Comme le soulignait le chef d’orchestre Carlo Maria Giulini : « Dans « Falstaff », si les situations sont comiques, les personnages, eux, ne le sont pas ». L’écriture musicale, d’inspiration mozartienne, s’accompagne d’audacieuses ouvertures sur la modernité. Ainsi, cette partition exceptionnelle est traversée par des moments de pure « conversation » en musique. Faux-semblants et complots, déguisements et manipulation s’enchaînent à la vitesse grand V entre allégresse et mélancolie au cours d’une folle journée s’achevant avec une fugue finale réalisée dans un esprit burlesque. Cette comédie douce-amère s’achève dans une sorte d’apothéose musicale où la vérité éclate enfin : « Le monde entier est une farce, et l’homme est né bouffon ». Crée en 1999 sous l’impulsion de Hugues R.Gall directeur de l’Opéra National de Paris de 1995 à 2004, cette production, qui a déjà été reprogrammée en 2003 puis 2013, n’a pas pris une seule ride. La mise en espace conçue est particulièrement impressionnante. Dès le premier acte on découvre d’immenses panneaux coulissants qui représentent tour à tour la façade de l’Hôtellerie de la Jarretière où loge Falstaff et celle de la maison de Ford sur trois étages. L’action se déroule au premier plan où sont disposés divers accessoires : table, fauteuil, paravent, panier à linge et même une automobile sortie des années 1920. L’effet est saisissant puisque ce bâtiment spectaculaire devant lequel se déroule le drame offre à la direction d’acteurs fluidité, précision et lecture immédiate de l’intrigue.
Au dernier acte, seule l’image du grand Chêne de Herne est projetée sur les bâtiments pour nous rappeler que le dénouement va se jouer dans le parc de Windsor. L’ingénieux dispositif d’éclairage signé Philippe Albaric plonge le public au cœur de la psyché des personnages. Voilà pour les décors. Mais le fil rouge de cet imposant dispositif scénique est la distribution dominée par le superbe Falsatff d’Ambrogio Maestri qui interprétait déjà ce personnage en 2013. On retrouve le baryton italien avec tout le raffinement de sa belle technique vocale. Côté solistes, cette nouvelle production réunit sur un même plateau une flopée de pointures lyriques parmi lesquelles la contralto Marie-Nicole Lemieux déjà présente en 2013 dans le rôle de Mrs Quickly, le baryton Ukrainien Andrii Kymach (Ford), le ténor péruvien Iván Ayón-Rivasla (Fenton), la basse Alessio Cacciamani (Pistola), la soprano américaine Olivia Boe (Mrs Alice Ford), Federica Guida ( Nannetta) qui font leurs débuts à l’opéra de Paris. La distribution promet des moments savoureux et intenses avec notamment la jeune mezzo-soprano Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Mrs Meg Page), le ténor Gregory Bonfatti (Docteur Cajus) et le ténor australien Nicholas Jones membre de la troupe lyrique de l’Opéra National de Paris. Si on ajoute à cela la musique imposante et majestueuse de Verdi, les costumes signés Elena Rivkina, les lumières de Philippe Albaric la direction des chœurs Alessandro Di Stefano et une direction d’orchestre confiée à Michael Schønwandt, ces sept nouvelles représentations raisonnent déjà aux airs de triomphe.
Du 10 au 30 septembre 2024
Renseignements et réservations : www.operadeparis.fr
Durée : 2h40 avec 1 entracte